50 nuances d’immobilier

Nicolas Roth, Banque REYL

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Les investisseurs ayant suffisamment d’actifs sous gestion devraient envisager de garder une place pour les actifs privés.

Parmi tous les actifs privés et illiquides, l’immobilier figure en tête des classes d’actifs que les investisseurs sont plus disposés à envisager pour une allocation. Les raisons sont multiples, mais le fait que l’immobilier soit un actif tangible explique probablement beaucoup de choses. Les investisseurs peuvent réellement voir ce qu’ils achètent, la dynamique à l’origine des flux de trésorerie générés par un immeuble de bureaux, par exemple, est assez simple à comprendre et, enfin, la plupart des investisseurs sont propriétaires de leur domicile et maîtrisent donc assez bien le sujet. Paradoxalement, l’immobilier est généralement sous-représenté dans les portefeuilles des clients malgré ses atouts et le fait qu’il soit possible d’y investir sous de nombreuses formes. Comment investir dans l’immobilier aujourd’hui alors que les taux sont en passe d’augmenter et pourquoi l’Europe du Sud est-elle le lieu de prédilection des investisseurs?

Si les crises financières ont l’habitude de frapper durement l’immobilier, ce secteur a tendance à agir comme un indicateur du redressement de l’économie. Le resserrement mondial du crédit et la crise européenne n’ont pas fait exception et les actifs réels en Europe ont beaucoup souffert, notamment dans les pays portant l’acronyme peu flatteur de PIIGS (Portugal, Italie, Irlande, Grèce et Espagne). Les investisseurs institutionnels se sont retirés de ces marchés, les prix ont chuté sur tous les segments, tandis que le PIB se contractait et que le chômage grimpait en flèche. Quelques années plus tard, la récession est terminée. En Espagne et au Portugal, l’immobilier est en plein essor dans tous les secteurs, avec une demande soutenue par différents types d’investisseurs, des retraités occidentaux attirés par les avantages fiscaux aux fonds spéculatifs américains tirant profit des prix de marchés disloqués et des propriétaires contraints de vendre. Le marché a désormais atteint une plus grande maturité car les financements institutionnels étrangers ont été accompagnés de certaines normes mais l’évolution demeure très favorable dans tous les segments car les perspectives économiques optimistes dopent la confiance des investisseurs. 

En Espagne, l’immobilier commercial
a enregistré récemment une croissance considérable.

Chaque ville et chaque pays ont cependant leur propre dynamique spécifique dont les investisseurs doivent tenir compte avant d’investir. En Espagne, l’immobilier commercial a enregistré récemment une croissance considérable, comme le démontre la ville de Madrid dont les transactions d’espaces commerciaux ont atteint 600’000 m2 en 2017 contre 345’000 m2 à Barcelone la même année. Les immeubles commerciaux existants sont, en quelque sorte, plus rares et les prix plus élevés. Compte tenu du fait que la construction d’un immeuble de bureaux implique généralement un financement bancaire important, avec des taux d’intérêt plus élevés, le marché doit continuer à afficher des taux de loyers en hausse. L’absence actuelle d’offre disponible à Madrid et Barcelone devrait toutefois soutenir efficacement les rendements. Le secteur de l’hôtellerie est également bien soutenu par la croissance touristique puisque 82 millions de touristes ont visité l’Espagne en 2017. Il convient cependant de noter que ce secteur est probablement plus complexe à traiter. En effet, un investissement peut nécessiter des apports de capitaux importants en raison des complexités liées à la gestion d’un hôtel, qu’il soit indépendant ou rattaché à une enseigne, et de l’adaptation à des normes internationales en constante évolution. L’immobilier résidentiel demeure un marché très attrayant car il consolide actuellement sa reprise et les principaux indicateurs témoignent d’une orientation à la hausse, avec une demande sans cesse croissante de logements et des valorisations revues à la hausse. En outre, les Socimis (fonds de placement immobilier des sociétés cotées, similaires aux REITS américains) poussent les prix à la hausse en continuant à ajouter des actifs immobiliers à leurs portefeuilles. La recherche d’actifs existants pouvant être difficile en raison de la forte demande, la construction est actuellement le segment le plus intéressant.

