L’IA, plus un frein qu’une opportunité pour l’industrie du logiciel?

Brice Mari, Synapse Invest

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La volonté des géants de la Tech de monétiser leurs modèles d’IA représente une menace sérieuse pour des segments entiers de l’industrie du logiciel.

Le premier semestre a été difficile pour les acteurs du logiciel, qui ont accusé un retard de performance de plus de 20% par rapport à leurs homologues des semi-conducteurs. Alors que de nombreux investisseurs avaient anticipé une accélération de la croissance des revenus pour les éditeurs de logiciels commercialisant de nouveaux produits intégrant des fonctionnalités d’IA, leurs espoirs ont été douchés lors de la dernière saison de résultats. Salesforce, MongoDB, ou encore Rapid7 ont en effet publié des chiffres trimestriels et/ou des prévisions décevants, traduisant une certaine faiblesse des dépenses des entreprises en logiciels.

Si nous pouvons supposer que certaines entreprises clientes ont continué à digérer leurs investissements massifs en logiciels de la période 2020-2022, nous pensons également que l’IA a été jusqu’à présent plus un frein qu’un accélérateur, et ce pour deux raisons principales.

Tout d’abord, il est probable que les entreprises clientes aient commencé à réorienter une partie de leurs budgets informatiques vers des initiatives internes en matière d’IA, au détriment des investissements logiciels. Même si ces logiciels sont dotés de fonctions d’IA, les directeurs informatiques des entreprises de la plupart des secteurs d’activité accordent désormais la priorité au développement et au déploiement de leurs propres produits et services d’IA.

Ensuite, il devient de plus en plus évident que ces mêmes directeurs informatiques hésitent à engager des dépenses dans de nouveaux logiciels, compte tenu de la multitude de produits logiciels avec IA arrivant sur le marché, du temps nécessaire pour les examiner et les valider et du rythme effréné de progression de l’IA qui pourrait rendre obsolètes bon nombre de ces logiciels de première génération d’ici un ou deux ans.  En bref, nous pensons qu’attentisme a été et demeurera le maître mot à court terme.

Selon nous, ces freins pourraient graduellement se dissiper au cours des deux prochaines années, à mesure que la technologie arrivera à maturité et que les directeurs informatiques chez les entreprises clientes commenceront à mieux l’appréhender. Compte tenu du sentiment négatif actuel à l’égard du secteur des logiciels, nous ne serions donc pas surpris qu’une série de bons chiffres trimestriels à un moment donné restaure une partie de la confiance perdue et provoque un rebond des éditeurs de logiciels.

Cela dit, des défis à plus long terme liés à l’IA sont en train d’émerger et posent des risques fondamentaux pour des segments entiers de l’industrie du logiciel, ce qui suggère qu’il faudra être très prudent à l’avenir pour investir dans le secteur. Il y a quelques jours, Bloomberg a ainsi rapporté que Google a décidé de transformer son unité IA DeepMind d’un laboratoire de recherche à une société commerciale.

DeepMind, qui a déjà développé des modèles spécifiques à différentes industries, pourrait donc bientôt les mettre sur le marché. Nous pensons notamment à AlphaFold 3, un modèle capable de prédire la structure et les interactions des molécules biologiques, ce qui devrait accélérer le processus de développement des médicaments.

Genie, qui est un modèle capable de convertir une courte description ou un dessin en jeu vidéo, est un autre exemple. Au moment de la présentation de Genie il y a quelques mois, DeepMind n’avait d’ailleurs pas caché que ce projet de recherche pourrait un jour devenir un outil de création de jeux, vendu à des studios de développement.

Dans l’ensemble, il devient plus que probable que les modèles d’IA les plus puissants vont entrer en concurrence directe avec les logiciels traditionnels et nous pouvons alors nous interroger sur les perspectives à long terme d’entreprises telles que Schrodinger (logiciel de conception de molécules pharmaceutiques) ou Unity (logiciel de conception de jeux vidéo).

A l’évidence, les modèles d’IA ne se limiteront pas à la santé et aux jeux vidéo et ils pourraient bientôt toucher de nombreux autres segments du logiciel. Ce n’est ainsi pas une coïncidence si Google cherche à acquérir HubSpot, ce qui lui ouvrirait le marché des logiciels de gestion de la relation client et lui donnerait l’occasion d’affronter Salesforce...

En conclusion, même si les initiatives IA de nombreux éditeurs de logiciels sont susceptibles d’accélérer leur croissance au cours des 12 à 24 prochains mois, nous craignons que l’environnement concurrentiel à moyen et long terme ne s’intensifie et ne continue de peser sur les valorisations.

Dans ce contexte, la sélection de titres dans le logiciel devra s’opérer avec la plus grande précaution. Il nous semble plus judicieux pour le moment de continuer à surpondérer les semi-conducteurs et les équipements de réseau, en ayant à l’esprit qu’après la phase d’entraînement des modèles, l’inférence et le traitement de l’IA directement sur nos appareils quotidiens (smartphone, PC, voiture…) vont ouvrir un nouveau marché pour les concepteurs de puces.