Aux premiers jours d’une nouvelle normalité?

Nicolette de Joncaire

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Des rendements obligataires émergents inférieurs à ceux des T-bills: le prix à payer pour une politique budgétaire extravagante selon Louis-Vincent Gave de Gavekal.

La semaine dernière, les rendements des obligations des marchés émergents en devises locales sont tombés au-dessous de ceux des bons du Trésor américain. Un évènement exceptionnel qui coïncidait avec le jour où le 10 ans US a franchi la barre symbolique de 5%. Un incident si singulier que Bloomberg n’a pas hésité à le qualifier d’aberration.

Mais comme le rappelle Louis-Vincent Gave, «lorsque les rendements des Bunds allemands sont tombés en dessous de ceux des UST en 1982, les gens ont estimé qu'il s'agissait d'une aberration. Et les rendements des Bunds allemands sont ensuite restés inférieurs aux rendements américains pendant 40 ans (à l'exception d'une brève période autour de la réunification).»

Politiques monétaires divergentes

Selon Bloomberg, le rendement des obligations américaines a augmenté d'environ 140 points de base au cours des cinq derniers mois. Sur la même période, le taux de l'indice Bloomberg Global Emerging Markets Local Currency Government Universal Index n'a progressé que de 20 points de base, les investisseurs des marchés émergents pariant sur des baisses de taux d'intérêt après un cycle de hausses agressives. L'indice de 23 pays, qui comprend de grandes économies comme la Chine et l'Inde ainsi que des économies plus petites comme la Colombie et la Roumanie, s'est négocié avec une décote de 8 points de base par rapport aux bons du Trésor la semaine dernière.

«Le marché nous dit que les prix US devraient inclure une prime de risque plus élevée que celle que nous leur attribuons.»

Les pays émergents ayant commencé à abaisser leurs taux d’intérêt alors que les États-Unis continuent à augmenter les leurs, cet écart est-il donc imputable à une désynchronisation des politiques monétaires entre banques centrales des pays émergents et développés?

«Partiellement, nous répond Louis-Vincent Gave, mais cette explication est loin d’être suffisante. Ce n’est pas la première fois que les politiques monétaires sont désynchronisées entre pays développés et pays en développement mais jamais n’avions nous observé un rendement des obligations émergentes inférieur à celui des T-bills par le passé».

Parallèlement, la volatilité des marchés émergents converge entre pays en développement et pays avancés. C’est vrai pour les monnaies, et cela se confirme aussi ailleurs: «La volatilité des marchés actions brésiliens est plus faible que celle des marchés US. Encore du jamais vu» commente Louis-Vincent Gave.

Aberration ou nouvelle normalité

Alors est-ce bien une aberration qui disparaitra sans laisser de traces ou faut-il chercher ailleurs une explication … à plus long terme?

«Ce que le marché nous dit est que les prix US devraient inclure une prime de risque plus élevée que celle que nous leur attribuons» continue Louis-Vincent Gave. «Il nous ferait ainsi comprendre que la combinaison de politiques monétaire et fiscale extravagantes – tout particulièrement pendant la pandémie – a un prix. Il nous dirait que le gouvernement américain ne peut continuer à s’endetter pour financer son infrastructure et une présence militaire sur plusieurs fronts sans que les marchés obligataires ne le lui fasse payer.».

Ce qui fut considéré comme une aberration sur la relation entre les rendements des obligations allemandes et américaines en 1982 est devenu la norme. Peut-être sommes-nous aux premiers jours d’une nouvelle «normalité» qui ne ressemble pas à ce que nous connaissons.

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