IA, nucléaire & infrastructure électrique: un nouveau cycle de croissance

Brice Mari, Synapse Invest

2 minutes de lecture

Les besoins en électricité exponentiels de l’intelligence artificielle donnent un sérieux coup de fouet aux perspectives des acteurs du nucléaire et de l’infrastructure électrique.

Depuis quelques mois, les annonces se multiplient autour de l’infrastructure électrique de l’intelligence artificielle, qui est en passe de devenir un enjeu aussi important que l’infrastructure informatique pour les géants de la technologie.

Microsoft a ainsi signé un contrat de fourniture d’électricité sur vingt ans avec Constellation Energy pour alimenter ses centres de données.

Amazon a acheté un centre de données de 960 MW pour 650 millions de dollars en Pennsylvanie, alimenté par la centrale nucléaire adjacente de Susquehanna, et a signé trois accords pour le déploiement de petits réacteurs modulaires (SMR) aux Etats-Unis. Enfin, Google a signé un contrat avec Kairos Power portant sur la fourniture d’un premier SMR d’ici 2030, suivi de six autres d’ici 2035.

La consommation électrique des centres de données explose en effet sous l’effet des puces d’IA devenant de plus en plus gourmandes (1 KW pour Blackwell de Nvidia, contre 700 watts pour la génération précédente) et de la chaleur dégagée nécessitant des solutions de refroidissement (notamment liquides) supplémentaires, là encore gourmandes en électricité. Globalement, on estime que les centres de données consommeront plus de 1'400 TW en 2030 contre 340 TW en 2022, et auront ainsi un impact significatif sur la consommation mondiale d’électricité, mettant les réseaux actuels à rude épreuve.

Des solutions sont donc à l’étude, en particulier du côté de la génération d’électricité. Sans surprise, l’énergie solaire et l’éolien apparaissent comme des solutions intéressantes pour satisfaire ce surplus de demande. Elles présentent néanmoins un inconvénient majeur: elles ne sont pas en mesure de fournir un flux d’énergie constant tout au long de l’année.

Dès lors, l’énergie nucléaire s’impose progressivement comme une solution clé pour relever ce défi, comme en témoignent les exemples que nous avons cités plus haut. Nous pensons que ces premiers projets dans le nucléaire annoncés par les plus grands opérateurs de centres de données ne sont que le début d’une tendance structurelle et que nous verrons prochainement des annonces de colocation entre centres de données et centrales nucléaires.

Les délais de construction ou de mise en place de ces nouvelles installations nucléaires seront un point épineux. Mais la réouverture de centrales mises en sommeil ainsi que l’assemblage de SMRs devraient aboutir à des délais bien plus rapides (4-6 ans) que la construction de nouvelles centrales, en gardant à l’esprit que le Sénat américain a apporté sa pierre à l’édifice avec le récent Advanced Act visant à assouplir et accélérer le processus d’autorisation pour les actifs nucléaires.

Fait notable à quelques jours de la présidentielle américaine, l’Advanced Act a reçu un soutien bipartisan, soulignant à quel point le nucléaire est devenu un sujet consensuel pour Démocrates et Républicains.

D’un point de vue financier, si les investisseurs pensent naturellement aux mineurs d’uranium (Cameco en tête, ou des juniors comme Paladium ou Denison Mines) pour jouer le retour en force du nucléaire, il nous semble tout aussi important de s’intéresser aux sociétés d’ingénierie et d’équipement nucléaire (BWX Tech, Bilfinger, Curtiss-Wright...) qui peuvent s’attendre à être consultées sur des projets de faisabilité et à ce que leurs carnets de commandes (instrumentation, turbines, pompes…) gonflent dès que les permis de construire seront délivrés.

Les utilities exposés au nucléaire (Constellation, Vistra…), qui bénéficieront d’une accélération de leur croissance dès lors que certains de leurs actifs sortiront de leur sommeil, sont également une façon intéressante de jouer la thématique.

Mais le défi énergétique des centres de données ne s’arrête pas à la génération abondante d’électricité. Génération rime en effet avec transmission, et acheminer l’énergie produite aux utilisateurs représentera un autre défi de taille.

Par exemple, certains équipements comme les transformateurs sont actuellement en pénurie, avec des délais d’attente pouvant dépasser les deux ans... Les transformateurs sont utilisés pour convertir (alternatif/continu) et abaisser la puissance électrique entrant dans un centre de données à la tension adéquate pour alimenter tous les composants électroniques de l’infrastructure informatique (CPU, GPU...). Un type d’acier spécifique, appelé acier électrique à grains orientés, est utilisé pour le noyau des transformateurs et fait actuellement l’objet d’une pénurie en raison du soudain accroissement de la demande de la part des centres de données.

La multiplication du nombre de centres de données et d’installations de production d’électricité (nucléaire ou autre) va ainsi requérir des investissements massifs en équipements (câbles haute tension, transformateurs...) et ouvrir un nouveau cycle de croissance pour les acteurs du secteur (Schneider, GE Vernova, Prysmian…) qui pourraient, en outre, bénéficier de plans d’aide de la nouvelle administration américaine, que celle-ci soit républicaine ou démocrate.