Résolutions «say-on-climate»

J. Safra Sarasin

3 minutes de lecture

Une opportunité d’engagement ou simple exercice de routine? Eléments de réponse avec notre spécialiste de l'actionnariat actif Julia Wittenburg.

En Europe, le nombre de votes pour les résolutions «say-on-climate», qui demandent aux actionnaires d'approuver les politiques climatiques des entreprises, a plus que triplé au cours des deux dernières saisons d'assemblées générales. Cette tendance devrait se poursuivre alors que de plus en plus d'entreprises s'efforcent d'élaborer des plans de lutte contre le changement climatique. Mais faut-il y voir un simple exercice formel ou une forme de «greenwashing» (écoblanchiment)? Et comment les investisseurs devraient-ils considérer ces résolutions? Nous avons interrogé Julia Wittenburg, notre spécialiste de l'actionnariat actif, pour connaître son point de vue.


 

Que sont exactement ces résolutions «say-on-climate» et pour quelle raison sont-elles de plus en plus fréquentes?

Les résolutions climatiques ont commencé à apparaître à l’ordre du jour des assemblées générales annuelles il y a un certain nombre d’années. Il s’agissait principalement de résolutions présentées par des actionnaires demandant aux entreprises énergivores de mieux gérer leurs émissions, par exemple en fixant des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le phénomène observé au cours des deux dernières années est différent, car la hausse concerne des résolutions émanant de la direction d’entreprises et demandant aux actionnaires de soutenir la stratégie climatique de l’entreprise, un mécanisme appelé «say-on-climate».

Publier des informations financières relatives au climat est devenu obligatoire sur de nombreux marchés, souvent dans le cadre du reporting du groupe de travail sur la publication d’informations financières relatives au climat (TCFD, Taskforce for Climate-Related Financial Disclosures) comme c’est le cas en Suisse. En outre, certaines organisations d’investisseurs, comme l’initiative Net Zero Asset Management (NZAM), dont la Banque J. Safra Sarasin est également signataire, ont mis le climat au premier rang des priorités ESG des investisseurs. Les entreprises ont répondu aux demandes des investisseurs, ainsi qu’aux exigences de transparence croissantes d’autres parties prenantes, en soumettant volontairement leur stratégie climat à un vote non contraignant lors de leur assemblée générale annuelle.

Les conseillers de vote par procuration, qui recommandent de nombreux investisseurs institutionnels sur la façon dont ils devraient voter, peuvent influer sur le résultat de ces scrutins. Quel est le point de vue des conseillers de vote sur ces résolutions «say-on-climate»?

Les deux conseillers de vote les plus influents1, Institutional Shareholder Services Ltd (ISS) et Glass Lewis, ont un regard très différent sur ces résolutions. ISS a soutenu près de 95% des résolutions «say-on-climate» présentées sur les marchés européens en 2022. En revanche, Glass Lewis a recommandé de voter contre ou de s’abstenir sur plus de 40% de toutes les propositions. Ce qui différencie le point de vue de ces deux organisations, c’est essentiellement la conviction que, plutôt que de la déléguer aux actionnaires, les instances de direction devaient garder la responsabilité ultime de la stratégie climatique d’une entreprise.

Ces deux conseillers de vote ont d’ailleurs tendance à devenir plus critiques à l’égard des résolutions «say-on-climate», ce qui traduit en partie la complexité requise pour analyser ces propositions, que ce soit en termes de transparence de l’information sur les émissions de carbone, d’engagement sur le long terme ou de fixation d’objectifs crédibles. Les résolutions «say-on-climate» n’en sont qu’à leurs débuts et divisent l’opinion. Si les partisans pensent qu’elles permettront d’améliorer l’information sur les émissions de carbone et d’encourager l’engagement actionnarial, d’autres s’avèrent plus sceptiques. Vanguard, par exemple, se montre prudent quant à la valeur des résolutions «say-on-climate», et est «préoccupé par les éventuelles implications et conséquences non voulues pour la gouvernance et la responsabilisation»2.

