Revue globale de la zone émergente

Gianluca Castrilli, Trillium SA

4 minutes de lecture

Capturer les opportunités offertes par la zone émergente malgré un environnement global très incertain et fragile.

Le premier trimestre 2023 aura mis le moral des investisseurs à rude épreuve. Une inflation globale en recul, des chiffres macroéconomiques résistants et un virage à 180° du gouvernement chinois en matière de politique zéro-COVID fin 2022 auront tout d’abord permis de rassurer les investisseurs et d’atténuer les craintes de récession mondiale. Mais le répit ne fut que de courte durée puisque les bourses mondiales ont été confrontées à un contrecoup brutal au courant du mois de mars. Le secteur bancaire qui vacille, le retour d’une incertitude latente, notamment du côté de l’inflation, de la politique monétaire américaine et du «tant anticipé» rebond chinois auront eu raison du positivisme du début d’année. Malgré cela, la majorité des bourses mondiales termineront ce premier trimestre 2023 dans le vert, non sans peine.

La zone émergente n’a pas échappé à cette volatilité ambiante. Après avoir entamé l’année 2023 en surperformant le reste du monde grâce entre autres aux perspectives de reprise de l’économie chinoise, le MSCI Emerging Markets clôture le trimestre avec un retard de près de 4,0% par rapport au MSCI World (4,0% contre 7,7% en USD). Au-delà des pressions inflationnistes et des craintes de ralentissement communes aux zones émergentes et développées, les émergents ont également souffert des différentes et croissantes tensions géopolitiques, venant assombrir le tableau pour l’année en cours.

De manière consensuelle, nous tablons sur un environnement global fragile et incertain en 2023, que ce soit pour les marchés développés ou les pays émergents. Néanmoins, malgré cette fragilité généralisée, nous sommes convaincus que différents facteurs plaident en faveur des pays émergents, délaissés par les investisseurs, à juste titre, ces deux dernières années.

Le couple croissance/valorisation représente un des atouts majeurs pour les émergents et peut permettre un bon point d'entrée pour une allocation.

Premièrement, les valorisations des actions émergentes sont à des niveaux attractifs par rapports aux actions mondiales. Plus précisément, les estimations du ratio cours/bénéfice (P/E) pour les 12 prochains mois, laissent toujours apercevoir une décotte de près de 25% des marchés émergents par rapport au reste du monde (ratio de 11,4x pour le MSCI Emerging Markets contre 15,0x pour le MSCI World). Mais cette décote ne serait pas significative si le potentiel de croissance des pays émergents n’était pas supérieur à celui des pays développés. Que ce soit au niveau de la croissance moyenne des économies, attendue à 3,7% contre 1,1% pour les pays développés en 2023, ou au niveau de la croissance des revenus des entreprises à moyen et long terme (14,0% contre 8,0% à fin février 2023), les pays émergents affichent un potentiel de croissance supérieur non-négligeable, principalement dans un environnement de ralentissement ou de faible croissance globale. Les incertitudes globales et spécifiques à la zone ont justifié une attitude prudente vis-à-vis des émergents, toutefois, bien que l’avenir ne soit pas totalement dégagé, ce couple croissance/valorisation représente un des atouts majeurs pour les émergents et peut permettre un bon point d'entrée pour une allocation.

Malheureusement, investir dans les pays émergents sans faire de différenciation entre pays et/ou régions émergentes, ne peut suffire à capter entièrement ce potentiel de croissance décoté. A la vue des disparités en termes de croissance, de performance ou de développement entre les différents pays et régions, il convient d’adopter une approche sélective. Encore faut-il réussir à naviguer dans cet univers dominé majoritairement par l’Asie et la Chine, qui représente plus de 30% des indices actions émergentes.