Les promoteurs locaux sont impatients de lancer de nouveaux projets d’envergure, mais ont besoin de partenaires financiers. La demande de construction de logements et de bureaux est élevée car il est difficile de trouver des biens existants; les promoteurs locaux ont donc saisi cette formidable opportunité. En outre, la crise de 2011 en Europe a causé la faillite de nombreux promoteurs. La concurrence est donc moins forte. Les promoteurs ont toutefois besoin de partenaires disposant de moyens financiers pour lancer leurs projets car ils n’ont pas de liquidités. Un certain nombre de fonds de placement ont compris qu’il est possible de s’associer avec des spécialistes locaux qui assureront la gestion quotidienne des projets tout en conservant une participation majoritaire dans l’opération. Le TRI des projets immobiliers résidentiels se situe naturellement dans une fourchette à deux chiffres, sans effet de levier, en raison du risque de construction et de développement. Les prix des terrains constructibles sont également inférieurs aux niveaux historiques dans la mesure où ces actifs proviennent généralement des bilans des banques qui souhaitent réduire leurs risques et sont donc disposées à les céder avec une décote. Les fonds peuvent être investis pendant toute la durée de vie du projet immobilier et même conserver la propriété de l’actif lorsqu’il est terminé ou bien participer aux premières étapes du financement, stratégie qui progresse actuellement en Espagne.

Le financement relais doit être compris
dans le contexte de la désintermédiation bancaire.

Le financement relais dans le cadre de la promotion de l’immobilier résidentiel ou commercial, fait partie du contexte commercial général de la désintermédiation. Les banques sont soumises à de fortes contraintes lorsqu’il s’agit d’utiliser leur bilan et elles choisissent avec soin les projets qu’elles financent. En général, les banques sont disposées à prêter à un promoteur immobilier lorsque tous les permis ont été accordés et que le terrain est pleinement autorisé. Avant que toutes ces conditions préalables ne soient réunies, les prêteurs traditionnels hésitent à intervenir, car la garantie est soit difficile à évaluer, soit trop lourde pour créer des structures de garanties solides. A ce stade, les promoteurs immobiliers n’ont pas d’autre solution que de chercher des prêteurs alternatifs, généralement des organismes de crédit spécialisés ou des hedge funds qui disposent des outils et ressources nécessaires pour proposer des prêts à des conditions attrayantes. Dans leur ensemble, les prêteurs alternatifs proposent des solutions souples assorties d’une exécution rapide, attirant ainsi l’attention des promoteurs qui continuent à se heurter aux refus des prêteurs traditionnels. Dans ce domaine particulier, le financement relais devient très attrayant, notamment dans le sud de l’Europe où le bilan des banques continue d’être encombré d’actifs non productifs et où les prêteurs alternatifs sont en mesure de déployer des capitaux assortis de paramètres rendement/risque intéressants. Dans un contexte de hausse des taux d’intérêt, pouvoir investir de 12 à 18 mois et recevoir un intérêt à deux chiffres est une proposition de valeur attrayante pour les investisseurs. Le revers de la médaille est que l’exposition à l’immobilier est indirecte, car ce type d’opportunité est essentiellement une opération de financement utilisant le bien immobilier comme garantie. Le financement relais doit être compris dans le contexte de la désintermédiation bancaire.

Les investisseurs ayant suffisamment d’actifs sous gestion devraient envisager de garder une place pour les actifs privés, et en particulier l’immobilier, dans leurs portefeuilles. Certes, cela sous-entend de renoncer à une certaine liquidité, mais les avantages liés à la détention d’actifs réels sont plus importants. Non seulement les actifs réels et immobiliers sont à l’abri des fluctuations du marché, ce qui confère une certaine stabilité pendant les périodes difficiles, mais ils produisent souvent des flux de trésorerie. Les fonds immobiliers constituent vraisemblablement le meilleur point d’accès à la classe d’actifs pour les investisseurs, dans la mesure où ils offrent une exposition diversifiée en termes de typologie, de géographie et de taille d’actifs. Les investisseurs qui souhaitent aller un peu plus loin peuvent affecter leurs capitaux à des structures et des fonds sur mesure destinés à investir dans un sous-segment particulier, comme le financement relais espagnol ou le développement de projets résidentiels dans une région spécifique. Il faut généralement attendre le premier cycle d’investissement avant que les investisseurs soient rassurés, mais dès que leur investissement dans le premier fonds affiche un TRI solide, il n’est pas rare qu’ils renouvellent leur placement dans le fonds suivant, et ainsi de suite.