Avec le temps

Martin Neff, Raiffeisen

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Plus le temps passe, plus nous voyons notre quotidien habituel se fondre au loin et nous nous habituons subrepticement à cette nouvelle vie inaccoutumée.

Cette année, Pâques ne s’est pas déroulée comme prévu. Il suffit de voir les images du Gothard – pas âme qui vive dans les rues, comme désertées. Quand avons-nous vu cela pour la dernière fois? Il est probable que vous aussi vous n’ayez pas fait à Pâques ce que vous aviez prévu ou faites d’habitude. Les voyages lointains étaient de toute façon impossibles, mais même les destinations habituellement prisées à proximité n’étaient guère fréquentées, à quelques exceptions près comme nous avons pu l’entendre dans les nouvelles.

Lentement, la population suisse s’habitue à rester à la maison. Pas étonnant, puisque la situation perdure. Plus le temps passe, plus nous voyons notre quotidien habituel se fondre au loin et nous nous habituons subrepticement à cette nouvelle vie inaccoutumée. Même si les gens pensent généralement que trois semaines suffisent, les éthologues estiment qu’il faut plus de temps, environ deux mois, pour que les humains changent une habitude ou en adoptent une nouvelle. C’est la répétition volontaire ou involontaire qui nous l’enseigne. Le coronavirus nous oblige en quelque sorte à adopter de nouvelles habitudes ou à en abandonner d’autres.

Au plan microéconomique, le coronavirus a changé notre optimum de consommation, parce que notre fonction d’utilité n’est plus la même, forcément, puisque nous avons dû adapter nos préférence aux circonstances nouvelles. Plus de dépenses pour des voyages, des excursions, des concerts ou des manifestations sportives, mais peut-être un peu plus pour des livraisons à domicile, quelles qu’elles soient. Une grande partie de la population passe sans doute aussi beaucoup plus de temps devant de quelconques écrans que d’habitude et va peut-être se coucher plus tôt ou plus tard que de coutume. Il en résulte une courbe de la demande totalement modifiée et plus le coronavirus durera, plus certains schémas comportementaux et préférences seront adaptés de façon durable, voire irréversible.

Cela laisse des traces sur l’offre. Le prix du pétrole est aujourd’hui ridiculement bas, les compagnies aériennes sont littéralement clouées au sol et le secteur du tourisme périclite.

Le coronavirus maintient des taux bas

Si l’on s’en tient à l’évolution des cours de bourse, il semblerait que les places financières s’attendent à une normalisation prochaine de la situation. L’effondrement des marchés s’est arrêté à la mi-mars et la nervosité a cédé la place à un regain d’optimisme. Les cours ont connu une hausse historique aux Etats-Unis, alors que la vague du coronavirus était sur le point de submerger le pays. Ce sont évidemment les promesses d’argent massives de la Réserve fédérale et de Donald Trump qui ont apaisé les marchés. Mais les autorités monétaires ont notamment dû sortir l’artillerie lourde pour éviter la panique sur les marchés. Les baisses de taux rapides et fortes s’étaient précédemment envolées en fumée sur les marchés. Nous en sommes de nouveau au cycle maximal de la politique financière et monétaire et à l’issue de ce cycle, les dettes des Etats auront à ce point échappé à tout contrôle que leur service ne pourra plus être garanti qu’en maintenant les taux artificiellement bas.

Grâce au coronavirus, le marché devrait pourvoir continuer à bénéficier d’argent pas cher. Cependant, le retournement de tendance à la bourse va sans doute plus loin. Les acteurs du marché espèrent voir un «V» et non un «U». Un «V» signifie un fort revers conjoncturel, mais aussi un rebond massif dans le sillage de la normalisation post-coronavirus. Un «U» symbolise en revanche un maintien au plus bas après la chute et une remontée tout aussi lente jusqu’à la normalisation. Le marché négocie actuellement le «V». Le «V» signifie bien sûr aussi, que nous retrouverons tous rapidement nos vieilles habitudes et qu’il n’y aura donc en quelque sorte qu’un léger accroc dans la courbe de la demande. 

Un double choc

Ces deux scénarios, «V» ou «U», auront de toute façon un fort impact sur l’économie. Nous le voyons au niveau mondial avec la hausse massive du nombre de chômeurs. En Suisse aussi, le marché du travail subit une forte pression. Les effondrements de la performance économique mondiale au deuxième trimestre devraient prendre des proportions historiques, ce qui ne se reflète pas encore dans les données actuelles sur le marché du travail. Selon le pays et l’existence de stabilisateurs automatiques, tels que l’indemnité de chômage partiel, le marché du travail en sera plus ou moins affecté. 

Dans le monde entier et notamment dans les économies les plus développées, encore plus de personnes seront confrontées à des rigueurs économiques dans les prochains mois. Le coronavirus nous préoccupera tout au long de l’année et nous ne devrions pas retrouver une vie normale en 2020, même si les Danois, les Autrichiens ou les Espagnols prévoient désormais des assouplissements et que nous suivrons certainement tôt ou tard. 

La bourse est donc bien à son niveau actuel. Elle ne table plus sur la fin du monde, mais ne se situe plus non plus à des hauteurs vertigineuses. Désormais, la société et l’économie doivent d’abord digérer le double choc de la récession et du coronavirus, avant que nous sachions où nous allons. Le «V» pourrait aussi tourner court. Si nous sommes différents à l’avenir, comme récemment à Pâques.

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