Un nouvel âge d’or

Nicolette de Joncaire

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«L’investissement doit être conditionné par les grandes tendances structurelles», estime Meret Gaugler de Lombard Odier.

L’humanité vieillit, le nombre de retraités augmente. En 2050, la proportion de personnes âgées de plus de 65 ans aura doublé pour atteindre 16,7% de la population mondiale1. En matière d’investissement, la thématique du vieillissement n’est plus une nouveauté. Il est moins nécessaire aujourd’hui de souligner pourquoi la tendance est importante que comment il convient d’aborder cet eldorado possible. Entretien avec Meret Gaugler, co-gérante du fonds Golden Age chez Lombard Odier Investment Managers.

Vous estimez qu’il n’est plus nécessaire d’expliquer le pourquoi de la Silver Economy. Pourtant certains enjeux sont encore mal compris. Pouvez-vous y revenir?

Il est exact que si les enjeux du vieillissement sont dans l’ensemble bien compris des entreprises, ils le sont parfois moins des investisseurs. En quelques mots: nous constatons que le dynamisme économique s’est affaibli avec des taux de croissance du PIB mondial de l’ordre de 2% alors qu’ils se situaient entre 3 et 4% il y a quinze ans. Il ne s’agit pas là d’une fin de cycle mais bel et bien d’un trend structurel associé, selon notre analyse, au renversement progressif de la pyramide des âges avec son cortège de baisse de productivité et de coût social en hausse. La démographie est une des raisons clé à l’origine de la décroissance et du très faible taux d’inflation. En conséquence, les rendements historiques observés dans les années 1980-90 ne se reproduiront probablement pas aussitôt. Ni sur le cash, ni sur les obligations, ni sur l’immobilier. Le rêve d’enrichissement perpétuel est terminé ; les entreprises l’ont bien intégré mais les investisseurs peinent encore. Reste maintenant à identifier les opportunités d’un nouvel univers et en particulier de cette classe de baby-boomers (soit les plus de 55 ans) qui domine la consommation parce qu’ils sont deux fois plus nombreux que les générations précédentes et suivantes avec des revenus bien supérieurs et parce que l’assouplissement quantitatif a sauvé leur épargne.

Lors de la hausse du Nikkei en 2013,
les principaux bénéficiaires en ont été les retraités.
Quelles sont les grandes caractéristiques de cette classe de consommateurs?

Leur comportement est différent de celui des autres classes avec une sensibilité moindre aux périodes de crise et aux prix (y compris les biens de consommation discrétionnaire qui souffrent normalement des phases de dépression et même sur l’immobilier). Les secteurs sur lesquels ils sont le plus actifs sont la consommation discrétionnaire et non-discrétionnaire, la finance et la santé. Observation intéressante: alors que l’on imaginait il y a une dizaine d’années que les classes vieillissantes auraient une attitude «risk-off» en matière d’investissement, c’est l’inverse qui s’est avéré. Aisée, cette classe d’âge se montre volontiers prête à prendre des risques. Prenons l’exemple du Japon, terrain particulièrement intéressant en raison de sa structure démographique. Lors de la hausse du Nikkei en 2013 (près de 60%), les principaux bénéficiaires en ont été les retraités, soit 25% de la population qui détenait plus de deux tiers des avoirs net financiers du pays. Ce phénomène n’est pas limité au Japon, on le retrouve ailleurs. Aux Etats-Unis par exemple où les retraités ont été les premiers à profiter de la reprise des marchés au lendemain de la crise financière. Pour les entreprises bien positionnées, cette clientèle est très séduisante: ses dépenses ralentissent peu en période de crise et remontent rapidement en période de reprise.

Quelle est l’évolution de cette classe en chiffres?

Aux Etats-Unis, 10'000 baby-boomers partent chaque jour à la retraite. Au Japon où la problématique est exacerbée par l’absence d’immigration, chaque année, deux personnes quittent le monde du travail pour une qui y entre. D’où l’accent sur la robotisation.

