Réflexions sur Davos

Thomas Höhne-Sparborth, Lombard Odier IM

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En cette année électorale où la moitié de la population mondiale est appelée à voter, les conversations entendues au WEF ont pris une tournure résolument géopolitique.

Le monde ne semble plus être ce qu’il était il y a un an. L’année dernière, la crise du coût de la vie était la principale inquiétude à court terme, en parallèle avec les risques liés à la nature et les conflits géoéconomiques. Mais cette année, le ton a changé. La «mésinformation» et la «désinformation» constituent les plus grandes craintes, suivies de près par la «polarisation sociétale» selon le rapport annuel des risques globaux réalisé par le WEF.

En cette année électorale où quelque quatre milliards de personnes seront appelées à voter, les conversations entendues à Davos ont pris une tournure résolument géopolitique.

La nature au centre de l’attention

Une seule chose demeure inchangée. Si la perception des risques à court terme a évolué, les risques liés à la nature arrivent toujours en tête des perspectives à dix ans. Les événements météorologiques extrêmes, les changements critiques qui se jouent dans les systèmes terrestres et la perte de biodiversité demeurent les principales préoccupations. Et pour cause. Une fois de plus, les records de chaleur ont été battus l’année dernière. Lors d’un événement sur le thème de la nature organisé par Lombard Odier pour donner le coup d’envoi à la semaine de Davos, le professeur Johan Rockström a rappelé que la planète allait inévitablement dépasser l’objectif clé de 1,5°C, le meilleur scénario étant une hausse d’au moins 1,7°C ou 1,8°C au cours des décennies à venir avant que nous ne puissions ne serait-ce qu’espérer redescendre à 1,5°C.

A Davos, les débats sur la transition vers le «net-zéro» et l’économie respectueuse de la nature ont pris vie lors de tables rondes et de conversations informelles. Désormais, le but du jeu est de savoir qui offre la bonne stratégie et les partenariats appropriés pour adopter rapidement des modèles d’affaires plus propres, plus écologiques et plus efficaces, qui seront synonymes de rupture dans des secteurs entiers. Dans les salles de réunion improvisées, il apparaît clairement que ces transitions ne seront pas une tâche facile. Mais elles pourraient permettre à ceux dont la stratégie est pertinente de progresser à grands pas.

Au-delà de l’intelligence artificielle et de ses nombreux effets de rupture qui se sont imposés au cœur de tous les débats à Davos, l’autre sujet à l’ordre du jour était incontestablement la nature. Entre les sessions consacrées aux risques menaçant le système alimentaire mondial et un «Dîner en faveur de la nature» très prisé, les participants au WEF ont voulu confronter une notion inévitable et de plus en plus claire: quels que soient les défis et les opportunités auxquels l’économie mondiale fait face, sa survie dépend des services écosystémiques offerts par le capital naturel, l’actif le plus productif au monde.

Les solutions commencent elles aussi à émerger. Reconnaître la valeur de la nature n’est que le début. Il faudra ensuite encourager les marchés à l’évaluer correctement et à allouer des capitaux à sa préservation et à sa restauration – une tâche qui sera bien plus difficile. Peu avant Davos, le Groupe de travail sur la publication d’informations financières relatives au climat (Task-Force on Climate Related Financial Disclosure, TCFD) a annoncé qu’un premier groupe de 320 entreprises avait signé le cadre tant attendu qui vise à encourager la déclaration des risques et opportunités liés à la nature. Lors d’autres tables rondes, les institutions financières désireuses de s’engager en faveur de la nature ont reconnu que, pour allouer des capitaux à grande échelle aux solutions fondées sur la nature, il fallait repenser l’allocation d’actifs. La nature doit devenir une nouvelle classe d’actifs.

Des opportunités d’investissement naissent de la création de chaînes de valeur régénératrices. Le café en est un bon exemple, chiffré à 225 milliards de dollars. Sa production est dominée par des monocultures tropicales, qui se caractérisent souvent par des rendements en baisse et des sols dégradés, et jusqu’à la moitié de cette production est menacée par le changement climatique. L’adoption de modèles axés non plus sur l’extraction, mais sur l’agroforesterie, ainsi que la reconstitution des écosystèmes (rewilding) et le raccourcissement des chaînes de valeur vers les consommateurs, pourraient faire partie de la solution, afin de commencer à réorienter les capitaux vers la nature à grande échelle et avec rapidité.

L’AI pour accélérer la transition

Au bout du compte, le sommet de Davos 2024 a-t-il changé la face du monde? Ce serait sans doute trop demander. Le monde évolue rapidement et le milieu des affaires réuni à Davos peine peut-être à suivre son rythme. Mais, sachant que les inquiétudes quant à la mésinformation et la cohésion sociale surabondent, le thème de cette année, «Restaurer la confiance», semblait bien choisi. Selon le Baromètre Edelman publié juste avant l’événement, la confiance accordée aux institutions et aux dirigeants est en baisse dans le monde entier. Mais aujourd’hui, les entreprises suscitent plus de confiance que les gouvernements. Compte tenu des tendances en matière d’innovation et des nouveaux défis mondiaux qui attendent les dirigeants d’entreprises et les investisseurs, conserver cette confiance s’avérera un exercice délicat.

Pour les investisseurs, les enseignements sont nombreux. La transition vers une économie décarbonée s’accélère. Des préoccupations parallèles, concernant par exemple la sécurité énergétique, l’accessibilité économique à l’énergie et l’énergie propre, convergent vers la même solution: une accélération des investissements dans les nouveaux systèmes énergétiques. La transformation des chaînes de valeur vers des alternatives plus régénératrices encouragera les investissements dans les nouvelles technologies, les nouveaux modèles d’affaires et les solutions fondées sur la nature. L’intelligence artificielle accélérera toutes ces transitions, rendant possibles des solutions qui surpassent les alternatives existantes en termes d’efficacité, d’impact environnemental et de rendement financier. La transition est en marche et les investisseurs présents à Davos semblent être prêts à y prendre part.

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