Les CTA aiment l’anxiété autant que l’euphorie

Levi-Sergio Mutemba

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Le changement d’environnement économique et de marché crée de puissantes impulsions pour les suiveurs de tendance. Le point avec Alexis Grutter de La Financière de l’Échiquier.

L’incertitude crée de la volatilité. La volatilité, à son tour, suscite de la nervosité. Sauf pour les gérants alternatifs pour qui cette volatilité est une fidèle alliée. Ce qui est le cas des managers CTA. Dont la vocation est de capitaliser sur les tendances fortes. Au 6 décembre 2022, l’indice SG CTA Index affiche une performance de 18,83% depuis le début de l’année. De quoi amortir les pertes d’un portefeuille dont les poches actions et obligataires souffrent d’une inflation que le monde n’avait plus connue depuis près de 50 ans. L’indice actions MSCI World Index et l’indice obligataire FTSE G7 Government Bond Index perdent en effet tous deux près de 18% sur la période précitée.

Comment expliquer qu’une stratégie reposant sur un processus ou approche d’investissement relativement simple offre un tel pouvoir de diversification? Il existe plusieurs styles de gestion CTA. Mais, lorsque l’on se réfère au style de base ou «core trading style», les professionnels de l’investissement sous-entendent le concept de suivi de tendance ou «trend following».

«Le momentum fonctionne en raison de l’effet moutonnier des participants de marché.»

Dans une certaine mesure, le suivi de tendance peut être vue comme une extension d’un segment du factor investing consistant à s’exposer de façon systématique au facteur dit «momentum». C’est-à-dire à une prime de risque – ou source de rendement – créée spécifiquement par des anomalies de marché dérivant, en l’occurrence, des biais comportementaux des investisseurs. Comme le fait d’acheter ce qui est déjà évalué comme étant cher et vendre ce qui est perçu comme étant bon marché.

Ces biais créent des tendances fortes et persistantes au sein des classes d’actifs, sur la base desquelles le gérant CTA va pouvoir prendre des paris directionnels, à la hausse comme à la baisse. C’est en cela que la volatilité est favorable aux stratégies CTA. Elle est, pour ainsi dire, leur matière première. «Le momentum fonctionne en raison de l’effet moutonnier des participants de marché», précise Alexis Grutter, Portfolio Manager et spécialiste de la gestion alternative au sein de La Financière de l’Échiquier (LFDE).

«Un premier acheteur commence à acheter – ou à vendre –, suivi d’un deuxième, puis d’un troisième et ainsi de suite, ce qui finit par produire des tendances», nous explique Alexis Grutter, lors d’un entretien exclusif. «Nous essayons ainsi de capturer un grand nombre de tendances, haussières et baissières, sur du moyen à long terme et sur un grand nombre de classes d’actifs ou de sous-jacents, par le biais de positions sur des contrats à terme cotés et extrêmement liquides», ajoute le gérant de portefeuille.

La durée d’une tendance dépend essentiellement du temps que prennent les investisseurs pour intégrer de nouvelles informations. Il suffit à ces derniers d’être des humains, donc des êtres imparfaits et réfléchissant de manière différente les uns par rapport aux autres, pour que la stratégie fasse ses preuves. «Si tous les humains devenaient des robots, les prix s’ajusteraient de façon quasi automatique et il n’y aurait donc pas de possibilité d’arbitrage», souligne Alexis Grutter.

Toutefois, toute tendance a une fin. Et la fin d’une tendance ne signifie pas nécessairement que celle-ci s’inversera pour créer une tendance durable en sens opposé. L’absence de tendance est en effet un régime de marché pouvant perdurer et donc pénaliser une stratégie CTA core. Celle-ci n’est donc pas sans écueil, à moins d’être en mesure d’adapter le modèle de gestion. C’est pourquoi Alexis Grutter et son équipe complètent le suivi de tendance par une stratégie satellitaire comme le retour vers la moyenne.

Les conditions favorables aux CTA existaient déjà avant 2022.

«Les stratégies de retour vers la moyenne consistent à exploiter l’inversion de tendance ou à chercher à générer de la performance au sein d’un marché sans tendance», insiste le gérant. Cette configuration apparaît lorsque de nouvelles informations ont été finalement intégrées par les investisseurs, suite à un écart excessif des prix par rapport à leur moyenne ou juste valeur. «Cette stratégie satellitaire vise à assurer une adaptation rapide aux changements d’environnement de marché, ce qui permet de très vite couper les pertes en nous positionnant rapidement en fonction du nouveau régime», poursuit Alexis Grutter.

Kevin Donohoe, Head of Research chez Abbey Capital, rappelle dans un podcast publié le 19 octobre par l’Alternative Investment Management Association (AIMA), que les conditions favorables aux CTA existaient déjà avant 2022. «En 2019, par exemple, nous avons observé de brusques mouvements de marché sur les marchés obligataires, lorsque les taux d’intérêt avaient subitement baissé, créant des opportunités pour les gérants CTA», se souvient Kevin Donohoe. «De même en 2020, le Covid-19 a introduit d’importants événements de marché ayant provoqué une forte volatilité au sein des actions et des matières premières, notamment», rappelle l’expert d’Abbey Capital.

Idem en 2021, lorsque la fin des restrictions sanitaires avait créé un environnement déflationniste et suscité de très fortes tendances sur l’ensemble des classes d’actifs et, en particulier, sur les matières premières. De l’énergie aux métaux en passant par les matières agricoles. «Aujourd’hui encore, l’environnement inflationniste a provoqué la normalisation des politiques monétaires, ce qui a fait des marchés des matières premières un marché de tendances fortes», conclut Alexis Grutter, dont l’équipe de gestion a ajouté cette année les commodities parmi les classes d’actifs couvertes par le fonds alternatif Echiquier QME.

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