Tournesols et pénurie: conséquences de la guerre en Ukraine sur la dette privée

Carig Topp, Nina Flitman, Mikko Iso-Kulmala, Fidelity International

3 minutes de lecture

Les marchés privés du crédit ne sont pas directement engagés, ni en Russie ni dans l’industrie des matières premières.

Étant donné que le conflit continue de durer, des effets durables tels que la hausse des prix de l’énergie et une pénurie de denrées alimentaires, par exemple une pénurie d’huile de tournesol, pourraient nuire à la solvabilité de nombreux emprunteurs ayant recours au financement externe.

Le marché privé du crédit a été relativement bien protégé de la crise en Ukraine. Moins d’un tiers des entreprises suivies par les analystes de Fidelity International sont directement ou indirectement engagées en Russie ou en Ukraine. Lorsqu’il y a des engagements, ceux-ci ne sont généralement pas importants et seuls quelques rares emprunteurs européens ayant souscrit des prêts à effet de levier sont présents dans la région par le biais d’antennes opérationnelles. Le tiers des crédits enregistrés qui entretient des relations commerciales sous quelque forme que ce soit avec des partenaires d’affaires en Ukraine ou en Russie n’est pas important: de telles affaires représentent généralement moins de 2% des recettes du groupe ou des achats. Même les entreprises entretenant de petites activités en Russie constatent qu’elles ne disposent que de faibles réserves en espèces dans le pays.

Dans un sondage récemment réalisé par notre équipe, les emprunteurs ont cependant indiqué que les effets de deuxième et de troisième ordre auront sans doute à l’avenir une influence beaucoup plus grande et complexe sur les acteurs du marché privé des crédits. La hausse des prix des matières premières et les difficultés d’approvisionnement de certains produits auront une incidence sur la production, les chaînes logistiques et la confiance des consommateurs. À long terme, cela engendrera probablement une dépression dans les revenus de nombreux secteurs, notamment dans l’industrie automobile, l’industrie chimique, le secteur des biens de consommation et des secteurs apparentés, ce qui nuira à la qualité du crédit et accroîtra potentiellement le risque. Les secteurs concernés pourraient aussi enregistrer une baisse des nouvelles émissions.

La hausse des prix de l’énergie est l’une des conséquences les plus directes de l’instabilité politique. Même si les marchés privés en Europe n’ont qu’une faible dépendance directe au secteur pétrolier et gazier (il n’y a pas eu d’émissions sur le marché primaire dans ces secteurs en 2021 et seuls 3.31 milliards d’euros ont été émis depuis 2010), la hausse des prix de l’énergie pourrait constituer un point critique pour de nombreuses PME européennes.

Les crédits dans des secteurs tels que celui des services ne sont guère touchés par la hausse des prix de l’énergie sur la base des coûts. D’autres entreprises qui ont des besoins énergétiques accrus pour l’exploitation et le transport, p. ex. le commerce de détail et le secteur manufacturier, sont toutefois confrontées à des perspectives plus précaires, même si les contrats souvent renégociés et indiciels avec les fournisseurs permettent de répercuter les évolutions des prix des matériaux, notamment en raison du retard qui se produit dans le cadre de telles conventions de transmission.

Un prestataire de services d’impression constate qu’une modification du prix du pétrole de 10% depuis la fin 2021 aurait engendré des coûts à hauteur de 15 millions de dollars US, si aucune mesure de couverture n’avait été prise, ce qui aurait anéanti près de la moitié de l’EBITDA corrigé d’un trimestre.

À long terme, la guerre pourrait accélérer la transition vers des sources d’énergie durables qui pourraient atténuer ces variations de prix; dans un avenir immédiat, elles se feront sentir dans les bilans des entreprises. Nous estimons cependant qu’il y a aussi de grandes chances pour que les entreprises affichant des critères ESG plus solides s’adaptent mieux à la nouvelle réalité et surmontent mieux les chocs probables concernant le cash-flow au cours des prochains mois.

Par ailleurs, les bailleurs de fonds dans l’industrie agroalimentaire et des boissons, qui représentait 8.7% du volume d’affaires primaire en 2021, constatent qu’ils enregistrent dès à présent une baisse de l’offre d’huiles alimentaires, notamment d’huile de tournesol, de la région. Tandis que ces entreprises étaient autrefois en mesure de répercuter la hausse des coûts sur les consommateurs, la pénurie engendrée par le conflit peut avoir pour conséquence une limitation de l’approvisionnement suffisant en certains ingrédients, indépendamment du prix et malgré les mesures de couverture. Dans de tels cas, les entreprises doivent trouver des produits de substitution pour leurs recettes, ce qui peut ensuite déboucher sur une envolée des coûts d’autres huiles de table sur le marché.

D’autres effets de troisième ordre de la guerre ne se feront éventuellement sentir qu’à plus long terme. Ainsi, la menace que représentent les cyberattaques pour toutes les entreprises a par exemple augmenté, ce qui a profité aux entreprises de cyberdéfense en ligne et aux éditeurs de logiciels de sécurité. D’autres secteurs tels que les télécommunications et les équipements de télécommunications, qui représentaient 3.3% et 1.8% du volume du marché primaire en 2021, pourraient profiter d’un afflux de fonds à long terme d’investisseurs qui recherchent une valeur refuge stable pour leur argent.

Quelle que soit l’issue de la guerre, les conséquences à long terme de la crise sur la région et l’économie mondiale seront considérables. Même dans des secteurs relativement protégés tels que le marché des crédits privés où les emprunteurs ont toujours une appréciation optimiste de leur position, les conséquences pourraient être complexes et retardées pour quelques crédits. Le véritable défi pour les mois et les années à venir sera d’identifier ces risques dans une catégorie de placement qui devrait globalement rester stable et de tirer parti des éventuelles évaluations erronées.