1980: George Collins prend les rênes de T. Rowe Price

Emily Davidson, T. Rowe Price

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Lancée en 1971, l'activité obligataire a connu des débuts plutôt modestes. L'économie américaine était difficile, seuls deux employés géraient les obligations. Second épisode du Voyage dans le temps sur le thème obligataire.

Georges Collins, le «Bond Guy», est promu à la tête de T. Rowe Price en 1984
Source: T. Rowe Price

La nouvelle décennie a démarré de manière aussi imprévisible que la précédente s'est terminée. Pendant trop longtemps, l'importance de la politique monétaire dans la lutte contre l'inflation a été sous-estimée et, en mars 1980, l'inflation américaine a atteint 14,8%.   

Début d'une nouvelle ère

Ce n'est qu'avec la nomination de Paul Volcker à la tête de la Réserve fédérale américaine, en août 1979, que l'inflation a été maîtrisée. Il a brièvement porté les taux d'intérêt à 20%, un niveau inimaginable selon les normes actuelles. Dans un premier temps, les hausses de taux de Volcker ont été pénibles. L'économie américaine est entrée en récession et le chômage a augmenté. Avec le recul, Volcker a réussi à maîtriser l'inflation et, dès 1983, la croissance a repris.

Paul Volcker à la tête de la Réserve fédérale américaine en 1979 a su maîtriser l’inflation

Source: Flickr

 

1983 marque également le début d'une nouvelle ère sur les marchés obligataires qui durera des décennies. «Lorsque j'ai débuté ma carrière, je n'avais évidemment pas conscience que nous étions au début d'un marché haussier qui durerait 30 ans», se souvient Quentin Fitzsimmons, gestionnaire de portefeuille. A l'époque, T. Rowe Price gérait environ 13 milliards de dollars américains. La moitié de cette somme était investie dans un total de neuf fonds de placement. L'autre moitié était gérée dans le cadre de mandats pour des particuliers, des entreprises et des fondations.  

Cette même année, Thomas Rowe Price Jr., fondateur de la société, décède à l'âge de 85 ans. Depuis le lancement de sa société, il était convaincu qu’il ne pourrait réussir que si ses clients réussissaient. Bien qu'il ait pris sa retraite en 1971, il a continué à gérer les portefeuilles de sa propre famille. Pour quelqu'un qui n'avait jamais étudié l'économie ni la finance, on pourrait presque le décrire comme visionnaire. Afin d’identifier des investissements attrayants, il ne fallait qu'une chose, disait Thomas Rowe Price Jr.: «Ma grand-mère l’appelait l'intelligence, mon père du bon sens, mais la plupart des gens l’appellent simplement bon sens».

En 1983, Thomas Rowe Price Jr., fondateur de T. Rowe Price, décède à l'âge de 85 ans

Source: T. Rowe Price

 

Les obligations règnent en maître

Le département obligataire de T. Rowe Price était initialement composé de deux personnes, dont George Collins. Il a développé la gestion d’actifs des titres à revenu fixe à partir de presque rien dans les années 1970, pour en faire une activité pesant plusieurs milliards de dollars. En 1982, T. Rowe Price gérait un volume considérable de 3,2 milliards de dollars dans son seul fonds monétaire à haut rendement. Le fonds avait été lancé en 1976 et représentait déjà la plus grande source de revenus de l’entreprise.

Pour George Collins, ancien athlète d'élite et militaire, le travail d'équipe était à l'origine de chaque succès. Il a délibérément rassemblé autour de lui une sélection de gestionnaires jeunes et dynamiques. Chaque lundi matin, ils se réunissaient pour discuter du marché, ainsi que des opportunités et des risques liés aux obligations d'Etat et d'entreprise, et des titres du marché monétaire.

L'expérience de Georges Collins lui a été utile à de nombreuses reprises. En 1981, T. Rowe Price détenait 10 millions de dollars d'obligations d'entreprise dans Braniff International Airways. Un jour, des rumeurs de problèmes majeurs ont commencé à émerger. Braniff insistait sur le fait que tout allait bien, mais George Collins a senti qu’il y avait anguille sous roche. Il a contacté des collaborateurs pour savoir combien de personnes prenaient réellement l'avion et a découvert ce que les employés de la compagnie aérienne se disaient en coulisses. Comme Georges Collins s'en doutait, les conditions étaient beaucoup moins bonnes que ne le prétendait la direction de Braniff, et les obligations ont donc été vendues. La compagnie aérienne a ensuite fait faillite. L'approche fondée sur le «bon sens» a porté ses fruits.

Braniff International Airways

Source: Flickr

 

T. Rowe Price a bénéficié de la croissance du secteur obligataire au cours des années 1980 qui furent mouvementées. En raison des taux d'intérêt élevés et de la volatilité, le secteur des titres à revenu fixe est devenu la principale source de revenus de la société. Pour ceux qui doutaient de l'importance des obligations, ce fut une leçon d'humilité, mais aussi une expérience que de voir comment les obligations peuvent équilibrer des portefeuilles en actions lorsque ces dernières sous-performent. En juillet 1984, le «Bond Guy» George Collins a été promu à la tête de T. Rowe Price, ce qui a constitué une véritable consécration pour l'investissement obligataire.

Le boom du haut rendement

En 1984, T. Rowe Price lance un fonds en obligations d'entreprises à haut rendement. La société avait constaté que la demande envers des produits à haut rendement augmentait et que les investisseurs devenaient de plus en plus avertis sur le potentiel de hausse des titres de qualité inférieure. Le boom des «junk bonds» avait commencé. Parallèlement, T. Rowe Price a continué à diversifier son offre de produits. La société avait tiré une leçon difficile de l'essoufflement de son fonds Growth Stock, et l'entreprise avait subi une baisse significative de ses bénéfices sans pouvoir la compenser dans d'autres domaines.

