Le compte à rebours a-t-il commencé pour la Fed?

Vincent Manuel, Indosuez Wealth Management

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L’évolution de l’inflation US justifie que l’on reparle dans les prochains mois d’une réduction des achats d’actifs de la Réserve fédérale qui pourrait s’engager début 2022.

Si l'on s’en tient aux dernières publications officielles, la Réserve fédérale américaine (Fed) a encore un peu de temps devant elle, le récent rapport de l’emploi américain montrant une stagnation dans la création de postes au mois d’avril. Ce qui a posteriori pourrait justifier la priorité donnée par Jerome Powell à l’emploi plus qu’à l’inflation pour fixer sa politique monétaire. 

Mais si l’on se penche sur l’inflation américaine du mois d’avril, nous serions déjà au plus haut en termes d’évolution mensuelle de l’inflation depuis plusieurs années, même en retraitant l’effet de base liée à l’énergie ce qui relance inévitablement et a minima la question de l’arrêt des achats d’actifs de la Fed. L’inflation anticipée par les ménages est aussi au plus haut, reflétant la forte sensibilité au prix de l’essence à la pompe mais aussi l’inflation présente dans de nombreux segments des biens de consommation. Tout ceci justifie que l’on reparle dans les prochains mois d’une réduction des achats d’actifs de la Fed qui pourrait s’engager début 2022, mais les taux courts devraient rester à ce niveau jusqu’au début de l’année suivante.

Cette question survient dans une année de croissance très particulière au cours de laquelle une relance coordonnée des principaux pays occidentaux doit contribuer à sortir de la récession et du sous-emploi le plus rapidement possible. Tout est dans ce que «rapidement» signifie: quelques mois ou trimestres aux Etats-Unis, et sans doute quelques années en zone euro, dont le plan de relance tarde à se mettre en œuvre. C’est une question importante pour les devises au second semestre: le déconfinement et le plan de relance vont-ils ramener la croissance européenne au niveau de la dynamique constatée aux Etats-Unis?

Pour autant, augmenter les dépenses publiques n’élève pas le sentier de croissance d’une économie à long terme, elle peut même le dégrader. Sauf si les dépenses portent sur des investissements (infrastructures, digital, éducation, …) et s’accompagnent de réformes visant à accroitre la productivité de l’économie. 

Ce n’est donc pas par hasard que la réponse de l’Amérique de Biden comme celle des Européens mettent l’accent sur les investissements. Et il est intéressant de noter que face à ce contexte, l’Italie semble vouloir profiter de cette phase pour engager des réformes de structures destinées à améliorer une productivité dont la dynamique demeure en retrait de celle de ses voisins européens.

Faut-il cependant craindre un troisième tour fiscal en 2022, après une année 2020 très monétaire et une année 2021 marquée par la relance budgétaire? Il serait logique d’anticiper en tout cas que le taux d’imposition sur les sociétés (qui a fortement reculé au cours des quatre dernières décennies) remonte pour contribuer au financement de ce retour en grâce de l’Etat providence pourfendu dans les années 1980. C’est en substance le sens du propos de Janet Yellen au dernier sommet du Fonds monétaire international (FMI). Le challenge sera de trouver un équilibre durable du mode de financement des Etats dans une économie de plus en plus durable à mesure que la disruption digitale s’amplifie. 

Une chose semble certaine: les Etats ne pourront pas durablement accroître leurs dépenses et en même temps continuer de baisser les taux d’imposition, sauf à mettre en danger leur trajectoire de retour aux équilibres. La croissance potentielle et l’innovation restent donc les objectifs à long terme de ces plans, et la trajectoire de croissance de 2022-2023 sera probablement l’épreuve de vérité de ces plans de relance.

Dans ce cadre, au-delà du rebond des valeurs cycliques et Value qui devrait se poursuivre cette année, la croissance schumpeterienne pourrait à nouveau dominer la croissance keynésienne et les investisseurs pourraient à nouveau continuer de privilégier les pays et acteurs reposant sur l’innovation et la croissance durable, peut être au détriment des secteurs cycliques et des pays dont le modèle de croissance repose trop fortement sur l’accumulation de dettes. Passé ce rebond cyclique qui devrait s’élargir à l’ensemble des pays au second semestre, nous pourrions retrouver davantage de divergence l’année prochaine.