Pour une transparence crédible

Damien Contamin, BCGE

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L’exercice de transparence sur les questions climatiques repose sur deux piliers: la pertinence des informations générées et la robustesse des méthodologies adoptées.

Pour favoriser la transparence sur les questions climatiques, la Confédération a publié une ordonnance qui préconise de recourir aux recommandations de la Task Force sur le climat (TCFD). Ces recommandations dictent de faire la lumière sur le dispositif de gouvernance et de gestion des risques climatiques mis en place, sur la stratégie adoptée pour converger vers les ambitions de la Confédération en matière de réduction des émissions carbone et enfin sur les métriques et objectifs choisis pour évaluer et contrôler les efforts consentis. Ici, c’est le choix des métriques utilisés dans l’analyse du profil climatique d’un portefeuille d’investissement qui fait l’objet de notre attention.

En juin 2022, la Confédération publie les «Swiss Climate Scores»1. Son intention est de mettre à disposition une liste d’indicateurs permettant d’apprécier la trajectoire climatique d’un portefeuille d’investissement et de vérifier ainsi son alignement aux objectifs fixés par l’Accord de Paris. Si la pertinence de ces indicateurs ne fait guère l’objet de discussion, la fiabilité des méthodologies utilisées pour les générer mérite une analyse. Quelques indicateurs sont générés sur la base d’une simple déclaration d’intention. Il s’agit des indicateurs relatifs: à la part des entreprises dans le portefeuille affichant des ambitions crédibles en faveur du «net zero», à l’existence dans la stratégie d’investissement d’une volonté de convergence explicite vers le «net zero» ou à la part des entreprises du portefeuille faisant l’objet d’un engagement actif en faveur du climat. Etant le résultat d’une simple collecte d’information, leur fiabilité est maximale. Par contre, leur contribution à l’évaluation de la trajectoire climatique du portefeuille repose sur la sincérité des déclarations d’intention formulées. Une analyse crédible exige donc que ces indicateurs, qualifiés pour la cause de «dynamique», fassent l’objet d’un suivi dans le temps.

La pertinence d’une métrique ne justifie pas à elle seule sa publication. Il est primordial d’évaluer la fiabilité de la méthodologie employée ou du modèle utilisé pour la générer.

Concernant les émissions carbone (absolues et relatives) générées par les entreprises composant le portefeuille, leur calcul fait l’objet d’une évaluation. Si les méthodologies employées peuvent différer d’un fournisseur de données à un autre, ils tentent cependant tous de couvrir l’ensemble du périmètre de la chaîne de valeur, plus communément connu sous le terme de scopes 1 à 3. Or, plus on se situe en amont ou en aval de la chaine de valeur, moins l’évaluation est fiable. Pour y remédier, des initiatives tels que le Carbon Disclosure Project (CDP) ou les travaux menés par l’International Sustainability Standards Board (ISSB) ont émergé afin de faciliter la génération de données exploitables. Les rapports TCFD fournis par les entreprises devraient également y contribuer. Un niveau de complexité supérieur est atteint avec l’indicateur d’alignement du portefeuille à la trajectoire climatique définie par l’Accord de Paris. La question ici est de savoir quel serait le niveau de réchauffement global que nous observerions si l’ensemble des acteurs économiques affichaient les mêmes ambitions que celles des entreprises composant le portefeuille. Cet indicateur est évalué sur la base d’un modèle s’appuyant sur quatre types de données:

  1. les données scientifiques liées au climat: fréquence et sévérité des effets climatiques aigus et chroniques, comme la hausse de température;
  2. les données macroéconomiques pour appréhender, entre autres, les risques géographiques et industriels;
  3. les données microéconomiques comprenant les plans et objectifs de réduction carbone retenus par les acteurs économiques;
  4. les informations prévisionnelles tels que le CapEx ou l’OpEx témoignant de l’effort consenti pour ajuster le modèle d’affaires aux défis environnementaux.

La complexité de l’évaluation tient à l’imbrication de deux types de sous-modèles à eux seuls déjà bien complexes: les modèles de prévision climatique et financière. La fiabilité de l’évaluation de l’indicateur d’alignement est à la hauteur de la complexité inhérente au modèle. C’est pour cela d’ailleurs que, dans le cadre des «Swiss Climate Scores», sa publication est optionnelle. La complexité atteint son paroxysme lorsqu’on cherche à évaluer la Climate Value-At-Risk2. La CVar vise à mesurer la matérialité financière d’un portefeuille en fonction de l’occurrence de scénarios climatiques prédéfinis. L’ultra complexité des modèles sous-jacents les condamne à opérer sur la base d’hypothèses trop simplificatrices à ce jour pour que l’information à en retirer puisse être parfois considérée comme publiable.

Ainsi, la pertinence d’une métrique ne justifie pas à elle seule sa publication. Il est primordial d’évaluer la fiabilité de la méthodologie employée ou du modèle utilisé pour la générer. Une métrique peu fiable peut induire des décisions d’investissement inappropriées. Cette incertitude justifie que tout choix de publication de métrique s’accompagne d’une description précise de la méthodologie et des hypothèses inhérentes retenues pour assurer sa production. L’exercice de transparence ne se limite donc pas à la seule publication d’indicateurs mais aussi à une compréhension précise des méthodologies et approches utilisées pour les générer. Cette exigence justifie le point d’honneur que la Confédération met à favoriser une formation d’excellence en matière de finance durable, à tous les niveaux hiérarchiques des institutions financières. Il en va de la crédibilité de leurs démarches de transparence.

 

2 Cet indicateur ne fait pas partie des Swiss Climate Scores

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