Les retombées de l’affaire Evergrande: à surveiller

Sophie Rabréaud, CA Indosuez

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La dette d’Evergrande représente 0,2% des actifs totaux des banques chinoises. Le risque de contagion semble donc gérable.

China Evergrande n'a pas honoré les remboursements de prêt dus à deux banques en date du 21 septembre. En ce qui concerne le paiement des coupons des obligation offshore 8,25% 2022 et 9,5% 2024, dûs respectivement les 23 et 29 septembre, l’émetteur bénéficie d'une période de grâce de 30 jours avant que l’émetteur soit officiellement en situation de défaut. Si les paiements de coupon ne sont pas effectués, les marchés peuvent encore espérer que le gouvernement chinois intervienne pendant la période de grâce.

QUELS RISQUES DE CONTAGIOSITÉ?

Les inquiétudes concernant les risques de contagion ont déclenché une correction des marchés obligataires chinois, notamment parmi les promoteurs notés B. La dégradation de la confiance a également affecté les noms les plus robustes du secteur. Selon l'agence de notation S&P, les promoteurs immobiliers les plus en difficulté pâtissent de la situation d'Evergrande depuis plusieurs mois et ont perdu l'accès au refinancement offshore. Si nous ne connaissons pas l'ampleur de la restructuration (ordonnée ou désordonnée) de China Evergrande, nous savons que le secteur immobilier joue un rôle très important dans l'économie chinoise. De manière directe ou indirecte, ce secteur représente en effet 28,7% du PIB chinois. Selon certaines estimations, un recul de 15% des mises en chantier de logements neufs et de 5% des prix de vente moyens entraînerait une baisse de 1,4% de la croissance du PIB chinois. En réponse à l'impact économique du variant Delta et à la faiblesse de la consommation, la PBoC a surpris les marchés en réduisant le ratio des réserves obligatoires au mois de juillet, avant d’injecter dans les banques 300 milliards CNY pour les prêts aux petites et moyennes entreprises. En outre, la banque centrale a injecté des liquidités sur les marchés financiers via reverse repurchase agreements, afin d'éviter toute contraction du crédit. Selon S&P, l’impact des difficultés d'Evergrande sur les prix immobiliers restera minime. Alors qu'Evergrande a déjà réduit de manière draconienne les prix de ses actifs, la marge de manœuvre pour de nouvelles décotes est en effet limitée. D’autre part, la dette totale ajustée d'Evergrande au mois de juin 2021 – environ 571 milliards RMB (y compris la dette hors bilan) – ne représente que 0,35% des prêts des banques chinoises (environ 160 000 milliards RMB) et 0,2% des actifs de ces banques (280 000 milliards RMB). Globalement, les prêts accordés aux promoteurs immobiliers représentent 8% du total des expositions du secteur bancaire. Le risque de contagion lié à Evergrande semble donc gérable, même si les petites banques régionales sont susceptibles d'être plus exposées.

PERSPECTIVES DU SECTEUR

En septembre, Moody's a révisé les perspectives du secteur immobilier chinois de stables à négatives en raison de conditions de financement tendues, d’échéances de dette plus courtes pour les promoteurs notés B que pour leurs homologues notés BB et investment grade, et de la hausse des taux hypothécaires. Outre les Three Red Lines et les plafonds de prêts bancaires, on assiste à une escalade des contrôles d’endettement dans l'émission de billets de trésorerie, l’offre de financements et les quotas de prêts hypothécaires dans les grandes villes. Les promoteurs immobiliers bénéficiant de la notation B sont généralement plus endettés que leurs homologues BB et investment grade et présentent pour l’année 2022, des risques de refinancement plus élevés sur les marchés offshore en USD et onshore en CNY.

 Si certains promoteurs estiment que la baisse des marges atteindra un point bas en 2022, les coûts très élevés des adjudications de terrains à Pékin et Hangzhou au premier semestre 2021 rendent la plupart des projets non rentables dans ces villes. Au mois de juillet 2021, les niveaux d'inventaire étaient proches de leur moyenne historique de 7 mois, un niveau stable par rapport à la fin de l'année 2020 et bien inférieur au pic de 19 mois observé en mars 2020. En conséquence, la pression qu’exerce l’affaire Evergrande sur les prix immobiliers pourrait être atténuée par ces niveaux d'inventaire et la baisse de l'offre de nouveaux logements due au ralentissement des achats de terrains. Cependant, une communication défaillante du gouvernement ou une restructuration désordonnée d'Evergrande sont susceptibles de peser sur le marché. En attendant que les conditions de financement s’assouplissent, il convient d’éviter les risques de perte extrême liés aux promoteurs les plus fragiles. Pour ces promoteurs, le retour à une situation normale permettant d’accéder à nouveau aux marchés obligataires passera par un effort de désendettement significatif.

