Recapitaliser la nature

Nicolette de Joncaire

2 minutes de lecture

Des solutions fondées sur la nature pour répondre aux défis planétaires. Entretien avec Anne-Laurence Roucher de Mirova.

Des neuf limites planétaires définies par le Stockholm Resilience Centre, six ont été atteintes et dépassées ; celles relatives au climat, à la biodiversité, à l’usage des terres, aux cycles de l’azote et du phosphate, à l’eau douce et à la pollution chimique. L’analyse des chercheurs internationaux sur les risques que l’activité humaine fait courir à notre écosystème est pour le moins inquiétante. Responsable du Private Equity et du Capital Naturel chez Mirova, Anne-Laurence Roucher ne s’avoue pas vaincue. En matière de développement du capital naturel, «il est temps de passer à la vitesse supérieure» estime-t-elle. Ce qui n’est pas parole vaine au sein d’une société qui investit dans le capital naturel depuis plus de 10 ans et dont les actifs qui y sont dédiés se montent à près de 600 millions d’euros.

Comment aborder l’investissement dans la préservation et la restauration du capital naturel?

Par le biais de nouvelles technologies environnementales et par celui de solutions fondées sur la nature , tant pour ce qui est de la gestion du climat que de celle des terres ou des océans. L’objectif de 1,5 degré de réchauffement implique une réduction des émissions de CO2 de 23 gigatonnes  d’ici 2030 (sur la base des niveaux de 2019). Or les solutions fondées sur la nature pourraient représenter un tiers de cette réduction. Citons ici le piégeage du CO2 dans des puits de carbone (forêts ou océans) ou la préservation des mangroves qui épurent l’eau, protègent les côtes de l’atteinte des vagues et maintiennent la biodiversité. Ces solutions sont moins couteuses que d’autres et offrent conjointement des avantages sociaux et économiques qui contribuent à renforcer leur résilience. Pour une gestion durable de la transition climatique, nous avons investi dans des projets comme le Sumatra Merang Peatland Project qui vise à restaurer près de 23'000 hectares de forêts tourbeuses en Indonésie.

Pouvez-vous revenir sur la gestion durable des terres et ce qui peut être réalisé?

Quelques chiffres d’abord: entre 1990 et 2020, 420 millions d’hectares de forêts ont été détruits. Or, notre chaine alimentaire est à l’origine de 80% de cette destruction. Qui affecte de manière très sensible les communautés rurales les plus démunies. Investir dans des pratiques durables et dans des chaines d’approvisionnement certifiées, tant dans l’agroforesterie que dans l’agriculture régénératrice, permet de maintenir une économie prospère tout en réparant le capital naturel. Ce type d’investissement peut être réalisé par le crédit, par l’apport en capital ou par du financement hybride de type mezzanine. Un exemple en est le financement du projet Kennemer, une plateforme spécialisée dans l’accompagnement d’un réseau de petits exploitants indépendants dans la plantation, la transformation et la revente de leurs produits de l’agroforesterie (cacao, bananes ou d’abaca  de très haute qualité) aux Philippines. Ses résultats: 25'000 fermiers assistés dans leurs plantations et 4 millions de tonnes de CO2 piégés.

Le troisième axe d’intervention que vous évoquez est une gestion durable des océans.  Là encore, de quoi s’agit-il?

Le cas des océans est particulier car ils n’appartiennent, pour la majeure partie, à personne et de ce fait ne sont la responsabilité de personne. Alors que nous y déversons près de 10 millions de tonnes de plastique par an et que 80% de nos eaux usagées y finissent leur cours. La préservation des écosystèmes marins et des communautés qui en vivent est essentielle à l’équilibre général. Nous nous intéressons ici à la gestion durable des ressources marines, à l’atténuation de la pollution marine et à la protection des littoraux.

A combien se montent les rendements de projets de ce type?

C’est assez variable mais nous estimons des rendements de l’ordre de 10 à 15% à l’échelle des projets.

Vous appuyez-vous sur des partenariats public-privé?

Oui. Nous travaillons avec des institutions publiques sur les modèles du financement mixte (ou blended finance), tant sur le plan des garanties financières que sur celui des mécanismes d’assistance technique aux projets.  

Certaines des solutions que vous financez appartiennent davantage aux technologies nouvelles.

Effectivement. C’est le cas de Tallano Technologies qui s’engage à réduire la pollution liée à l'émission de particules fines par les systèmes de freinage ou de Naïo Technologies qui construit des robots de désherbage grâce auxquels sont évités les intrants chimiques correspondants.

En retirant les intrants chimiques dont l’usage permet d’augmenter les rendements et de lutter contre les nuisibles ne risque-t-om pas de réduire le rendement des récoltes et de mener à une déforestation encore plus poussée?

L’agriculture ne se fera pas sans intrant mais il faudra privilégier des intrants agricoles respectueux de la faune, de la flore et des sols. La réduction des intrants de synthèse peut mener dans un premier temps à une réduction du rendement des récoltes jusqu’à ce que les systèmes se rééquilibrent. Il est possible de viser des rendements élevés avec des pratiques d’agriculture durable.

La biodiversité est à l’ordre du jour. Sera-t-il question de «crédits biodiversité» comme il a été question de crédits carbone?

 Pas exactement de la même manière car cela sous-entendrait un «droit à polluer» négociable ce qui n’est plus acceptable. Il est par contre question de certificats biodiversité sur un marché tout neuf où il faudra éviter les erreurs faites avec les crédits carbone. Notez à ce propos que Mirova est membre de l’organisation en charge du cadre méthodologique de ces certificats , ainsi que Membre de l’Advisory Group du Verra Nature Framework Development Group.

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