L’attrait de la gestion «market neutral» en commodities

Emmanuel Garessus

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Les matières premières sont une source de diversification par laquelle il est possible de générer de l’alpha à travers une approche «market neutral», selon Hugues de La Rochefoucauld de BNP Paribas.

L’investissement dans les matières premières est souvent considéré comme une source de diversification. Le fonds THEAM Quant - Alpha Commodity de BNP Paribas (125 millions de dollars d’actifs sous gestion), lancé en 2011 et réservé aux investisseurs qualifiés, entend répondre à ce besoin. Ce fonds est non seulement systématique, mais a également la particularité d’être non directionnel. Hugues de La Rochefoucauld, Head of THEAM Quant Fund Sales Switzerland, et Youssef Boumenir, Head of QIS Commodity Structuring BNP Paribas, à Londres, répondent aux questions d’Allnews:

Est-ce la forte hausse de la tech depuis le début de l’année exerce un impact sur l’investissement «quantitatif»?

Hugues de La Rochefoucauld (HdLR): Le marché américain des actions semble cher en ce moment. Indépendamment de l’investissement dans la tech américaine, je constate un attrait croissant des investissements dans les stratégies quantitatives auprès des investisseurs, à l’image de nos fonds «THEAM Quant - Cross Asset High Focus» ainsi que de celui sur les commodities, «THEAM Quant – Alpha Commodity».  Nous pensons que notre fonds UCITS investissant dans les matières premières (hors agriculture) offre une réelle diversification et plaît pour son profil décorrélé et plutôt défensif, particulièrement dans cet environnement actuel incertain. 

«Nous sommes agnostiques à l’égard des tendances des différentes matières premières, que cela soit l’énergie ou les métaux industriels.»

Quelles sont les opportunités que recèle cette classe d’actif? pourquoi choisir une stratégie «market neutral»?

Youssef Boumenir (YB): Il faut prendre un peu de hauteur à l’égard de l’investissement quantitatif, en particulier sur le virage intervenu en 2020. Sur le plan historique, c’est la classe d’actifs des matières premières qui assure la meilleure décorrélation aux actions et aux obligations. L’intégration de ces actifs améliore donc mécaniquement le rendement du portefeuille de l’investisseur. Jusqu’en 2020, les investisseurs n’exploitaient pas suffisamment cette classe d’actifs en raison du manque d’opportunités et d’expertise. Par la suite, les événements ont amené les investisseurs à repenser leur allocation à cette classe d’actifs. Je pense à la crise du covid et à la reprise rapide qui lui a succédé, aussi bien qu’à la hausse de l’inflation, puisque investir dans les matières premières constituent l’une des meilleures protections contre la hausse des prix, et finalement à la guerre en Ukraine et à ses effets sur les prix de l’énergie et de l’alimentation. Les investisseurs se sont aperçus qu’ils ne pouvaient pas simplement ignorer les matières premières et que celles-ci offraient d’intéressantes opportunités de rendement et de diversification.

Les discussions avec les investisseurs soulignent ce scepticisme et ce manque de conviction. Si l’on entre dans les fondamentaux des différents composants du secteur, on constate de grandes sources d’interrogations, que ce soit les niveaux de production élevés en métaux industriels aux doutes sur la qualité de la reprise en Chine, ou bien encore un prix du baril en hausse mais qui repose sur des risques géopolitiques à l’avenir incertain. 

Nous pouvons distinguer deux facteurs clés. Les investisseurs, après avoir longtemps privilégié une approche «long-only» dans les matières premières, sont aujourd’hui de moins en moins attirés par cette solution. Cette approche long-only pouvait être sensée si l’on souhaitait se couvrir contre l’inflation et les risques géopolitiques. Mais depuis la fin 2022 et le début 2023, les investisseurs peinent à identifier des tendances claires sur cette classe d’actif. Ces difficultés plaident en faveur d’une gestion active au sein de cette classe d’actifs, et nos investisseurs apprécient également la recherche d’alpha dans les matières premières à travers une approche «market neutral». Nous sommes agnostiques à l’égard des tendances des différentes matières premières, que cela soit l’énergie ou les métaux industriels. Notre fonds vise un rendement absolu issu des spécificités comportementales de cette classe d’actifs. 

Que comprend votre portefeuille actuellement? 

HdLR: Le fonds THEAM Quant Alpha Commodity est un fonds totalement systématique investi sur les matières premières, avec pour objectif de générer de la performance absolue à travers trois primes de risques propres à ce marché: le carry, le momentum et la backwardation. Ces primes de risque découlent de spécificités inhérentes au traitement de ces actifs, tels que la variabilité du coût de portage d’un contrat à terme selon sa maturité pour le carry, la dispersion naturelle des tendances entre les différentes matières premières pour le momentum, ou bien les déséquilibres offre-demande pour la backwardation. L’allocation entre ces trois moteurs de performance suit une méthodologie systématique avec pour objectif de répartir équitablement le risque du fonds à travers ces trois moteurs de performance. Cette combinaison a pour avantage de maximiser la diversification et la capacité du fonds à performer dans une multitude de scénarios de marché. Enfin, le fonds a pour avantage de bénéficier d’un univers diversifié de douze matières premières, tout en excluant le secteur agricole.

