Dette émergente: retour des fondamentaux sur le devant de la scène

Omotunde Lawal, Ricardo Adrogué, Cem Karacadag, Barings

4 minutes de lecture

Après le durcissement de ton de la Fed en fin de trimestre, la dette souveraine et d’entreprise semble mieux positionnée que celle en devises locales.

Les marchés émergents continuent de bénéficier de plusieurs vents favorables – comme la croissance positive et les progrès dans les campagnes de vaccination, ou encore la stabilisation des rendements des bons du Trésor américain. Les performances ont ainsi été positives au deuxième trimestre, les dettes souveraines, d’entreprise et locales ayant progressé de 4,06%, 2,10% et 3,54%, respectivement1. Les spreads ont eux aussi poursuivi leur resserrement dans l’ensemble. Cela dit, le durcissement de ton de la Réserve fédérale américaine en fin de trimestre a généré une certaine volatilité sur les marchés et fait peser des doutes sur la croissance des marchés émergents. Plusieurs risques macroéconomiques et géopolitiques sont venus renforcer l’incertitude, notamment les tensions actuelles entre les États-Unis et la Chine et entre la Russie et les États-Unis, ainsi que les mouvements sociaux en Amérique latine et les élections présidentielles à venir au Chili.

FIGURE 1: PERFORMANCE DE LA DETTE ÉMERGENTE DEPUIS LE DÉBUT DE L’ANNÉE

Source: J.P. Morgan. Au 30 juin 2021.
Dette souveraine et locale: un panorama mitigé

Malgré les signaux envoyés par la Fed quant à des hausses de taux éventuellement supérieures aux attentes en fonction des données sur l’inflation, les perspectives de croissance des marchés émergents restent selon nous positives et devraient être suffisamment solides pour soutenir la solvabilité des économies émergentes à l’avenir. Deux facteurs confirment cette situation: la reprise aux États-Unis et en Europe devrait continuer de stimuler la demande en biens et services des marchés émergents, tandis que la croissance chinoise alimentera vraisemblablement la demande en matières premières et soutiendra encore davantage les cours du pétrole. En outre, une grande partie des moratoires et des mesures de soutien qui ont largement soulagé les économies l’an dernier restent en vigueur et profitent encore aux marchés émergents. Des institutions multilatérales ont également amorcé des efforts de réduction des dettes et nous estimons que les marchés émergents devraient bénéficier d’environ 240 milliards de dollars sur les droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI au cours des mois à venir2.

Les répercussions des hausses des taux sur la capacité d’accès des pays aux financements extérieurs susciteront peut-être davantage de difficultés. À un niveau élevé, une conjoncture caractérisée par l’inflation/des taux en hausse est susceptible d’entraîner une baisse des financements en provenance d’investisseurs étrangers. Les devises pourraient faire face à de forts vents contraires prochainement, en particulier dans les pays qui maintiennent des comptes courants déficitaires et dépendent donc davantage des financements étrangers, comme la Colombie et l’Indonésie. La situation est donc plus tendue sur le front des taux locaux, mais le panorama sera sans doute mitigé. Par exemple, les nombreux pays qui sont parvenus à améliorer progressivement leur balance des paiements, parfois jusqu’à enregistrer des excédents, sont en meilleure position pour résister aux sorties de capitaux. C’est le cas, notamment, de l’Afrique du Sud, du Brésil et du Mexique.

Dans ce contexte, les titres souverains libellés en devise forte semblent bien positionnés et pourraient de fait bénéficier du changement de ton de la Fed s’il permet de stabiliser les rendements des bons du Trésor américain. Les pays à haut rendement devraient notamment rester attractifs, étant donné que les spreads restent, dans la plupart des cas, relativement larges par rapport aux émetteurs «investment grade». Cependant, compte tenu de la diversité et de la dispersion des performances au sein de cet univers, la sélection des pays reste fondamentale, et elle jouera un rôle majeur dans notre recherche d’opportunités à l’avenir. Si la situation générale – ou bêta – du marché a été un moteur important de performance ces derniers mois, nous pensons que le changement d’attitude de la Fed replace clairement les fondamentaux des pays sur le devant de la scène. En d’autres termes, la sélection des pays revêt actuellement, plus que jamais, une importance essentielle, et elle sera décisive pour identifier les bonnes opportunités à l’avenir tout en évitant les pièges – ou les mauvaises surprises – qui peuvent se présenter à tout moment dans cet univers.

