«Toute crise recèle des opportunités»

SooHai Lim, Barings

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Analyse des facteurs clés pour les marchés actions de l’ASEAN, de la pandémie aux tendances structurelles.

SooHai Lim, de Barings, passe en revue les facteurs à l’origine de l’évolution actuelle des marchés actions de l’ASEAN, des enseignements tirés de la pandémie aux tendances structurelles dont bénéficie la région.

Qu’avons-nous appris de 2020 et de la pandémie de COVID-19?

Les crises peuvent être riches d’enseignements pour tout un chacun, responsables politiques comme investisseurs. La crise financière mondiale, par exemple, a enseigné aux responsables politiques à adopter plus rapidement et de manière coordonnée des mesures de relance plus agressives face à un choc macroéconomique généralisé. Les investisseurs ont quant à eux pu vérifier que les vieux adages boursiers – comme «on ne joue jamais contre les banques centrales», «il faut acheter quand tout le monde a peur» ou encore «toute crise recèle des opportunités» – conservaient toute leur pertinence.

Dans un contexte de crise, on observe aussi généralement que les marchés affichent des valorisations décotées bien avant d’atteindre leur point bas, et l’an passé n’a pas fait exception à la règle. La pandémie a notamment mis en évidence l’importance d'agir rapidement et efficacement pour identifier des opportunités attrayantes dans des entreprises qui sont à l’avant-garde des tendances de croissance structurelle ou y contribuent – en particulier celles qui affichent des bilans solides et offrent une visibilité à long terme quant à leurs bénéfices. Cela dit, même si les crises peuvent contribuer à accélérer les tendances structurelles, ce qui est souvent le cas, elles recèlent une grande part d’inconnu. Dès lors, une sélection de titres bottom-up reste cruciale pour traverser de telles périodes, en ce qu’elle permet non seulement d’identifier des opportunités intéressantes sur le long terme, mais aussi d’éviter de s’exposer à des risques non souhaités.

Nous avons également appris et observé que l'impact social et environnemental des activités des entreprises influe de plus en plus sur leur succès, pas seulement dans le domaine opérationnel/stratégique, mais aussi du point de vue de la performance de leurs actions. Il est probable que l’impact des problématiques environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) sur les valorisations et les fondamentaux des entreprises continuera de s’accroître dans les années à venir, dans la mesure où les questions ESG occupent une place de plus en plus importante dans l’analyse et la sélection des investissements. Nous sommes convaincus qu’en définitive, les entreprises qui adoptent de bonnes pratiques ESG ou améliorent leur comportement en la matière verront leurs actions prendre de la hauteur, tandis que celles qui restent sourdes à cette évolution structurelle en paieront probablement les frais.

Les gouvernements du monde entier ont déployé des mesures de relance budgétaire et monétaire sans précédent en 2020. Pensez-vous que ces aides seront réduites à court terme et, le cas échéant, cela aura-t-il un impact négatif sur les marchés?

La réponse à cette question dépend de la manière dont la reprise s’opérera au cours des mois et de l’année à venir. En ce qui concerne l’Asie, nous espérons qu’elle sera plus synchronisée. Tout porte à croire que même les pays à la traîne, comme ceux de l’ASEAN, qui ont eu des difficultés à lutter efficacement contre le virus et au sein desquels les leaders technologiques sont sous-représentés, bénéficieront d’une reprise plus marquée à la faveur de l’optimisme suscité par le déploiement des vaccins contre le COVID, ce qui augure d’un contexte économique positif, propice à un fort rebond des bénéfices. Selon toute vraisemblance, les secteurs cycliques, tels que celui des matières premières, qui sont bien représentés sur le marché de l’ASEAN, bénéficieront du redémarrage de la croissance mondiale.

Les perspectives raisonnablement optimistes qui se dessinent à l’horizon des mois et de l’année à venir remettent évidemment en question les aides gouvernementales. Cependant, d’après nos observations, les responsables politiques à travers le monde semblent déterminés à maintenir leur soutien au vu des niveaux de chômage élevés et de la fragilité de la reprise économique. Dans la mesure où les taux réels évoluent de manière plus favorable en Asie qu’aux États-Unis – notamment dans les pays de l’ASEAN –, les devises asiatiques devraient rester soutenues, ou pourraient même gagner du terrain face au dollar, ce qui devrait contribuer à enrayer les sorties de capitaux massives qu’a connues l’Asie l’an dernier.