Quelle a été votre performance l’an dernier?

HdLR: Le rendement du fonds THEAM Quant Alpha Commodity s’est élevé à +13% en 2023, contre +4% en 2022 (en dollars). 

YB: Son historique est de plus de 10 ans et sa méthodologie n’a jamais été modifiée, si ce n’est l’exclusion des matières premières agricoles en 2015 pour répondre à nos critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), le changement de format du véhicule d’investissement intervenu en 2019 ainsi que, en réaction aux demandes de nos investisseurs, en 2022, le doublement du levier de notre stratégie. Le rendement enregistré en 2022 paraît modeste, mais il s’explique par le fait qu’il s’est produit avant le changement de levier.

HdlR: Sans le levier, le rendement serait plus modeste. Mais surtout, il deviendrait nécessaire que les investisseurs aient une allocation importante dans ce fonds pour qu’il contribue de manière conséquente au rendement et à la diversification de leur portefeuille. La hausse du levier permet donc d’obtenir une diversification plus efficiente tout en ayant une taille d’allocation raisonnable.

«Le degré de complexité plaide en faveur des stratégies systématiques»

Quelle stratégie a le plus contribué à la performance?

HdlR: L’année 2023 peut être divisée en deux parties très distinctes. Une correction du secteur des matières premières s’est produite au premier semestre 2023. De telles corrections ou inversions trop rapides de tendances peuvent pénaliser les stratégies de «momentum» et de «backwardation» qui utilisent les signaux de marché pour se positionner. Cette correction a été à l’inverse, très favorable à la stratégie de portage et souligne ainsi les vertus défensives de la prime de carry, particulièrement à même de performer lors de fortes corrections, qu’elle ait pour origine le marché des matières premières, mais également les marchés actions et obligations.

Le second semestre a été très différent, avec l’émergence de tendances plus claires et marquées qui ont bénéficié aux stratégies de «momentum» et de «backwardation», mais avec un effet moins favorable à la stratégie de carry.

Comment construire une stratégie de portage dans les commodities? Avez-vous un exemple concret?

YB: Pour mieux l’apprécier, il importe de revenir à la construction de la courbe forward. La stratégie investit en effet uniquement dans des contrats à terme (Futures). Prenons l’exemple du pétrole (WTI): sur la courbe forward, la livraison la plus proche correspond au prix spot, celle qui correspond à une livraison immédiate des barils. D’autres contrats portent sur une livraison plus distante. Sur des marchés normaux (dit en «contango»), les échéances éloignées sont plus chères qu’au prix spot, en réponse aux caractéristiques physiques de cette classe d’actifs. Une échéance plus éloignée s’accompagne de coûts supplémentaires, tels que ceux du stockage. Mais surtout, la courbe présente typiquement un profil concave, qui traduit un coût de portage plus élevé pour les échéances plus lointaines. Les professionnels font le parallèle avec la réservation d’une nuit d’hôtel. Pour un touriste, la réservation de la nuit prochaine a de fortes chances d’être plus onéreuse que pour une nuit à une date plus éloignée. La métaphore est valable pour les matières premières en raison de leur coût de stockage. L’investisseur peut donc monétiser ce différentiel de cout de portage entre deux contrats à terme d’un même actif.

Serait-il possible d’avoir ce type d’allocation de façon discrétionnaire et non pas systématique?

YB: Le degré de complexité plaide en faveur des stratégies systématiques. Nous gérons ici des contrats à terme sur les matières premières. Nous devons notamment reconduire les contrats avant leur échéance. La capacité de gérer ces questions de façon systématique est une garantie importante. De plus, si l’investisseur cherche à générer une prime de façon efficiente, il a besoin d’un univers d’investissement diversifié. Notre univers comprend 13 matières premières, celles qui sont suffisamment liquides pour figurer dans les principaux indices de référence. L’étendue de cet univers crée un niveau de complexité supplémentaire. Finalement, si vous considérez les primes de momentum et de backwardation, l’investissement dépend des signaux du marché. Prenons l’exemple de la stratégie de momentum. Sa construction est systématique et son positionnement réévalué chaque jour. La stratégie est donc agile et susceptible de s’adapter rapidement à de nouvelles réalités de marché, et à de potentiels changement de tendances. Ce degré de complexité ne peut être satisfait avec une stratégie discrétionnaire.

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