Deux écueils surmontés et des marchés de taux soulagés

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

©Keystone
La semaine de tous les dangers est derrière nous

Nous avions pointé du doigt, depuis plusieurs semaines, le risque d’un retour du 10 ans US vers 2%. La semaine qui vient de s’écouler était toute indiquée pour une correction puisque deux rendez-vous cruciaux étaient au programme. Tout d’abord, l’intervention de Donald Trump, mardi 12 novembre, devant le club économique de New York, était redoutée par les marchés de taux. Mais il a juste mentionné que l’économie américaine dépassait largement ses attentes et que l’impact de la guerre commerciale était négligeable. Il n’a pas fait d’annonce choc concernant l’avancée des discussions avec les Chinois – ce que nous redoutions le plus – et s’est contenté de nier qu’il y avait des incertitudes alors qu’au même moment, une étude commandée par les autorités portuaires de Los Angeles chiffrait à 1,5 million le nombre d’emplois menacés par la guerre commerciale sino-américaine. Ce n’est donc pas mardi soir que le 10 ans US a franchi le seuil des 2%. 

Il restait un deuxième écueil, le lendemain, avec la prise de parole de Jerome Powell devant le comité économique du Congrès mais nous sommes tous resté sur notre faim. Le Président de la Fed s’est contenté de réaffirmer que les perspectives économiques étaient bonnes et que dans ces conditions, après trois baisses de taux, considérées par le FOMC comme des ajustements de milieu de cycle, il était peu probable que les assouplissements monétaires se poursuivent. Comme la veille, aucun scoop n’a fait corriger les marchés de taux. 

Lorsque la Fed évoque une pause, les taux longs
réagissent à la baisse et la courbe s’aplatit.

En revanche, nous avons pu noter, une fois de plus, que lorsque la Fed évoque une pause, les taux longs réagissent à la baisse et la courbe s’aplatit. Cela en dit long sur les divergences de vues entre la banque centrale et les marchés obligataires. Toutefois, ces deux écueils étant passés, les taux longs auraient pu tout de même poursuivre leur correction suite à l’émergence de deux phénomènes. 

Le premier concerne les CTA, qui détenaient des positions longues en Treasuries depuis le début de l’année et qui se sont mis à prendre des positions inverses en «shortant» massivement le marché. Ensuite, depuis quelques semaines, de nombreux autres flux vendeurs proviennent des gestions de portefeuille en mortgages US. Si depuis le début de l’année, ces gérants achetaient de la duration, ils doivent désormais en vendre pour se protéger contre des taux plus bas et une courbe plus plate. On appelle cela le convexity hedging et c’est sans nul doute l’un des principaux moteurs de la remontée des taux longs US depuis fin septembre. 

De plus, la Fed n’étant plus acheteuse de MBS depuis la fin de son QE, ces papiers sont donc de plus en plus détenus par des investisseurs institutionnels susceptibles de procéder à de telles opérations de convexity hedging. Force est de constater que malgré tous ces événements défavorables, les taux longs tiennent bon. Cela en dit long sur la solidité des niveaux actuels. 

Rally de fin d’année?

Le 10 ans américain est donc retourné vers 1,80%. Les marchés actions volent de record en record mais tous les investisseurs que nous rencontrons sont à la fois ravis de leur performance mais inquiets, conscients que nous atteignons des niveaux sur lesquels la sagesse leur conseillerait de prendre quelques profits. Mais la fin d’année et son rally tant attendu (d’autant plus qu’il nous a joué un sale tour en 2018), nous donnent envie de croire que la correction n’est pas pour tout de suite. Les taux ne réagissent plus trop aux records de Wall Street. On s’inquiète plus à propos d’une escalade de la violence à Hong Kong et la lassitude concernant une annonce concrète d’un accord commercial entre Pékin et Washington gagne les marchés. 

Un rally de fin d’année obligataire ne serait pas incompatible
avec une bonne tenue des marchés actions.

On ne peut donc pas exclure un rally de fin d’année obligataire, qui ne serait d’ailleurs pas incompatible avec une bonne tenue des marchés actions. Après tout, les deux marchés ont tous deux terminé 2018 dans le rouge, ils peuvent très bien clôturer ce millésime 2019 dans le vert. Entre temps, il faut bien continuer de gérer le risque et la volatilité de nos portefeuilles et en tout début de semaine dernière, compte tenu des écueils cités plus haut nous avons réduit sensiblement notre duration. Constatant que les interventions de Trump et Powell n’avaient pas déclenché de correction, les protections ont été enlevées. Si le risque de revoir le 10 ans dans une fourchette 2%-2,15% n’a pas disparu, il est en forte diminution. 

Le mouvement de steepening observé récemment (principalement dû aux achats massifs de la Fed sur la partie courte dans le cadre de son non-QE) pourrait faire place au retour du flattening dans le cas où la Fed passerait en mode «wait and see». Un statuquo sur les taux directeurs US le 11 décembre prochain serait sans doute salué par une détente de la partie longue de la courbe. Sauf imprévu majeur (et avec Donald Trump l’expression prend tout son sens), le dernier événement de grande importance pour les marchés de taux sera ce fameux FOMC du 11 décembre.

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