Si la majorité des intervenants tablait en début d’année sur un retour en force de la Chine, les dernières annonces du gouvernement font état d’une situation moins évidente et plus tendue qu’anticipée. Malgré une rhétorique visant à retrouver le soutien de l'opinion publique et la mise en place de plusieurs plans de relance économique, l’objectif de croissance de 5,0% annoncé pour 2023, montre que la sortie de crise sanitaire et le retour à une croissance rapide sont plus complexes. L'expansion monétaire et fiscale, les investissements en infrastructures et le sauvetage du secteur immobilier ne donneront probablement qu'un coup de pouce temporaire à la Chine. Au-delà de l’aspect économique, les pressions géopolitiques croissantes et la baisse de la démographie représentent également des obstacles majeurs pour le renouveau de la croissance chinoise.

A l’image des tensions avec les Etats-Unis au sujet des sociétés technologiques ou des relations qui s’enveniment avec l'Union européenne en raison du soutien implicite de la Chine à la Russie dans sa guerre contre l’Ukraine, de nombreux pays cherchent à se dissocier économiquement de l’empire du Milieu. Le mouvement de découplage est en marche et pourrait s'accélérer. De plus en plus d’entreprises internationales cherchent à diversifier leurs chaînes d'approvisionnement soit avec de nouveaux sous-traitants, soit en déplaçant une partie de la production dans d'autres pays d'Asie afin de réduire leur dépendance à l'égard de la Chine. Nous estimons que tant que ces tensions ne s’apaiseront pas, le climat des affaires restera incertain, décourageant les investissements, faisant fuir de nombreuses entreprises étrangères et impactant directement l’industrie manufacturière chinoise.

Bien que la Chine reste un des partenaires privilégiés pour bon nombre de pays occidentaux, l’Asie a vu s’affirmer au cours des dernières années, d’autres économies, comme l’attestent les chiffres du commerce international. Alors que la Chine voyait ses exportations baisser de près de 8,0% en 2022 par rapport à l’année précédente, crise du COVID oblige, la Malaisie, l’Indonésie ou encore le Vietnam ont vu une croissance positive de leurs exportations. Outre cette redistribution des cartes sur le plan asiatique, ces « petits » pays d’Asie du Sud-est jouissent d’un niveau de croissance et de développement que la Chine a connu il y a plusieurs dizaines d’années. Grâce à leurs importantes ressources naturelles, leurs populations actives, dynamiques et en forte croissance, ainsi qu’à la volonté de leurs gouvernements de se développer à l’international, de nombreux capitaux étrangers ont été attiré dans ces régions. Ainsi, la Malaisie, l’Indonésie et le Vietnam devraient croître respectivement de 4,0%, 4,9% et 6,2% en 2023, principalement guidés par le commerce international, mais également pas la consommation intérieure ainsi que par le retour du tourisme international et chinois. Les dépenses en infrastructures ont également un rôle important à jouer dans cette croissance à la vue de la dynamique de développement dans ces pays.

Du côté des risques, le ralentissement global représente le plus gros frein à cette progression, puisqu’un recul des exportations serait un coup dur pour ces trois pays. A cela s’ajoute des risques propres à chacun d’entre eux qui pourraient constituer un obstacle additionnel à la croissance: endettement du secteur immobilier au Vietnam, hausse du prix des matières premières et tensions géopolitiques en Malaisie ou encore recul du tourisme en Indonésie.

En définitive, bien que soumis à une volatilité croissante, investir dans les marchés émergents nous semblent toujours avoir du sens en raison de la décotte de ce couple croissance/valorisation qui reste attractif. Cependant, il conviendra de rester sélectif et prudent dans la manière d’allouer son capital. La classe d’actifs devrait être soutenue par la perspective d’une reprise de la croissance chinoise suite à la réouverture complète de son économie en 2023, effet qui ne sera que de courte durée. Au-delà de la Chine, qui reste un acteur majeur dans la zone, nous estimons que la région émergente offre de plus en plus d’autres opportunités. Aujourd’hui, nous favorisons en particulier la région d’Asie du Sud-est avec le Vietnam, la Malaisie et l’Indonésie en tête qui présentent des caractéristiques intéressantes en matière de modèle de croissance et de capacité à attirer les investissements étrangers.

A lire aussi...