Dette d’entreprise: les fondamentaux restent solides

En ce qui concerne la dette d‘entreprise émergente, les regards seront surtout braqués sur les taux et la croissance au cours des mois à venir. Alors que les dernières déclarations de la Fed pourraient quelque peu affaiblir la situation technique – étant donné qu’une hausse des taux plus rapide que prévu pourrait affecter la future demande en obligations d’entreprise – les fondamentaux des entreprises restent relativement solides et ne devraient pas pâtir outre mesure d’un ralentissement de la croissance. Outre une amélioration de la situation sur le front des défauts, les niveaux d’endettement des entreprises sont encore raisonnables, ce qui laisse entendre que les sociétés pourraient résister à une augmentation progressive des coûts de financement en cas de hausse des taux. En 2020, les niveaux d’endettement nets des entreprises émergentes à haut rendement ont en fait moins augmenté que ceux de leurs homologues des marchés développés (Figure 2).

FIGURE 2: ENDETTEMENT NET DES ENTREPRISES À HAUT RENDEMENT ÉMERGENTES ET AMÉRICAINES

Source: J.P. Morgan. Au 30 juin 2021.

Compte tenu de ce contexte nettement favorable et des nouvelles positives sur le front des vaccins, les spreads des entreprises ont poursuivi leur resserrement et une grande partie du marché affiche à présent des spreads plus étroits qu’avant la pandémie. Cela dit, les spreads restent assez larges au regard de leurs niveaux historiques et des marchés développés. Le segment à haut rendement du marché offre en particulier une prime d’environ 50-60 points de base (pb) par rapport à son pendant développé3. De récents ajustements de cours dans des pays comme la Chine, le Pérou, l’Ukraine et la Turquie l’expliquent en partie, ce qui suggère que les spreads pourraient se resserrer davantage avec la normalisation de ces événements et la généralisation de la reprise. Malgré tout, comme dans l’univers des dettes souveraines en devise forte, la sélection des crédits est fondamentale pour qui souhaite profiter des opportunités et éviter les risques.

Et après?

Certes, la Fed a sans doute porté un coup à la dynamique des marchés émergents, mais toutes les classes d’actifs et tous les émetteurs ne seront pas affectés de la même manière. S’il est peu probable que les hausses de taux freinent la croissance positive ou nuisent fortement aux performances sur les marchés de la dette souveraine et du crédit des entreprises, les taux et les devises locales pourraient devoir surmonter des difficultés supplémentaires. Dans ce contexte, alors que le deuxième semestre commence, nous pensons qu’il faudra clairement mettre l’accent sur l’analyse bottom-up – en intégrant l’effet des facteurs ESG sur les sociétés et sur les pays – pour se démarquer en termes de performances. En fin de compte, il nous est impossible de prédire exactement quand les taux changeront, ou comment évolueront les tensions sino-américaines et russo-américaines. L’analyse bottom-up nous donne la capacité de cibler les pays et les sociétés les mieux positionnés pour faire face à une situation changeante.

 

1 Source: J.P. Morgan. Au 30 juin 2021.
2 D’après les observations du marché de Barings.
3 Source: J.P. Morgan. Au 30 juin 2021.

 

Toutes les prévisions contenues dans le présent document reposent sur le point de vue de Barings concernant le marché à la date de préparation du document. Ces prévisions sont susceptibles d’être modifiées sans préavis en fonction d’un large éventail de facteurs. Toute prédiction, projection ou prévision n’est pas nécessairement indicative des performances futures ou probables. Tout investissement comporte des risques. La valeur de tout investissement et de tout revenu généré par celui-ci peut évoluer à la hausse comme à la baisse, et elle n'est garantie ni par Barings, ni par aucune autre personne. LES PERFORMANCES PASSÉES NE PRÉJUGENT PAS DES RÉSULTATS FUTURS.