Comme investisseur, comment jouez-vous ces cartes?

En portant notre attention sur les entreprises dont la croissance n’est pas conditionnée principalement par le cycle mais par la tendance de fond. Il faut comprendre combien il est important d’être positionné du bon côté des grandes tendances structurelles dans un monde à faible croissance. La concurrence est rude et une société est très bonne … ou n’est rien.

 Le risque d’échec des essais cliniques est un multiple de celui des autres maladies
car la variabilité est immense et les résultats statistiquement non fiables.
De quelle manière le faites-vous?

En évitant les corrélations simplistes. Prenons l’exemple de la santé. Qui dit vieillissement dit aussi augmentation des cancers. A priori donc, investir sur les thérapies oncologiques peut sembler prometteur. Mais toutes les médications n’ont pas le même avenir alors que les coûts sociaux explosent et que les inégalités se creusent. Dans les systèmes où la santé est à la charge de tous et non du patient, la thérapie cellulaire par exemple peut représenter des coûts inacceptables car elle ne peut être généralisée pour l’instant. Je ne suis pas ici pour vanter les résultats de l’un ou de l’autre mais en oncologie, les techniques off-the-shelf à coûts bas me paraissent avoir davantage de potentiel.  

Et dans le domaine des maladies neuro-dégénératives?

Les besoins sont immenses et urgents. Mais les réussites se font attendre. J’ai fait ma thèse avec Patrick Aebischer à l’EPFL justement sur la maladie de Parkinson. C’est dire combien j’aimerais soutenir la recherche et les efforts dans ce domaine. Malheureusement, du point de vue financier, le rapport risque/rendement reste peu convaincant. Le risque d’échec des essais cliniques est un multiple de celui des autres maladies car la variabilité est immense et les résultats statistiquement non fiables. Alzheimer est un syndrome dont les causes et les manifestations sont hétérogènes d’un patient à l’autre et chez le même patient à des moments différents. Le diagnostic est évalué principalement sur la base d’un questionnaire dont la fiabilité est contestable et il n’existe pratiquement aucune technique objective d’évaluation de la maladie et donc de ses traitements. L’échec de Biogen en mars (et l’effondrement boursier qui en a résulté soit près de 20 milliards de dollars) en sont un nouvel exemple. Les maladies neuro-dégénératives ont mis les grands laboratoires en échec jusqu’à présent. La solution que je vois se dessiner est une mutualisation des coûts de recherche partagés par les entreprises pharmaceutiques destinées à s’allier dans certains domaines tels que celui-ci.

Le rouge à lèvres est classé comme consommation non discrétionnaire (traduisez indispensable)
et les marques ont su tabler sur des égéries mûres ou âgées.
Alors où sont les vraies opportunités?

Dans le conseil aux investisseurs et la gestion d’une épargne indispensable au financement d’une vie longue (soit 15% des montants que nous investissons). Dans la santé – sur certaines thérapies cardiovasculaires, les implants orthopédiques, les assurances-maladies (managed care) ou les technologies qui visent à réduire les coûts –, soit 40% de notre portefeuille. Sur la gestion discrétionnaire (15%) où je noterai ici l’acquisition LVMH-Belmond dans le secteur de l’hôtellerie d’exception, qui offre aux consommateurs de vivre une expérience unique bien plus prisée que l’achat de simples biens de consommation. Et les services de pompes funèbres… Mais aussi dans la consommation non discrétionnaire avec pour exemple Estée Lauder.

Les cosmétiques?

Et oui, le rouge à lèvres est classé comme consommation non discrétionnaire (traduisez indispensable) et les marques ont su tabler sur des égéries mûres ou âgées comme Andie McDowell ou Jane Fonda. Mais elles incluent aussi les suppléments nutritionnels, les cultures bactériennes et tout ce qui peut prévenir le diabète dans les populations moins sainement nourries… comme aux Etats-Unis.