Les étapes qui suivront la COP28

Emmanuel Garessus

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L’essentiel porte sur la course aux technologies vertes entre la Chine, les Etats-Unis et l’Europe, selon Timothée Jaulin d’Amundi.

La COP28 a fermé ses portes avec un accord. Le texte approuvé mentionne pour la première fois les énergies fossiles. Il n’annonce pas la fin de ces dernières mais une «transition». Timothée Jaulin, responsable du développement ESG et des relations extérieures du Groupe Amundi, répond aux questions d’Allnews sur la valeur de cet accord auprès des investisseurs:

«Le message de la COP28 est un signal politique fort pour les investisseurs.»
Quel est l’apport de la COP28 pour les investisseurs?

Les COP sont des rendez-vous importants qui permettent de cristalliser des tendances de fond amorcées au préalable. Le message de la COP28 est un signal politique fort pour les investisseurs. L’accord sur le bilan mondial est un aspect clé, les engagements pris durant cette réunion sont essentiels, mais en général la COP28 est le reflet d’un contexte technologique, géopolitique, et de politique nationale qui s’inscrit dans la durée (avant et après la COP) et que l’investisseur doit absolument intégrer.

En termes de contexte géopolitique structurant, l’essentiel porte sur la course aux technologies vertes entre la Chine, les Etats-Unis et l’Europe.

Quel est son impact?

Son impact est positif pour la transition climatique, mais le moteur n’est pas uniquement climatique. La Chine est devenue une puissance en matière de technologies vertes avec des parts significatives sur les chaînes de valeur. Cela a entraîné une réaction américaine, à travers l’Inflation Réduction Act qui a, lui, un impact essentiel sur le climat et qui rend possible des prises de décision politiques plus ambitieuses.

En Europe, la réaction aux événements en Ukraine a aussi consisté à renforcer la souveraineté énergétique européenne, ce qui est largement aligné avec la réalisation des objectifs de transition énergétique.

La COP28 s’inscrit dans ce contexte très spécifique. Le deuxième élément contextuel majeur est l’accélération des avancées technologiques concernant les solutions bas carbone, notamment en termes de compétitivité des énergies renouvelables. C’est la raison pour laquelle nous avons vu une accélération des prises d’engagement sur les énergies renouvelables, avec un objectif de triplement des capacités.

Des engagements relatifs au développement du nucléaire ont aussi été pris durant la COP. La compétitivité renforcée des alternatives bas carbone a permis, a priori, cette avancée politique essentielle. Ce qui change la donne, ce que l’on appelle le consensus des Emirats arabes unis, est d’avoir inscrit dans le texte final de la conférence la transition hors des énergies fossiles dans leur ensemble, et non plus, comme à Glasgow, uniquement le charbon. En tant que signal à long terme, c’est un événement majeur pour les investisseurs.

«Il faut donc distinguer entre la performance à court terme et les tendances de fond.»
En 2023, les énergies renouvelables ont subi un net recul en bourse, tant pour le solaire que l’éolien. Qu’en pensez-vous?

Nous avons une vue plus nuancée. Nous pensons en effet que des tendances de fonds soutiennent la finance et les actifs durables et qu’elles sont très importantes, prégnantes et amenées à perdurer. Elles incluent les problématiques technologiques, géopolitiques et l’augmentation des risques de transitions.

Il faut donc distinguer entre la performance à court terme et les tendances de fond. Ces dernières sont structurellement très favorables à la finance durable et s’ajoutent aux forces que je viens d’évoquer.

Un autre enjeu essentiel est celui de l’accélération de l’histoire dans le développement des cadres réglementaires de la finance durable. Le cadre européen comprend des éléments très techniques, des lourdeurs, des défis opérationnels à résoudre, mais il exerce un impact tout à fait structurant sur l’industrie de la gestion d’actifs, sur les marchés des capitaux et sur les pratiques des entreprises.

Les marchés financiers ont la capacité d’anticiper les bénéfices futurs. La baisse des valeurs solaires et éoliennes ainsi que des constructeurs de véhicules électriques en 2023 ne traduit-elle pas un avenir moins rayonnant ou un futur positif essentiellement des producteurs chinois?

La rationalité des marchés est un thème complexe. Le premier facteur de la sous-performance de certains acteurs des énergies renouvelables européens et américains tient à la hausse des taux d’intérêt et des coûts de financement.

Il importe ici de réfléchir aux coûts de la décarbonation. Pour chaque technologie ou processus industriel, il existe une alternative bas carbone plus ou moins coûteuse. Pour produire de l’électricité bas-carbone, il est possible d’avoir recours à l’éolien ou au photovoltaïque ou au nucléaire. La hausse des taux d’intérêt renchérit partiellement le coût de cette alternative. Malgré cet effet, nous sommes dans un monde dans lequel les énergies renouvelables sont devenues dans la plupart des cas extrêmement compétitives. C’est une tendance de fond qui se poursuivra ces prochaines années.