À l’heure où la demande commence à se normaliser, voyez-vous des opportunités dans des secteurs en particulier?

Tandis que la crise a incité les entreprises de tous les secteurs à réduire leurs plans de dépenses d’investissement, voire à y renoncer, la normalisation de la demande entraîne une pénurie de composants dans des secteurs de croissance séculaire, comme celui des semi-conducteurs, dont beaucoup ont vu leur demande augmenter par suite de la pandémie. À mesure que le déploiement des vaccins s’accélère à l’échelle mondiale, les restrictions de déplacement devraient progressivement être levées, ce qui devrait permettre aux entreprises de recommencer à déployer des capitaux et à diversifier leurs chaînes d’approvisionnement, entraînant ainsi un nouveau cycle de dépenses d’investissement. Partant, bien qu’il reste des obstacles à surmonter, nous sommes prudemment optimistes à l’égard des marchés tels que ceux de l’ASEAN, qui, de par leurs caractéristiques de croissance structurelle, devraient briller dans un contexte de reprise cyclique.

Parallèlement, un certain nombre de raisons à plus long terme incitent selon nous à l’optimisme à l'égard des marchés de l’ASEAN. Par exemple, la région bénéficie de facteurs démographiques favorables, au premier rang desquels une population vaste et jeune de 600 millions de personnes, mais aussi une classe moyenne en croissance rapide et de plus en plus aisée. Les réformes structurelles mises en œuvre, ainsi que la reprise cyclique attendue cette année, jouent également un rôle fondamental en favorisant l’essor de la «nouvelle économie» au sein de l’ASEAN. Étant donné que les secteurs de la nouvelle économie restent encore sous-représentés et relativement sous-analysés, les entreprises dont les modèles d’affaires visent à exploiter des poches de croissance structurelle continueront selon nous d’offrir des opportunités à l’heure où la région entre dans l’ère de l’ubiquité technologique.

FIGURE 1 : ASEAN—PERFORMANCES COMPARÉES D’ACTIONS DE LA NOUVELLE ÉCONOMIE ET DE L’ANCIENNE ÉCONOMIE

(Market Cap, Millions USD) (Cap. boursière, en millions USD)
New Economy Stock Action de la nouvelle économie
Sea Ltd. Sea Ltd.
Old Economy Stock Actions de l’ancienne économie
DBS Group DBS Group
Singapore Telecommunications Singapore Telecommunications
Dec-XX Déc. XX
Source: Bloomberg. Au 8 février 2021.

Les tensions commerciales persistantes entre les États-Unis et la Chine et, plus récemment, la pandémie ont en outre contribué à démontrer qu’il n’est pas seulement de bon ton, mais bel et bien indispensable de se tourner vers les pays de l’ASEAN pour diversifier les chaînes d’approvisionnement. Partant, nous identifions des opportunités dans des entreprises à même de tirer parti de cette tendance structurelle, qui redynamise les exportations de la région – qu'il s'agisse de fournisseurs de solutions d’automatisation en Malaisie, de fabricants d’équipements électroniques en Thaïlande ou de constructeurs de machines au Vietnam.

Quelles sont vos attentes au niveau macroéconomique et en termes de rendements pour 2021?

Les marchés ont débuté l’année en fanfare, poursuivant leur beau parcours du dernier trimestre 2020. Malgré la forte remontée du nombre de cas de COVID-19 à travers le monde, l’accélération du déploiement des vaccins alimente l’espoir que la pandémie puisse être endiguée d’ici la fin de l'année.

Cela dit, nous n’émettons pas d’hypothèses sur les rendements des marchés dans le cadre de notre processus d’investissement. 2020 a une nouvelle fois apporté la preuve que les marchés actions de l'ASEAN sont inefficients. Ils recèlent dès lors un solide potentiel d’alpha pour les investisseurs actifs bottom-up qui, plutôt que d’appréhender les bénéfices des entreprises sur le trimestre en cours, voire sur deux trimestres, sont prêts à adopter une vision à moyen terme. Selon nous, cette approche constitue un bon moyen, pour les investisseurs comme pour les gestionnaires, de tirer profit des chocs macroéconomiques et d’identifier des opportunités dans des franchises solides qui restent encore ignorées.