Une rémunération de 19,5 millions de francs pour le patron de Novartis. 14,9 millions pour celui d’UBS. Ou encore 15,4 millions pour le CEO de Sunrise (qui a profité de la réintroduction en bourse en 2024). L’inflation en Suisse ne concerne pas seulement les denrées alimentaires ou les biens immobiliers. Comme notre étude publiée en septembre 2024 le laissait présager, les rémunérations des dirigeants des plus grandes entreprises cotées en Suisse ont elles aussi pris l’ascenseur ces dernières années.
La lutte contre les rémunérations excessives est étroitement liée au développement de la finance durable en Suisse durant les deux dernières décennies. Si nous sommes encore loin des montants enregistrés dans les années 2000, sur lesquels était revenu le premier épisode de notre série de podcasts publiée l’année dernière, la situation actuelle a de quoi interpeler. Voire inquiéter. Car les rémunérations excessives, souvent liées aux bonus, peuvent inciter les dirigeants à des prises de risques excessives et contribuer à la chute d’une entreprise comme nous l’a tristement rappelé l’exemple de Credit Suisse.
Pour Ethos, la lutte contre les hauts salaires n’est pourtant pas un but en soi. Les entreprises doivent pouvoir disposer d’un système de rémunération attractif si elles souhaitent pouvoir attirer, motiver et retenir les meilleurs dirigeants et dirigeantes. Un tel système doit également permettre d’aligner les intérêts des personnes concernées avec ceux des actionnaires en contribuant à la création de valeur à long terme.
Un système de rémunération excessif constitue toutefois un coût important qui grève le résultat d’une entreprise. Il peut surtout influencer fortement le comportement de certains dirigeants en matière de prise de risques et, indirectement, l’orientation stratégique donnée à l’entreprise. Finalement, un système de rémunération inadéquat constitue un risque de réputation important qui peut mettre en danger la confiance des actionnaires et la motivation des collaborateurs.
C’est pourquoi dans ses lignes directrices de vote et principes de gouvernance d’entreprise, Ethos dresse une liste de critères à respecter pour éviter d’atteindre des niveaux excessifs. Il convient tout d’abord de verser des rémunérations qui soient en adéquation avec la taille, la complexité, la performance et les perspectives de l’entreprise. Le salaire de base ne devrait ainsi pas être supérieur à la médiane d’un groupe d’entreprises comparables («peer group»). Quant à la rémunération variable, elle ne devrait pas excéder deux fois le salaire de base – voire trois fois pour le CEO – en cas de performance exceptionnelle.
Des limites qui sont d’ailleurs appliquées dans les banques européennes et qui n’ont pas empêché certaines d’entre elles, à l’instar de BNP Paribas et ses 11,7 milliards d’euros de bénéfice, d’enregistrer des résultats records en 2024.
LE POINT SUR L’ACTU
Diversité, armement et pétrole. Voilà trois thématiques en lien avec la durabilité qui ont fait couler passablement d’encre au mois de mars. A leur énoncé, on s’imagine aisément une actualité qui n’est pas forcément des plus réjouissantes.
Pour commencer, les entreprises actives aux Etats-Unis sont toujours plus nombreuses à revenir sur leurs engagements en matière de diversité, que ce soit pour plaire à l’administration Trump ou par crainte de suites judiciaires. C’est notamment le cas de Roche et d’UBS. S’il est évident que les entreprises doivent respecter les lois des pays dans lesquels elles opèrent, on comprend moins pourquoi certaines ont décidé d’abandonner leurs efforts de promotion de la diversité à l’échelle de la planète. Heureusement, comme le révèle un sondage tous les investisseurs ne sont pas prêts à en faire de même: 90% considèrent ainsi la diversité comme une priorité élevée ou modérée dans leurs activités d’engagement et de «stewardship».
En Europe, c’est un autre débat qui refait surface : armes et finance durable sont-ils compatibles? Alors que l’Union européenne (UE) amorce son réarmement à marche forcée et que l’industrie se plaint des difficultés rencontrées pour attirer les investisseurs, notamment du fait que le secteur est exclu de nombreux fonds durables (à commencer par ceux d’Ethos), des voix se font entendre pour que cela change. On note ainsi la prise de position de Stephen Davis, l’un des cofondateurs des PRI, ou encore la tribune du directeur général de Mirova Philippe Zaouati.
Autre sujet, une étude évalue à 2'280 milliards de dollars les actifs liés à l’industrie fossile qui pourraient perdre leur valeur d’ici 2040. C’est ce que l’on appelle dans le jargon les «stranded asssets». Les auteurs s’alertent en particulier du fait que les pertes pourraient s’élever à 19 milliards de dollars pour les seules caisses de pension britanniques, ce qui représente 3'279 dollars par assuré au Royaume-Uni. «Trop d’entreprises du pétrole et du gaz parient sur une demande qui ne se matérialisera pas dans un monde en voie de décarbonation, et c’est le public qui risque de payer la facture», soulignent-ils.
En Suisse, le Conseil fédéral a pris connaissance des résultats de la procédure de consultation à laquelle Ethos a participé l’été dernier et annoncé qu’il allait charger le département de la justice et police d’élaborer des propositions «pragmatiques» et «concrètes» en matière de gestion durable des entreprises. Les propositions esquissées concerneront tant la publication d’informations que le devoir de vigilance. Le Conseil fédéral décidera toutefois de la suite à donner au projet après que l’UE se sera prononcée sur les simplifications de sa propre réglementation («Omnibus»). Au plus tard au printemps 2026.
En parallèle, le Conseil fédéral a lancé une procédure de consultation sur une révision de l’Ordonnance sur les rapports climatiques notamment pour renforcer les attentes envers le secteur financier. Ethos a participé à cette procédure de consultation et notre prise de position est disponible sur notre site internet (en allemand).
Certains en Europe, et ils sont de plus en plus nombreux, s’inquiètent que le projet de simplification et de rationalisation n’aille trop loin et ne porte préjudice aux objectifs climatiques mondiaux, à commencer par l’ancien président de la Banque Centrale européenne Mario Draghi qui a lui-même contribué à l’origine du projet de rationalisation.
Pendant ce temps aux Etats-Unis, l’administration Trump poursuit son travail de sape contre tout ce qui touche à la durabilité: rejet des ODD des Nations Unies, retrait du fonds pertes et préjudices. Un sénateur républicain a également présenté un projet de loi qui vise à empêcher que les entreprises américaines ne soient soumises aux «réglementations extraterritoriales néfastes de l’UE». En ligne de mire, la directive sur le devoir de diligence des entreprises (CSDDD).