«SMID is beautiful»... sauf pour la France

Laurent Denize, ODDO BHF

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Il semble opportun de réinvestir dans le segment des petites et moyennes capitalisations, car la dynamique de croissance des bénéfices par action est plus forte, avec des décotes de valorisation similaires.

Laurent Denize, co-directeur des investissements, ODDO BHF

L’Europe fait face à d’importants défis structurels qui impactent sa productivité par rapport aux Etats-Unis. Parmi les facteurs contribuant à cette disparité: la fragmentation et la régulation des marchés, une forte proportion de petites entreprises, une fiscalité élevée et des dépenses de R&D plus faibles. Toutefois, depuis la crise financière mondiale de 2008, ces désavantages ne se sont pas aggravés; en fait, beaucoup sont devenus moins préjudiciables.

Les petites entreprises représentent une part significative du tissu économique européen, surtout par rapport aux Etats-Unis. Les entreprises américaines de 250 employés ou plus représentent 59% de l’emploi salarié, contre 43% en Allemagne et 48% en France. Souvent, les petites entreprises allouent leurs ressources moins efficacement que les grandes et sont plus lentes à adopter les nouvelles technologies.

Les investisseurs ont donc raison de s’interroger: les petites entreprises peuvent-elles capter la valeur ajoutée à venir créée par la révolution de l’intelligence artificielle? Nous visons à démontrer que, par définition, les petites entreprises participeront à toute évolution schumpétérienne, car le progrès finit toujours par gagner l’ensemble de l’économie.

La question suivante est: quand? Nous pensons que le moment est venu de se repositionner en vue d’une création de valeur plus importante, et nous en voyons les prémices dans la nouvelle tendance positive du bénéfice par action (BPA). Mais penchons nous d’abord sur la théorie.

Fama et French, entre autres chercheurs, ont montré que les actions de petites capitalisations tendent à surperformer les grandes capitalisations à long terme. Historiquement, les investisseurs ont été prêts à payer une prime pour acquérir des actions de petites et moyennes capitalisations, reconnaissant leur potentiel de croissance plus élevé que celui des grandes capitalisations.

Toutefois, en période d’incertitude macroéconomique accrue comme aujourd’hui, les investisseurs se tournent plus volontiers vers la sécurité relative des grandes capitalisations. Les actions de petites entreprises sont souvent confrontées à des risques liés à leur bilan; leur concentration sectorielle ou géographique est plus forte et elles peuvent manquer d’envergure pour absorber des chocs économiques importants.

Cela explique en grande partie pourquoi les petites et moyennes capitalisations européennes - des actions dont la capitalisation boursière est comprise entre 200 millions et 10 milliards d’euros - ont sous-performé leurs homologues plus grandes au cours de ces dernières années. À fin mai 2024, les petites capitalisations étaient toujours à la traîne des grandes dans toutes les principales régions d’investissement, avec une sous-performance de 300 points de base en Europe et de 750 points de base au Japon et aux Etats-Unis. Néanmoins, nous pensons que les petites et moyennes capitalisations offrent une croissance des bénéfices à long terme plus élevée à prix réduit et qu’elles devraient afficher de meilleures performances au second semestre 2024, en particulier en Europe.

Investir dans les petites et moyennes capitalisations à long terme

L’histoire nous dit que sur le long terme, les petites et moyennes capitalisations tendent à surperformer les grandes. Au cours des vingt dernières années, les premières ont surperformé les secondes de 130% dans toute l’Europe. Cette surperformance sur un temps long peut être attribuée à plusieurs facteurs. Tout d’abord, les petites et moyennes capitalisations tendent à afficher une croissance plus élevée du fait de leur base plus petite et grâce à des business models disruptifs favorisant une expansion rapide. Deuxièmement, elles sont moins exposées aux secteurs défensifs et à faible croissance tels que les biens de consommation courante, l’énergie et les services publics. Troisièmement, une couverture plus faible par les analystes financiers entraîne des anomalies de prix plus importantes, ce qui crée des opportunités attractives pour les investisseurs. Quatrièmement, ces sociétés ont historiquement représenté une cible de choix pour les acquisitions, négociées à des multiples élevés par les acquéreurs.

Les baisses de taux soutiennent les petites et moyennes capitalisations, surtout en Europe

La hausse des taux d’intérêt initiée par la BCE début 2022 fut la plus rapide et la plus importante de l’histoire européenne. Elle a joué un rôle clé dans la sous-performance des petites et moyennes capitalisations, considérées comme plus sensibles au resserrement monétaire puisqu’elles tendent à financer leur croissance avec un pourcentage de dette plus important que les grandes capitalisations. Le début de l’assouplissement monétaire de la BCE, en inversant les effets des deux dernières années, devrait profiter aux petites et moyennes entreprises. Aux Etats-Unis, l’impact des baisses de taux de la Fed devrait être encore plus positif, puisque plus de 40% de la dette est à court terme ou à taux variable.

Les petites et moyennes capitalisations bénéficient de la reprise des données d’activités

Les surprises dans les données macroéconomiques qualitatives et la dynamique du marché intérieur sont meilleures en Europe qu’aux Etats-Unis. Les petites et moyennes capitalisations européennes ont tout à gagner de cette situation. Les indices des directeurs d’achat (Purchasing Managers’ Indices - PMI), qui reposent sur des enquêtes mensuelles auprès d’entreprises manufacturières, constituent d’importants indicateurs prévisionnels. Ils présentent une forte corrélation avec les performances des petites et moyennes capitalisations, qui s’est encore accentuée ces dernières années. L’amélioration récente de ces indices est un nouveau signal de hausse des prix des petites et moyennes capitalisations. Le fait que les petites capitalisations européennes n’aient pas encore intégré ce redressement des PMI devrait amplifier le rebond davantage.

