Rachat d’entreprises familiales cotées: bonne ou mauvaise nouvelle pour le minoritaire?

Malek Dahmani, Bruellan

3 minutes de lecture

Ces dernières années, plusieurs retraits de la bourse de sociétés familiales par leurs actionnaires majoritaires ont suscité des critiques quant au traitement de l’actionnaire minoritaire.

En analysant plus en détail les opérations des dernières années, la situation est en réalité plus positive pour le minoritaire qu’il n’y parait, avec près de 90% de ces opérations validées sans contestation. 

Il y a quelques semaines, L Catterton, fonds de Private Equity partiellement détenu par Bernard Arnault, a annoncé une OPA au prix de 43 euros sur le fabricant de chaussure italien Tod’s. Ce montant représente une prime de 19% sur le cours de clôture de la veille de cette communication. Comparé au prix moyen des 6 mois précédents, la prime est de 25%.

Généreux? Pas assez pour certains minoritaires qui ont immédiatement demandé au fonds d’augmenter cette offre. Cette situation présente un air de déjà-vu. En 2022, les frères Della Valle, fondateurs de la marque, et détenteur de 65% du capital, ont déjà proposé aux autres actionnaires de racheter leur participation au prix de 40 euros, présentant ainsi une prime de 16% sur le cours moyen des 6 mois précédents. Dans leur effort, ils bénéficiaient du soutien de Bernard Arnault, deuxième actionnaire du groupe, avec 10% du capital. Si l’offre ne semblait pas très attractive, le montant était aussi trop symbolique: il s’agissait du même prix que celui de l’IPO en 2000. Cette tentative fut finalement infructueuse, un nombre insuffisant de titres ayant été apportés pour permettre le retrait de la bourse.

Les entreprises familiales présentent des caractéristiques uniques. C'est pourquoi nous sommes convaincus qu'elles méritent une approche dédiée. 

Cette fois-ci, L Catterton a décidé d’être plus offensif que ne l’ont été les fondateurs il y a deux ans. Il est déjà stipulé que si l’offre n’atteint pas le taux d’acceptation nécessaire, le fonds forcerait le passage d’un retrait de la cote, grâce au soutien des actionnaires majoritaires. Au vu de cet historique, on comprend assez vite les instigateurs et la stratégie derrière cette nouvelle offre.

Si nous valorisons les entreprises familiales dans nos portefeuilles en raison de leur capacité à créer de la valeur économique et à surpasser d'autres entreprises, nous demeurons également attentifs aux risques potentiels associés. Il est notamment essentiel de distinguer les risques systémiques des incidents isolés, souvent amplifiés par les médias pour leur caractère sensationnel. Est-ce que le cas de Tod’s est un évènement isolé ou fréquent dans notre univers d’investissement? 

Nous avons examiné les opérations de fusion et acquisition (M&A) réalisées dans ce domaine depuis 2018. Les résultats sont clairs: dans la grande majorité des cas, les actionnaires minoritaires ont été correctement rémunérés et ont considéré ces opérations comme positives, du moins sur le plan financier. Les litiges ne représentent qu'une petite fraction, moins de 10% des cas. Il est également notable, comme l'exemple de Tod's en 2022 l'illustre, que certaines opérations moins avantageuses ont été repoussées, soulignant ainsi l'importance des mécanismes de gouvernance. En analysant en détail ces opérations, nous avons ainsi été conforté dans nos intuitions mais avons également découvert quelques surprises.

Il y a eu 50 opérations de M&A d’entreprises familiales européennes cotées ces 6 dernières années. Elles ont concerné aussi bien des grandes capitalisations boursières comme Iliad ou Atlantia, que des plus petites comme Devoteam, IMA ou Bobst. Si 90% d’entre elles ont constitué une acquisition de la société concernée, les 10% restants ont été des fusions, comme Luxottica avec Essilor par exemple. Ces opérations ont concerné, sur la période, environ 8% des plus de 600 entreprises familiales cotées européennes, soit 1,5% chaque année. 

Nous avons constaté les caractéristiques suivantes: 

  • Des acquéreurs diversifiés: 53% de ces fusions & acquisitions ont été menées par les fondateurs ou la famille. Les 47% restants se répartissent entre sociétés cotées non familiales (22%), fonds de Private Equity (17%), et des groupes familiaux non présents au capital de la cible avant l’offre de rachat (8%).
  • Une prime attractive: en moyenne, la prime offerte sur le dernier cours non impacté par une annonce ou une rumeur de rachat a été de 33%. En fonction de la typologie des acquéreurs, on constate que les groupes familiaux ont proposé une prime moyenne inférieure à celle des autres types d’acheteurs, tout en restant dans les standards du marché: 30% contre 34%. Au sein du second échantillon, il existe des différences marquées: les fonds de Private Equity ont offert un montant supérieur de 29%, alors que les groupes cotés non familiaux ont eu tendance à mieux payer (+47%). Ces différences sont les mêmes, avec des amplitudes plus importantes, si on utilise comme point de référence le cours moyen des six mois précédents.

«En moyenne, la prime offerte sur le dernier cours non impacté par une annonce a été de 33%.»

  • Un timing rationnel: dans 30% des cas, l’offre proposée représentait un prix supérieur au cours le plus haut des dix années précédentes. Par contre, les opérations menées par les actionnaires familiaux n’ont abouti que dans 20% des cas à des prix au plus haut sur dix ans. Autrement dit, les actionnaires familiaux ont moins tendance que les autres à racheter leurs entreprises au plus haut du marché.

Nous avons aussi fait un dernier constat qui irait plutôt à l’encontre de certaines des situations habituellement évoquées dans la presse:

  • Des augmentations rares, mais menés par les familles: seulement 10% de ces 50 opérations ont reçu une amélioration de l’offre initiale, par exemple, pour finaliser le retrait de la cote des derniers actionnaires. Dans toutes les situations survenues, et contre toute attente, elles ont toutes été présentées par des actionnaires familiaux, portant la prime finale à plus de 50% du prix avant la première offre.

Ces observations montrent que les offres d'achat pour les entreprises familiales sont généralement attrayantes pour les actionnaires minoritaires. Leur niveau peut évidemment varier en fonction du pouvoir de négociation de l’acquéreur. Les acheteurs externes doivent notamment payer un prix plus élevé pour obtenir le contrôle. Le timing des rachats par les groupes familiaux reflète aussi une certaine rationalité. En effet, s’ils estiment que la valeur n’est pas correctement reflétée et qu’ils en ont les moyens, ils agissent en investisseurs convaincus en retirant de la bourse leurs actifs sous-valorisés.

Les résultats de notre analyse confirment que les entreprises familiales présentent des caractéristiques uniques. C'est pourquoi nous sommes convaincus qu'elles méritent une approche dédiée. Elles sont plus résilientes face aux fluctuations économiques et, grâce à la création de valeur, récompensent les actionnaires de manière satisfaisante. Ces caractéristiques comportent également des risques spécifiques, distincts de ceux des autres types d'entreprises, nécessitant une analyse approfondie, notamment de la gouvernance et des intentions des fondateurs.

 

Source: Bloomberg, Bruellan

A lire aussi...