Tout savoir sur l’inflation d’ici 10 ans

Emmanuel Garessus

4 minutes de lecture

La transition énergétique relèvera le niveau des prix, ce qui aura un effet majeur sur les politiques monétaires et la valorisation des actifs, selon Pierre Blanchet d’Amundi.

Les attentes d’inflation sont au coeur des stratégies d’allocation de portefeuille. Amundi Investment Institute publie précisément un rapport sur ses prévisions d’inflation aussi bien pour le court terme que pour les 10 prochaines années qui intègre les effets de la transition énergétique. Le rapport contient également les attentes de rendement annuel à 10 ans. Celles-ci devraient par exemple s’élever à 7,2% pour les actions européennes et de 2,9% pour les obligations souveraines de la zone euro. Pierre Blanchet, membre du Comité de direction de l’Amundi Investment Institute, répond aux questions d’Allnews:

Est-ce que vos attentes d’inflation se distinguent-elles du consensus et des banques centrales?

L’inflation devrait être un peu plus tenace que ne l’attend le consensus. Le processus sera lent, d’autant que l’inflation a été forte et qu’elle s’est diffusée sur l’ensemble des chaînes de valeur et des segments économiques. L’inflation moyenne américaine devrait légèrement dépasser 2% en 2025. Elle revient à la cible de 2% mais sera volatile. Il faut que toutes ses composantes soient épuisées pour assister à une stabilité des prix. Aux Etats-Unis, le processus passe pour l’essentiel par le secteur des services, donc du marché du travail, lequel reste en tension. 

Le ralentissement de l’économie américaine favorise par ailleurs le recul de l’inflation.

Est-ce qu’elle sera plus tenace en Europe ou aux Etats-Unis?

L’inflation devrait être plus tenace en Europe parce qu’elle est répandue sur l’ensemble des économies et n’est pas concentrée sur un secteur. 

En outre, l’une des raisons qui explique la baisse de l’inflation en Europe provient de la baisse des prix de l’énergie. Si une reprise de ces prix devait se produire, l’inflation pourrait rebondir. La trajectoire de l’inflation en Europe est plus sujette à la volatilité et elle sera probablement plus lente. C’est pourquoi la baisse des taux directeurs devrait survenir un peu plus tard en Europe qu’aux Etats-Unis. La Fed devrait baisser ses taux au 2e trimestre après avoir obtenu la confirmation que le pivot était acté.

Il en résultera une croissance économique un peu plus faible et une hausse de 0,5 à 1 point d’inflation supplémentaire

Est-ce que votre stratégie d’investissement exprime l’attente d’une hausse des actions et des obligations?

Nous sommes aujourd’hui plutôt positifs sur les obligations et un peu moins sur les actions. Notre vue sur les marchés en 2024 s’intitule «changement de marée» parce que nous proposons de nous repositionner progressivement sur les actions. 

L’image de la marée est double: Sur les taux courts, elle traduit le passage de la marée haute à la marée basse. Sur les actions, elle exprime l’arrivée d’un nouveau mouvement haussier. C’est la classe d’actifs qui permettra de participer au nouveau cycle économique, celui de desserrement de la contrainte monétaire et d’un redémarrage conjoncturel. Nous sommes toutefois réservés en ce moment et nous ne serons positifs sur les actions que le jour où nous seront pleinement investis. 

Les perspectives économiques sont intéressantes avec ce nouveau cycle, notamment avec l’intégration de l’intelligence artificielle dans les processus industriels, et avec celle de la transition énergétique.

Vous analysez aussi les perspectives d’inflation d’ici 10 ans. Quel est le résultat de vos recherches?

Nous avons surtout tenté de mesurer l’impact de la transition énergétique sur l’inflation. Il en résultera une croissance économique un peu plus faible et une hausse de 0,5 à 1 point d’inflation supplémentaire. Ce supplément de hausse des prix est très important puisqu’au lieu de 1 à 2%, l’inflation passerait en permanence vers la tranche haute du régime d’inflation précédent.

Quelles en sont les raisons?

La première raison tient à l’intégration tant directe qu’indirecte du prix du CO2 et à la hausse des coûts liés aux changements substantiels qui doivent être mis en place. Ceux-ci concernent plusieurs éléments: les processus de production, en particulier à travers la relocalisation (re-shoring), les ajustements à la hausse des contrats sociaux, et l’attention accrue accordée à l’utilisation des ressources et de l’environnement. Nous prenons aussi en compte le coût qui en résulte sur les finances publiques à travers le soutien social. 

Le deuxième élément concerne les gains de productivité, lesquels compensent partiellement le premier élément.

Nous avons voulu prendre en compte tous les paramètres. Certains autres facteurs interviennent aussi, comme le vieillissement démographique.

Si par exemple le taux d’équilibre n’est plus à 2 ou 3% mais à 4%, la valorisation des actions sera comprimée pour intégrer le nouveau taux sans risque. 

Qu’entendez-vous par le coût social de la transition écologique?

Les coûts sociaux sont multiformes. Une partie de la population n’a par exemple pas les moyens de réaliser les travaux immobiliers nécessaires (isolement, chauffage). De plus, la transition énergétique mène à des changements industriels qui se traduisent par des suppressions d’emplois. Certaines populations se verront exclues du marché du travail.