Les petites et moyennes capitalisations se sont considérablement dépréciées et se négocient aujourd’hui à des valorisations relatives proche du plus bas depuis 20 ans

La décote des petites et moyennes capitalisations par rapport aux grandes a atteint un point tel, qu’un retour à la moyenne semble inévitable, en particulier en Europe. Les actions des petites et moyennes capitalisations européennes se négocient à un ratio cours/bénéfice à 12 mois de 12,5, soit une décote d’environ 5% par rapport aux grandes capitalisations. Toutefois, au cours des 17 dernières années, le Stoxx Mid 200 s’est négocié avec une prime de 12% par rapport au Stoxx Large 200, contre une décote de 4% aujourd’hui. Pour le Stoxx Small 200, la moyenne historique est une prime de 17%, contre une décote de 6% aujourd’hui. Une correction de cette sous-évaluation considérable s’impose.

Nous nous attendons donc à ce que les petites et moyennes capitalisations se négocient à nouveau avec une prime par rapport aux grandes capitalisations, ce qui implique un potentiel de surperformance à deux chiffres.

Les performances des petites et moyennes capitalisations ne sont pas représentatives de la forte dynamique des bénéfices par action
Les révisions de la croissance des bénéfices sont un signal clé pour les investisseurs souhaitant réintégrer le segment des petites et moyennes capitalisations. Là encore, l’optimisme est de mise tant en Europe qu’aux Etats-Unis, où les estimations de bénéfices sont révisées à la hausse, à des niveaux bien plus élevés que pour les grandes capitalisations. En Europe, la croissance estimée des bénéfices par action pour 2024 devrait augmenter de +8% pour les petites capitalisations et de +13% pour les moyennes capitalisations, contre moins de +3% pour les grandes capitalisations. Tous ces éléments suggèrent que la longue traversée du désert des petites et moyennes capitalisations est derrière nous.

Conclusion

  • Préférence stratégique pour les moyennes capitalisations par rapport aux petites.
  • Préférence tactique pour l’Europe par rapport aux Etats-Unis.
  • Être sélectif est essentiel.

Il semble opportun de réinvestir dans le segment des petites et moyennes capitalisations, avec une préférence pour les moyennes par rapport aux petites, car la dynamique de croissance des bénéfices par action est plus forte, avec des décotes de valorisation similaires. Les moyennes capitalisations présentent également des bilans plus sains, avec des niveaux ND/EBITDA inférieurs de 10 à 15% à ceux des petites capitalisations. Enfin, si la BCE signale clairement le début d’un cycle d’assouplissement, la liquidité demeure plus favorable aux moyennes capitalisations.

En ce qui concerne les zones géographiques, nous privilégions tactiquement l’Europe par rapport aux Etats-Unis pour les raisons suivantes:

  1. Une plus grande confiance dans de nouvelles baisses de taux de la BCE que de la Fed, qui ne devrait pas abaisser ses taux avant septembre;
  2. l’anticipation de nouvelles surprises économiques à venir plus positives en Europe;
  3. des valorisations plus attractives en termes absolus et relatifs;
  4. une meilleure dynamique des révisions de BPA.

En ce qui concerne les secteurs, nous recommandons d’être sélectif pour revenir sur la classe d’actifs des petites et moyennes capitalisations. Nous privilégions les secteurs qui devraient bénéficier de la reprise économique et de la baisse des taux d’intérêt, notamment les secteurs de l’industrie, de la santé, de la technologie, de la consommation discrétionnaire et des matériaux. En revanche, nous sous-pondérons le secteur immobilier très endetté, les banques (qui ont bénéficié de taux d’intérêt élevés) et les secteurs plus défensifs. Parmi nos secteurs de prédilection, nous privilégions les entreprises présentant de faibles risques de refinancement et des bénéfices en hausse, susceptibles de tirer parti de l’amélioration de l’environnement macroéconomique. Nous apprécions également les modèles d’entreprise disruptifs présentant une forte adaptabilité. En fin de compte, les entreprises devraient être en mesure de financer leur propre croissance et de rester rentables quel que soit l’environnement économique. Sur la base de ces paramètres, le moment est venu de réinvestir dans les petites et moyennes capitalisations.

Vient alors la dernière question: Sommes nous bien conscients du timing après la dissolution de l’Assemblée français? On peut dire que l’incertitude qui entoure les élections françaises n’est pas de bon augure pour les actifs français, même si elle n’affecte pas l’ensemble du marché européen. Tout d’abord, nous ne connaissons pas le résultat des élections, mais il est probable que la marge de manœuvre du futur Premier ministre sera limitée. Les investisseurs ont clairement indiqué récemment qu’ils ne toléreraient pas d’explosion des déficits. Même la BCE a déclaré qu’il n’y avait aucune raison de paniquer ou d’intervenir actuellement. Nous ne sommes pas des traders mais des investisseurs à long terme. Nous attendons le point d’entrée «parfait». Par définition, il n’existe pas, mais la somme des signaux identifiés a été significative.

Nous croyons en une gestion active guidée par des convictions. Nous restons fidèles à notre point de vue, mais avec un changement significatif: Les petites et moyennes capitalisations européennes ont du sens, mais pas les françaises. Lorsque nous parlons de la France, il ne s’agit pas seulement de faire partie d’indices français, mais aussi de leur proportion de revenus en France. Si des opportunités se présentent après les élections, il sera toujours temps de les saisir.