La réalité de la «grande réouverture»

Haiyan Li-Labbé, Carmignac

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Malgré le relent d’optimisme qui a suivi la réouverture de l’économie, les consommateurs chinois restent prudents et sélectifs.

En tant que gérante spécialisée dans les marchés émergents basée en Europe, j'ai toujours apprécié mes voyages sur le terrain. Observer les dernières innovations, s’entretenir avec les représentants des entreprises et des habitants (y compris les membres de ma propre famille, une véritable mine d’information…) et mesurer l'impact des politiques gouvernementales constitue vraiment une expérience incroyable. C'est pourquoi, après plusieurs années de confinement, j'ai été ravie de retourner en Chine pour apprécier la réalité de la «grande réouverture» dont nous avons tant entendu parler.

Économie: une reprise portée par les services locaux

En Chine, les restrictions consécutives à la politique zéro-covid ont été levées. Dans les petits villages comme dans les grandes villes, la vie a repris son cours. La consommation locale (services, hôtels et restaurants) semble s'être redressée avec une forte reprise de l'activité. La consommation pourrait même devenir le principal moteur de la reprise en 2023, avec un rebond attendu de plus de 8% en 2023 après une contraction l'année dernière.

Néanmoins, la pandémie a eu un impact significatif sur l'économie et la société chinoises. Nous avons assisté à une baisse du niveau de l'emploi et des revenus des ménages, ainsi qu'à une augmentation de leur épargne, la population souhaitant maintenir une certaine stabilité financière dans un climat d’incertitude.  

Malgré le relent d’optimisme qui a suivi la réouverture de l’économie, les consommateurs chinois restent prudents et sélectifs. Les ventes d’articles les plus onéreux ne redémarrent pas. Le «revenge spending», que l’on pourrait traduire par «la revanche du shopping», ne joue pas son rôle de locomotive et la consommation discrétionnaire, c’est-à-dire les biens et les services non essentiels, n’a pas atteint le rythme qui était attendu.

Nous pensons que la trajectoire des dépenses de consommation en Chine sera similaire à celle des États-Unis et de l'Europe au début de 2021.

L'adoption rapide des nouvelles technologies a eu un effet d'entraînement, faisant de la Chine l’un des pays les plus développés en termes de numérisation.
L'immobilier ne sera pas un moteur de croissance

Même s’il est trop tôt pour se forger une idée précise de la reprise dans le secteur du logement, certaines données rendent compte d’une amélioration. Elles traduisent la reprise des prix et des ventes de logements, ainsi que l’impact des mesures prises par les pouvoirs publics en matière de financement, d'assouplissement de la réglementation et d'abaissement des taux d'intérêt hypothécaires. Les transactions sur le marché secondaire devraient également connaître un rebond respectable cette année.

Malgré ces développements positifs, le marché immobilier ne constitue pas, selon nous, un futur moteur de croissance pour la Chine. Compte tenu de l'affaiblissement du marché primaire, les investissements immobiliers devraient se contracter en 2023, et ce même après la baisse de 10% constatée en 2022.

En politique, le pragmatisme l’emporte

Nous avons observé que les gouvernements locaux faisaient davantage preuve de pragmatisme dans l'application des politiques du gouvernement central. Nous en déduisons qu’ils ont appris des erreurs du passé et qu’à l’avenir, ils géreront les budgets locaux et appliqueront les mesures du gouvernement central avec plus de réalisme et de parcimonie.

À l'échelle nationale, le nouveau Premier ministre chinois, Li Qiang, a cherché à rassurer le secteur privé et le monde des affaires sur la position pro-entreprise de Pékin, soulignant le désir de créer une atmosphère de «respect» envers les entrepreneurs – une déclaration rare de la part d'un dirigeant chinois. Il a également affirmé que la Chine continuerait à s'appuyer sur l'ouverture (et les réformes) pour atteindre son objectif de croissance à long terme. En pratique, cela signifie que le pays continuera de s'aligner sur les règles commerciales internationales les plus exigeantes et d’améliorer les services publics offerts aux entreprises étrangères.  Ces annonces sont très encourageantes.

Société: les bienfaits de la modernisation

Malgré trois années de restrictions, il est clair que le mouvement d’urbanisation n’a pas ralenti sa course. L'adoption rapide des nouvelles technologies a eu un effet d'entraînement, faisant de la Chine l’un des pays les plus développés en termes de numérisation. La Chine est même devenue le leader mondial des technologies renouvelables, devançant les autres pays par sa capacité de production de cette électricité verte. Il en résultera d'importantes opportunités d'investissement à long terme.

Selon nous, le concept de «prospérité commune», souvent remis en question en Occident, participe positivement à la stabilité sociale et la voie de la Chine vers la durabilité, mais certains problèmes demeurent. Premièrement, le niveau élevé de la dette des gouvernements locaux et deuxièmement, l'absence de solution visible, véritablement efficace, à la pression démographique chinoise. En outre, le coût de la vie et de l'éducation reste élevé. La réforme du secteur du soutien scolaire n'a pas eu l'effet escompté, les parents continuant de payer des frais beaucoup plus élevés pour des cours particuliers.

Géopolitique: incertitude à venir

S'il est clair que les États-Unis et la Chine resteront de grands rivaux et que les citoyens chinois ne s'attendent pas à un «réchauffement» des relations entre les deux pays, leur découplage semble structurel et négatif pour la Chine. De même, aucune solution satisfaisante n’émerge pour développer les semi-conducteurs. Notre voyage en Chine ne nous a pas rassuré en la matière. Les tensions avec Taïwan sont également un sujet de préoccupation qui pèse sur le pays et sur le cours des actions mondiales.

Compte tenu des tensions géopolitiques, la prime de risque des actions chinoises restera élevée. Nous choisissons par conséquent d'éviter les entreprises chinoises fortement exposées à de telles difficultés (comme les fabricants de semi-conducteurs et de puces).

La croissance chinoise reste supérieure à la moyenne

Malgré certains défis évidents, la Chine restera, avec l'Inde, l'économie mondiale à la croissance la plus rapide cette année, avec une croissance de plus de 5% (confirmée par les dernières données sur le PIB) et, surtout, une croissance de meilleure qualité.

En outre, après deux années de repli, les entreprises chinoises affichent des valorisations attrayantes, rachètent leurs actions, augmentent leurs dividendes et, comme l'illustrent plusieurs annonces récentes  (Alibaba et JD.com scindant leurs activités en plusieurs entités cotées), elles tentent de jouer le jeu de la transparence, ce qui est plus avantageux en termes de génération de flux de trésorerie.

Les entreprises les mieux positionnées sont celles qui présentent une bonne dynamique de l'offre et de la demande sur le marché intérieur, ainsi que les entreprises capables de «s'internationaliser», les sociétés chinoises étant de plus en plus nombreuses à tenter  d'atteindre les consommateurs du monde entier.

Même si la grande réouverture continuera de connaître quelques accrocs, notre expérience en Chine nous a confortés dans l'idée qu'il existe de nombreuses raisons d'être optimiste, même si la sélectivité reste essentielle.

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