Effectivement, les avis sur les résolutions «say-on-climate» restent encore très divergents. Quels sont les avantages de ces propositions?

Une résolution «say-on-climate» sensibilise les esprits sur l’enjeu du climat à tous les niveaux et jusque dans les rangs des assemblées générales en donnant la possibilité aux actionnaires de donner leur avis sur la stratégie de transition climatique de l’entreprise. Du point de vue de la compagnie, cela a son importance car c’est une manière de chercher expressément l’opinion des actionnaires sur les modalités d’élaboration et de mise en œuvre de sa stratégie climatique, même si ce vote n’est pas contraignant sur le plan juridique. En Europe, l’environnement est également à l’ordre du jour des assemblées générales des actionnaires, ce qui est un développement positif.

Que peut-on craindre? Existe-t-il des risques d’écoblanchiment?

Le vote n’a qu’un caractère consultatif et parfois, les résolutions manquent de clarté ou d’ambition. Elles ont ainsi tendance à rester floues pour ce qui est de l’exécution de la stratégie à long terme. Il faut donc être très attentif au risque d’écoblanchiment. Par ailleurs, il n’existe actuellement pas, de cadre juridique entraînant des conséquences en cas d’absence de soutien de la majorité à une résolution «say-on-climate». Et jusqu’à présent, nous n’avons pas vu d’entreprises soumettre de nouvelles résolutions suite au vote des actionnaires des années précédentes. C’est un mécanisme ponctuel. Par ailleurs, le risque réside dans le fait que l’on puisse penser que la compagnie transfère la responsabilité de sa stratégie de transition climatique aux actionnaires.

Comment faire face à ces craintes?

Sensibiliser sur les sujets climatiques, élaborer une stratégie de réduction de gaz à effet de serre, laisser les actionnaires s’installer à la table du débat climatique, sont, selon moi, autant d’évolutions positives qui responsabilisent toutes les parties prenantes. Cependant, le diable se cache souvent dans les détails. Si se doter d’une stratégie climatique est important, il est essentiel qu’elle soit menée à bien sur le long terme. Pour se faire, il faut fixer des échéances, communiquer sur les objectifs et cibles à court et moyen terme, etc. Un objectif global de réduction des émissions carbone dans un avenir lointain ne suffit pas.

Cela étant, nous n’en sommes qu’aux prémices. Par conséquent, sanctionner les entreprises qui ouvrent la voie en recourant aux résolutions «say-on-climate» est contreproductif. Au contraire, continuer d’engager le dialogue et suivre les évolutions dans le temps sera plus constructif pour s’assurer l’obtention d’un résultat plus bénéfique pour tous.

Chez J. Safra Sarasin Sustainable Asset Management, nous évaluons les résolutions «say-on-climate» au cas par cas et nous partons du principe qu’il faut encourager les équipes dirigeantes via de multiples canaux à communiquer avec transparence sur leurs stratégies climat. Nous appliquons notre politique de vote sur les résolutions climatiques pour les entreprises les plus émettrices de notre univers d’investissement et nous engageons le dialogue avec les entreprises soit individuellement sur les questions climatiques, soit en collaboration, par exemple dans le cadre de la campagne annuelle du Carbon Disclosure Project (CDP).

Sources:

  • ISS Governance Insights, 2022 European Voting Results Report
  • Say on Climate in the 2022 Proxy Season, Georgeson

 

1 Les conseillers de vote par procuration offrent des analyses et des recommandations de vote aux investisseurs institutionnels et à d’autres investisseurs à l’occasion des assemblées générales des actionnaires de sociétés cotées.
2 https://corporate.vanguard.com/content/dam/corp/advocate/investment-stewardship/pdf/perspectives-and-commentary/policy_insights_sayonclimate_final.pdf