Bien que les rendements des titres à revenu fixe soient devenus compétitifs par rapport à ceux des actions, les marchés obligataires manquaient de transparence dans l'élaboration des politiques. Après les turbulences monétaires des années 1970, le régime de lutte contre l'inflation a été renforcé par la doctrine monétariste dans les années 1980. La Reserve Bank of New Zealand a obtenu son indépendance en 1989 et, au cours des années 1990, d'autres pays lui ont emboîté le pas.

A la fin de 1985, T. Rowe Price gérait 17 fonds, dont sept en actions et obligations et trois dédiés au marché monétaire. Si l'on tient compte de tous les autres mandats confiés à des investisseurs institutionnels et à des particuliers fortunés, la société gérait environ 20 milliards de dollars américains d’actifs. Un peu plus de la moitié de cette somme, soit près de 10 milliards de dollars, était investie dans des titres à revenu fixe.

En parallèle, George Collins a constaté que la concurrence s'intensifiait et que le coût des services d'investissement augmentait. C'est pourquoi T. Rowe Price a envisagé une introduction en bourse. Celle-ci a finalement eu lieu en 1986, l'année même où la société a lancé son tout premier fonds obligataire mondial.

En 1986, T. Rowe Price fait son entrée à la bourse

Source: Vecteezy

 

Le pire marché baissier de l'histoire du haut rendement

Lorsque les affaires sont en plein essor, la crise suivante est souvent tapie dans l'ombre. En 1987, le krach boursier du Black Monday a été spectaculaire, mais, sur le marché obligataire, il a occulté un problème plus fondamental. Les actifs à haut rendement étaient en surchauffe et sur le point d'exploser. «Lorsque j'ai commencé en 1988, l'environnement de marché était volatile et dangereux», se souvient Mark Vaselkiv, qui est devenu plus tard CIO du département obligataire chez T. Rowe Price. Le boom était en partie provoqué par Michael Milken qui travaillait chez son concurrent Drexel Burnham Lambert. Connu dans les médias comme le «Junk Bond King», Michael Milken a été l'une des sources d'inspiration du personnage de Gordon Gekko dans le film légendaire «Wall Street», sorti à la fin de l'année 1987.

Connu dans les médias comme le «roi des obligations pourries», Michael Milken a été l'une des sources d'inspiration du personnage de Gordon Gekko dans le film légendaire «Wall Street»

Source: Flickr

 

Deux ans plus tard, le marché des obligations à haut rendement valait 189 milliards de dollars et le moral des investisseurs était au beau fixe. Cependant, en coulisses, le marché connaissait une période de bouleversements. «Nous avons traversé le pire marché baissier de l'histoire du marché à haut rendement», explique Mark Vaselkiv. La crise de l'épargne et du crédit qui a frappé les Etats-Unis à l'époque a eu un impact durable sur l'économie et a coûté des milliards de dollars aux contribuables. «A l'époque, les gens fumaient encore dans les bureaux. Lorsque la situation était très stressante, on voyait de véritables nuages de fumée s'élever. On savait alors qu'il s'agissait d'une mauvaise journée sur les marchés».

Une nouvelle génération

En plus de Mark Vaselkiv, toute une génération d'employés a commencé chez T. Rowe Price dans les années 1980 et est restée fidèle à l'entreprise pendant des décennies. L'une d'entre elles est Mary Miller. Sa carrière a débuté en 1983 en tant qu'analyste de crédit. A la fin des années 1980, elle est devenue gestionnaire de portefeuille et a géré avec succès jusqu'à six fonds obligataires durant 20 ans. Au cours de sa carrière, elle a joué un rôle clé dans le développement et la croissance du département des titres à revenu fixe.

Un autre exemple est celui de Mike Conelius, qui est devenu plus tard responsable de la dette décotée. Il a rejoint T. Rowe Price en 1988. «Lorsque j'ai commencé en tant qu'analyste, Internet n'existait pas. Nous disposions d'un écran Bloomberg et d'une calculatrice Reuters, mais la plupart des recherches étaient effectuées sur papier et à l'aide de feuilles de calcul», explique-t-il. A l'époque, les gens s'échangeaient encore des journaux et des magazines. «La procédure était simple: à la fin de la journée, les analystes découpaient les articles qu'ils voulaient et nous en faisions une copie.»

Cheryl Mickel garde elle aussi un souvenir impérissable de ses débuts. Gestionnaire de portefeuille expérimentée, elle a ensuite pris la tête de l'équipe US Taxable Low Duration, qui gère plus de 100 milliards de dollars d'actifs. Elle n'avait que 22 ans lorsqu'elle a commencé comme assistante de trading chez T. Rowe Price en 1989. «Je pensais que la salle des marchés serait bruyante et folle, mais c'est tout le contraire qui s'est produit. J'ai été impressionnée par l'atmosphère calme qui y régnait», se souvient-elle.

Ce que vous découvrirez à l’épisode suivant

Le marché obligataire a beaucoup évolué dans les années 1980. Il représentait alors une activité mondiale qui devenait de plus en plus sophistiquée. Le marché des obligations à haut rendement avait connu son premier boom et était déjà entré dans l'inévitable phase de récession, dont les conséquences se sont fait sentir jusque dans les années 1990. Chez T. Rowe Price, les revenus fixes représentaient à eux seuls des dizaines de milliards de dollars - des sommes qui auraient été inimaginables dix ans auparavant. Dans la troisième partie de la série, vous découvrirez l'effondrement du marché et ce que la décennie suivante apportera aux produits obligataires.

 

Lire le premier épisode 1970: la genèse du marché obligataire