Les Suisses prêts pour la révolution B Corp

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

Cinq sociétés suisses nommées Best for the World 2019 par B Lab dont trois institutions financières. Entretien avec Jonathan Normand de B Lab Suisse.

Les nominés cette année représentent 44 pays dans 92 secteurs d’industries différente, cette distinction remise par l’organisation à but non-lucratif B Lab démontre et valorise l’engagement pour un impact social et environnemental positif. B Lab sélectionne chaque année les 10% les plus performants au niveau international des détenteurs de sa certification B Corporation dans chacune de ses catégories: gouvernance, environnement, collaborateurs-trices, communauté, clients et global. Parmi les 1000 entreprises sélectionnées cette année (au sein d’un ensemble de 3000 entreprises certifiées), cinq sont suisses1 dont trois appartiennent au monde de la finance: Banque Raiffeisen Région Genève Rhône dans la catégorie Collaborateurs-trices, Conser Invest dans les catégories Global et Clients et Lombard Odier dans la catégorie Clients. Quelques questions à Jonathan Normand, directeur exécutif de B Lab Suisse. 

Que signifie et comment fonctionne la certification B Corporation?

Comme vous le savez, B Lab est une ONG internationale, active sur les cinq continents et qui a pour objectif de réunir les entreprises qui veulent affirmer leur mission sociale au sens large. Chaque année, par le biais du B Impact Assessment et sur la base de 180 critères, le Standard Advisory Council de B Lab détermine l’éligibilité et accorde la certification B Corporation à qui le demande et obtient une note de 80 sur 200 lors de son évaluation. Ce comité de sélection est composé d’une quinzaine de personnes pour les pays développés et d’une quinzaine pour les pays émergents. 

«Nous demandons aux entreprises certifiées
d’adapter leur statut juridique.»
Qu’est le B Assessment?

Une plateforme en ligne gratuite et confidentielle qui permet une évaluation complète du modèle d’affaires complétée de considérations déontologiques et éthiques. Sont pris en compte la gouvernance, les collaborateurs et collaboratrices, les liens avec les communautés locales, l’environnement, la gestion des clients et celle des fournisseurs. Est aussi menée une étude du positionnement de l’entreprise et un examen des controverses qui la concernent. Pour ne citer que quelques exemples pertinents ici, Lombard Odier apporte une contribution positive en conseillant ses clients dans leurs investissements, Banque Raiffeisen Région Genève Rhône défend le principe d’entraide entre collaborateurs. Quant à Conser, c’est à la fois son business model et son positionnement global qui lui valent une double récompense. 

Mais la certification n’est pas tout. Parlez-nous de l’élément juridique obligatoire.

Effectivement, nous demandons aux entreprises certifiées d’adapter leur statut juridique et d’insérer dans les articles d’association un engagement formel à prendre en compte leurs impacts sociaux et environnementaux. Pour ce faire, certains pays ont dû créer des formes juridiques spécifiques car ce type d’engagement n’était pas accepté par certains registres du commerce locaux. C’était le cas de l’Italie qui a promulgué la nouvelle forme juridique «societa benefita», traduction de «benefit corporation» existant aujourd’hui dans plus de 34 Etats aux USA.  Ce fut aussi le cas de la Colombie. En Suisse, le problème ne s’est pas posé en raison de la flexibilité juridique. Cet élément est extrêmement important car il permet au Conseil d’Administration et à l’Assemblée générale d’intervenir et de s’engager formellement sur les obligations sociales et environnementales. 

«Environ 60% des entreprises qui demandent la certification
ne l’obtiennent pas du premier coup.»
Combien d’entreprises bénéficient aujourd’hui de cette certification et combien en Suisse?