Mais qu’en est-il de la course aux subventions entre les régions économiques?

La problématique de souveraineté prend de plus en plus de place dans les enjeux politiques du moment. Elle sera évoquée tant lors des élections européennes qu’au moment de la présidentielle américaine. Elle permet de s’interroger sur la chaîne de valeur des énergies renouvelables. L’enjeu du moment est celui du développement d’un cadre réglementaire qui permet à la fois de retrouver une certaine forme de souveraineté pour éviter les niveaux de dépendance trop élevés sur ces industries, de s’assurer aussi que cela exerce un impact positif sur les problématiques de réindustrialisation.

L’émergence d’une industrie verte est vue également comme une opportunité pour créer ou recréer de l’emploi et contribuer à la croissance en Europe et aux Etats-Unis. Il s’agit aussi d’intégrer des considérations à long terme sur les coûts de production finaux. In fine, que la Chine ou d’autres parties du monde soient en mesure de contribuer à l’expansion des énergies renouvelables de manière très compétitive et à bas coût, c’est un événement positif sur le plan global et climatique.

Comme les taux d’intérêt repartent à la baisse, le recul de la finance durable appartient-il au passé?

Nous devons être transparents. L’investissement durable vise à générer de la performance à long terme. Même si en 2024 l’environnement macroéconomique est favorable aux énergies renouvelables, il pourra toujours subsister des phénomènes de volatilité des marchés et des écarts de performance. Notre conviction est que ces stratégies surperformeront à travers des cycles multiples.

Quel est le risque que le développement de la finance durable soit pénalisé par les élections américaines?

Ce risque existe et il est déjà clairement identifié. Le cadre réglementaire, qui est plus ou moins favorable aux actifs durables, peut évoluer en fonction des cycles politiques. Mais les politiques industrielles, les décisions d’investissement et de développement des grandes entreprises s’étalent sur une durée qui dépasse celle d’un cycle politique. C’est pourquoi le signal de la COP28 et les éléments structurants sont des forces de rappel essentielles. Nous ne voyons pas de facteurs déterminants susceptibles de faire dérailler les tendances de fond de la finance durable.

La biodiversité ne fait-elle pas partie des oubliés de la COP28?

Nous sommes plus nuancés à ce sujet. Nous avons assisté à la première COP climat durant laquelle le sujet «nature» a été un sujet abondamment abordé, avec deux journées qui lui ont été dédiées ainsi que diverses annonces majeures liées aux enjeux d’adaptation et d’atténuation via des solutions liées à la nature. En outre, nous constatons une compréhension nettement plus fine et partagée des boucles de rétroaction entre le système climat d’un côté et les autres systèmes terrestres, notamment les systèmes naturels liés aux enjeux de biodiversité et aux cycles biochimiques comme les azotes et les phosphates. Cette meilleure compréhension conduit à une approche intégrée des problématiques climatiques et des problématiques de nature. Lors de la COP28, chacun a pu constater que nous ne pourrons pas résoudre les sujets climatiques si nous ne travaillons pas à résoudre les sujets de dégradation des cycles naturels, et notamment de biodiversité.

Quelle sera l’étape suivante?

L’étape suivante porte sur la mise en œuvre des décisions prises. Dans une perspective macro, nous pensons que la COP28 est un événement diplomatique majeur, mais il s’agit maintenant de voir comment cela se traduit concrètement au niveau des Etats.

Dans la gestion d’actifs, un thème majeur restera celui de la réglementation financière durable. La réglementation SFDR est en cours de revue dans l’UE. Cette revue peut être assez structurante. Nous appelons à un effort de clarification pour qu’elle soit plus efficace. Les acteurs engagés comme Amundi continueront à mettre en œuvre leurs engagements liés aux problématiques d’alignement et de soutien aux objectifs de neutralité carbone et de préservation et de restauration de la biodiversité.

Comment rendre la réglementation SFDR plus efficace?

Cette réglementation traite de la transparence et de la catégorisation des produits. Elle est à comprendre comme un bloc qui s’inscrit au sein d’une construction réglementaire plus complexe et plus complète. SFDR est complétée notamment par la réglementation MiFiD II sur la prise en compte des préférences de durabilité et aussi par la réglementation qui fixe des niveaux de transparence au niveau des entreprises. S’y ajoute la taxonomie, au niveau des activités.

Il y a un enjeu de renforcement de la transparence et de l’intégrité des marchés financiers, notamment des produits durables, ainsi qu’un enjeu lié à la mobilisation des capitaux pour davantage financer les activités durables et accélérer la transition. Cette dernière ne peut se réaliser que si les investisseurs finaux sont en capacité de comprendre la réglementation et les indicateurs qui sont publiés en matière de finance durable.

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