Quand vous l’évaluez à 0,5 à 1 point de pour-cent l’impact sur l’inflation, est-ce une moyenne mondiale, sachant que les Etats-Unis et la Chine semblent davantage profiter des changements que l’Europe?

Cette hausse porte sur les facteurs structurels pour l’ensemble de l’économie mondiale. L’impact sera fonction du degré d’intégration des économies ainsi que de son rythme. Plus la transition se fait tôt et de façon coordonnée  et moins elle sera chère. Plus elle sera tardive et désordonnée et plus elle coûtera. 

Les conflits géopolitiques violents et les luttes d’influence empêchent précisément l’effort de coordination des politiques d’ajustement et augmentent les coûts. 

L’Europe est très en avance par rapport au reste du monde dans le processus de transition. Et en son sein, la France profite de son mix énergétique qui accorde une place significative au nucléaire. Mais l’Allemagne est plus en avance dans d’autres domaines, comme le traitement des déchets.

Est-ce que cette hausse de 0,5 à 1 point est à prendre en compte chaque année ou le résultat d’un cumul sur 10 ans?

Nous la calculons en moyenne sur un cycle, lequel sera donc non plus de 1,5 à 2% mais de 2 à 2,5 ou même 3%. Cela peut paraître modeste mais l’effet de la transition est important sur la politique monétaire. Si le nouveau niveau de l’inflation n’est pas 2 mais 2,5%, le risque existe que la politique monétaire devienne trop restrictive, sauf si les banques centrales modifient leur objectif de 2%.

Quel sera l’effet sur les marchés financiers?

Sur les marchés financiers, on distingue entre le régime à 2% et celui au-dessus de 3%. Ce petit point d’écart a un impact important. Les taux l’intérêt d’équilibre en deviennent 50% plus élevés. La volatilité est aussi plus forte parce l’inflation est créatrice de volatilité sur les actifs financiers. Si la banque centrale est plus restrictive, cela pèsera sur la valeur des actifs. 

Si par exemple le taux d’équilibre n’est plus à 2 ou 3% mais à 4%, la valorisation des actions sera comprimée pour intégrer le nouveau taux sans risque.

Est-ce que l’objectif d’inflation des banques centrales, souvent à 2%, sera remis en question?

Cet objectif de 2% est l’objet de longs débats. La BCE n’a pas atteint cet objectif durant plusieurs années. Dans un contexte différent, avec un niveau d’inflation supérieur, la question se pose pour d’autres raisons. 

Il est très difficile pour une banque centrale de changer d’objectif. Et il est donc improbable qu’elle annonce que ce n’est plus 2 mais 3% à court terme. La crédibilité de l’institution serait en jeu. Plus probablement, d’abord l’ajustement sera verbal. On parlera peut-être d’un objectif moyen de 2% ou d’un écart autour de 2%. A la fin de la décennie, elle pourrait toutefois réellement changer d’objectif si l’inflation est structurellement supérieure à 2%.

Quel serait cette hausse supérieure de l’inflation est une bonne nouvelle pour des pays fortement endettés?

Ce n’est une bonne nouvelle qu’à condition de ne pas augmenter le déficit budgétaire. Or il n’a cessé de se creuser ces dernières années. Si la France, avec 115% de dette par rapport au PIB, veut réduire ce taux à 100%, l’exercice est possible en quelques années avec 3% d’inflation et des comptes équilibrés. Mais nous sommes encore loin de sortir des déficits budgétaires, comme le montrent les dernières projections.

Quel sera l’effet de cette hausse de l’inflation sur les taux d’intérêt à 10 ans dans 10 ans?

Les taux à 10 ans doivent intégrer non seulement un niveau d’inflation plus élevé mais aussi un risque accru sur les émetteurs souverains. Il est d’ailleurs en train de procéder à cet ajustement. Les taux à 10 ans américains ont atteint un pic à 5,5%, sont tombés sous les 4% et revenus à 4,15% actuellement. Dans 10 ans, selon nos modèles les taux obligataires devraient être proches du niveau actuel. Mais les incertitudes sont bien sûr importantes.

Quel sera l’effet du vieillissement sur l’inflation à long terme?

Cet effet pourrait peser sur l’inflation, mais le résultat des changements démographiques est beaucoup plus incertain qu’on le dit. Au départ, on affirmait qu’une cohorte ne produit pas et qu’elle consomme. En fait, cette cohorte transfère le capital accumulé et elle crée beaucoup de tensions dans le secteur des services, ce qui est inflationniste. Elle consomme beaucoup de produits à forte valeur ajoutée, comme les médicaments et les outils médicaux. De plus, nous n’avons que l’exemple du Japon pour l’évaluer mais ce pays a des caractéristiques très particulières.

Est-ce que la Chine est actuellement en déflation?

Les dernières statistiques montrent que la Chine est effectivement en déflation. Le phénomène est totalement indépendant du vieillissement de sa population. Il est toutefois possible que les nouvelles technologies, à travers l’intelligence artificielle, puissent compenser partiellement la perte démographique. C’est toutefois une hypothèse à vérifier. 

A lire aussi...