Précisions d’abord que B Lab Suisse existe depuis 2014. Le processus est exigeant. Environ 60% des entreprises qui demandent la certification ne l’obtiennent pas du premier coup et seules 3000 au monde en sont titulaires aujourd’hui.  Notez aussi que cette certification est réévaluée chaque 3 ans. Avec cinq lauréats et compte tenu de sa taille, la Suisse présente un fort engagement et n’a pas à rougir. A titre de comparaison, la France en a 11, l’Italie 15 et la Grande-Bretagne 16. Evidemment, plus la communauté est importante et plus les nominés sont nombreux mais notez que la communauté suisse se développe très rapidement. Une trentaine de sociétés suisses sont certifiées et nous en attendons 70 à 80 en fin d’année. Cette tendance est signe des temps.

Le mouvement Bcorp est sous les projecteurs internationaux. Est-ce la fin du «Tout pour l’actionnaire»?

B Lab et ses membres certifié Bcorp se sont positionnés fortement sur les déclarations faites lors du Business Roundtable2, ceci afin de passer à l’action au-delà des mots. Plus de 30 multinationales certifiées BCorp, dont Danone, Ben & Jerry’s, Patagonia ou The Body Shop ont publié dans le New York Times une pleine page de publicité pour lancer un appel aux puissants membres de la Business Roundtable, un lobby qui regroupe plus de 150 dirigeants des plus grandes entreprises US, dont Amazon et Apple. Ce dernier a publié il y a une semaine un manifeste affirmant notamment: «les principaux employeurs investissent dans leurs travailleurs et leurs communautés, car ils savent que c’est le seul moyen de réussir à long terme. Ces principes modernisés reflètent l’engagement indéfectible du monde des affaires de continuer à faire pression pour une économie au service de tous les Américains.» Simple publicité ou réelle prise de conscience? Ce dialogue entre acteurs mondiaux de l’économie montre en tout cas que le sujet ne peut plus être ignoré.

 

«Cette nomination vient couronner notre engagement fort envers notre communauté. Il est vrai que nous partageons avec nos clients et nos collaborateurs cette vision d'un monde meilleur pour tous. Nous sommes fiers de représenter la Suisse dans les nominations «Bcorp» aux côtés d’entreprises prestigieuses comme Lombard Odier, Alaya, Aru et Conser», déclare Hervé Broch, Président de la Direction, Banque Raiffeisen Région Genève Rhône.
 

 

«Nous sommes honorés et fiers de faire partie pour la 3ème année consécutive des entreprises qui pensent « solution » et contribuent à une économie plus verte et équitable. Conser œuvre depuis plus de 10 ans auprès des investisseurs institutionnels et privés afin d’apporter transparence et traçabilité dans les placements et d’en mesurer les impacts», déclare Angela de Wolff, associée fondatrice, Conser Invest.

 

«Nous sommes fiers d'être nominés par B Lab et d'obtenir une reconnaissance des solutions durables offertes à notre clientèle, qui intègrent les défis sociaux et environnementaux urgents auxquels fait face notre planète. Nous croyons que les institutions financières et leurs clients ont un rôle important à jouer en tant qu’acteurs du changement. C'est la raison pour laquelle nous avons intégré le développement durable au cœur de notre philosophie et de notre offre d'investissement», déclare Patrick Odier, Associé-gérant Senior, Lombard Odier.

 

Lire également «Cinq entreprises suisses nommées Best for the World 2019».

 

1 Les nominées sont la plateforme solidaire Alaya, l’entreprise de conseil managérial ARu, la Banque Raiffeisen Région Genève Rhône, la société d’analyse de la durabilité financière Conser Invest, et la banque privée Lombard Odier.
2 Le Business Roundtable, un groupe de 181 CEO de grandes entreprises américaines, a publié fin août un manifeste affirmant que l’optimisation de la valeur pour les actionnaires ne devrait plus être l’objectif primordial d’une entreprise. Selon ce manifeste, les entreprises devraient plutôt investir dans leurs employés, offrir de la valeur aux clients, traiter de manière éthique avec les fournisseurs et soutenir les communautés de leurs environnements opérationnels.

A lire aussi...