ET RISQUES DE DÉFAUTS?

Alors que les taux de défaut pondérés par les émetteurs en Asie-Pacifique étaient globalement stables jusqu'à la fin août, nous anticipons une hausse à partir des faibles niveaux actuels. En termes sectoriels, nous observons depuis le début de l’année 2021 une hausse progressive des taux de défaut dans le secteur immobilier, mais une diminution régulière dans les autres secteurs. Aucun défaut n’a été constaté dans les secteurs de la santé et des télécommunications. Nous sommes convaincus que le gouvernement maintiendra ses objectifs de désendettement. Les entreprises non financières fortement endettées pourraient donc être confrontées à des risques de refinancement accrus. Historiquement, plus de 90% des défauts de la région Asie-Pacifique sont dus au risque de liquidité. Au second semestre, le mois d'août a déjà été difficile pour les promoteurs immobiliers. En glissement annuel, les ventes de biens immobiliers ont chuté de 20% en moyenne. Septembre et octobre, respectivement considérés comme la haute saison, risquent selon nous de s’avérer décevants cette année. En raison de l'impact économique du variant Delta, la consommation chinoise restera faible et le PIB devrait décélérer de manière significative à partir du deuxième trimestre.

 Une stabilisation du sentiment des investisseurs est peu probable tant que la situation de crédit d'Evergrande ne sera pas clarifiée. En raison des difficultés de la société, certains promoteurs immobiliers fragiles affichant des échéances concentrées et une liquidité dégradée ont perdu l'accès au refinancement offshore depuis quelques mois.

Nous estimons qu'un défaut d'Evergrande ajouterait à ces pressions sur l'accès au capital, que ce soit par le biais d'obligations, de prêts bancaires ou de produits de gestion de patrimoine. Même si ces promoteurs parviennent à rembourser leurs échéances avec leurs liquidités internes, cela se fera au détriment du financement de leurs opérations commerciales et de leur expansion.

La directive des Three Red Lines qui doit être pleinement mise en œuvre d'ici mi-2023, vise à réduire l'endettement du secteur et constitue un facteur de soutien pour le crédit. La violation d’une, deux ou trois lignes correspond au jaune, à l'orange ou au rouge (le vert correspond à l’absence de violation) et plafonne respectivement les nouveaux emprunts du promoteur à 10%, 5% et 0%. En cas de conformité totale dans un scénario vert, le promoteur pourra accroître sa dette brute de 15% maximum. Cependant, même avant la date limite fixée à la mi-2023, les promoteurs seront confrontés à des contraintes de financement et auront des difficultés à accéder aux marchés de capitaux s'ils ne se conforment pas à cette directive. En d'autres termes, la directive des Three Red Lines a exacerbé la polarisation du secteur. Evergrande, par exemple, n'a pas été en mesure d'emprunter davantage auprès des banques, ce qui a contraint la société à recourir à des cessions d'actifs. Or les ventes d'actifs sont difficiles à réaliser lorsque toutes les activités de fusion et d'acquisition financées par la dette sont étroitement surveillées par le gouvernement.

En outre, l'érosion actuelle des marges dans l'ensemble du secteur ralentit malheureusement le processus de désendettement des promoteurs. En ce qui concerne le respect des Three Red Lines, les promoteurs privés de petite taille étaient clairement à la traîne, à la fin juin 2021, par rapport aux promoteurs liés aux entreprises publiques centrales et locales. Sur le segment high yield, 59 émetteurs ont fourni un rapport au premier semestre 2021, 20 émetteurs ont respecté les Three Red Lines (fin 2020: 17).

DES PRESSIONS LIÉES AU FINANCEMENT

Alors que le marché asiatique du crédit à haut rendement a subi de fortes pressions, la correction a essentiellement concerné les promoteurs immobiliers notés B. Les promoteurs investment grade et ceux liés au gouvernement ont été beaucoup moins touchés par la chute d'Evergrande. De fait, les entités publiques ont généralement un meilleur accès aux terrains que les promoteurs privés.

La PBOC restera attentive et continuera à fournir les liquidités nécessaires, tandis que le gouvernement exigera des régulateurs financiers, des autorités locales et des banques qu'ils collaborent pour réaliser des cessions d'actifs ordonnées et restructurer la dette d'Evergrande. De nouvelles réglementations ciblant le secteur pourraient être introduites, en vue d’imposer certaines contraintes aux promoteurs immobiliers privés.

Nous considérons que les acteurs les plus solides survivront et mèneront la consolidation du secteur, mais il est difficile de prévoir combien de temps la volatilité due aux politiques persistera.

Achevé de rédiger le 30 septembre 2021.