Facebook lance sa cryptomonnaie Libra, Genève au coeur

AWP

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Libra doit offrir depuis Genève dès l'an prochain un nouveau moyen de paiement aux 2,7 milliards d'utilisateurs du réseau social.

Facebook s’apprête à lancer un «projet révolutionnaire» visant à faire entrer les cryptomonnaies dans le quotidien de ses quelque 2,7 milliards d’utilisateurs. C’est en tout cas son intention avec «Libra», une monnaie virtuelle qui doit permettre d’acheter des biens ou d’envoyer de l’argent aussi facilement qu’un message instantané. L’entité pilote est basée à Genève.

L’annonce officielle du projet, mardi, a fait s’envoler de 3,5% le titre de Facebook à l’ouverture de la Bourse et mis en ébullition la cryptosphère. Depuis quinze jours, même sans lien direct avec le projet, la principale cryptomnnaie, le bitcoin, a vu son prix s’envoler d’environ 15%, à 9179 dollars en milieu d’après-midi mardi.

Le Libra devra être lancé dès le premier semestre 2020. Il s’agira d’une «stablecoin», à savoir une monnaie numérique dont la valeur est adossée à un panier de devises traditionnelles, comme le dollar. Cela servira aussi à garantir la stabilité de cette monnaie, de façon à ce qu’elle échappe aux énormes fluctuations ayant contribué à ternir l’image de cryptomonnaies.

Genève jouera un rôle central dans le projet. Le groupe américain a en effet décidé de confier la gestion de la nouvelle monnaie à la Libra Association, entité indépendante à but non lucratif composée de 27 entreprises partenaires du projet, qui auraient mis chacune 10 millions de dollars sur la table. Parmi elles figurent les émetteurs de cartes bancaires Mastercard et Visa, les services de paiement Stripe et PayPal, les entreprises de réservation de voitures Lyft et Uber, ou encore le réseau Women’s World Banking.

Le siège de cette société se situe au coeur de la cité de Calvin - qui abrite déjà le siège de Facebook Suisse. «C’est une excellente nouvelle», a réagi le conseiller d’Etat en charge de l’économie, Pierre Maudet, dans un courriel à AWP. «Mes services vont travailler étroitement avec Facebook pour accompagner l’implantation et stimuler l’emploi.»

Libra Association explique le choix de Genève par la tradition de neutralité de la Suisse, ainsi que l’ouverture du pays envers la technologie blockchain (qui sous-tend les cryptomonnaies).

Dans une récente interview à Keystone-ATS vidéo, le conseiller fédéral Ueli Maurer avait souligné que la blockchain «concernera tout le monde dans un proche avenir». Auparavant, l’ex-ministre de l’Economie, Johann Schneider-Ammann, avait clamé son intention de faire de la Suisse une «crypto-nation».

Pour l’heure, l’impact en termes d’emplois pour Genève n’a pas été précisé. Le projet s’est construit en bonne partie dans la confidentialité, pendant un an.

Défi de taille

En s’attaquant au sulfureux domaine des cryptomonnaies, régulièrement sous le feu des projecteurs du fait de piratages et d’accusations de blanchiment d’argent, Facebook se lance un défi de taille, tant il fait lui-même l’objet d’une grave crise de confiance après une série de scandales autour de sa gestion des données personnelles.

Libra doit offrir un nouveau moyen de paiement en dehors des circuits bancaires traditionnels: elle se veut la pierre angulaire d’un tout nouveau écosystème financier sans la barrière des différentes devises, un outil susceptible d’intéresser notamment les exclus du système bancaire, dans les pays émergents par exemple.

Les usagers disposeront sur leur smartphone d’un porte-monnaie numérique, «Calibra» - directement intégré par Facebook à ses services Messenger et WhatsApp -, pour faire leurs achats, envoyer ou recevoir de l’argent, ont expliqué à l’AFP des responsables du projet.

Mais Libra est un système «ouvert»: son code informatique est libre de droits, ce qui signifie que tout développeur, entreprise ou institution peut l’intégrer à ses services.

L’arrivée de Facebook dans cette arène bouillonnante que sont les cryptomonnaies pourrait être un «tournant» pour ce secteur, selon Lou Kerner, investisseur et spécialiste reconnu des cryptomonnaies, car cela pourrait les populariser auprès du grand public.

Elle illustre aussi la volonté du réseau social de se diversifier au-delà de la publicité en ligne, la base de son modèle économique, lui-même fondé sur les données personnelles: «Ce pourrait être une des décisions les plus importantes de l’histoire de Facebook» pour trouver des nouveaux relais de croissance, selon les analystes de RBC.

«Stabilité»

«Envoyer de l’argent à un ami ne devrait pas être plus difficile que de commander un Uber», relève Peter Hazlehurst, responsable des activités «paiements» au sein d’Uber.

En confiant la gestion à une entité distincte, Facebook cherche à rassurer sur deux fronts: il ne sera pas aux manettes. Les informations financières stockées dans Calibra seront strictement séparées des données personnelles détenues par Facebook et ne seront pas utilisées pour cibler de la publicité, a assuré Kevin Weil, un des responsables de Calibra.

Les devises utilisées pour acheter des Libra serviront de réserve et de garantie à la monnaie virtuelle, dont la valeur sera indexée sur un panier de monnaies traditionnelles.

Libra est aussi un pari sur l’avenir de Facebook: le groupe ne gagnera pas directement d’argent avec Libra. Mais, à long terme, cela peut lui servir à attirer des utilisateurs et des annonceurs sur ses plateformes, ou à garder les actuels, et donc à renforcer ou créer des services payants ou financés par la pub.

La Finma, le gendarme financier suisse, a précisé de son côté être en contact avec Facebook. Il s’agit notamment d’examiner si une réglementation est nécessaire.

Le «père» de Libra a grandi et étudié à Genève
L’homme à l’origine du projet «Libra», la cryptomonnaie que lancera Facebook l’an prochain via une association ad hoc basée à Genève, a lui-même grandi à Genève dès l’âge de 10 ans et étudié dans la Cité de Calvin. «Ce projet est le début d’un long voyage», a dit mardi le génie des technologies sur CNBC.
David Marcus, 46 ans, avait été débauché à Paypal par Facebook pour développer Messenger, dans un premier temps, avant d’être chargé du projet «Libra». Ce cosmopolite né à Paris a précisé à CNBC que la confiance ne devait pas être à ses yeux un sujet de préoccupation pour le grand public concernant cette nouvelle monnaie virtuelle.
La cryptomonnaie «Libra» sera basée sur une blockchain privée «sur laquelle Facebook n’aura pas le contrôle, car elle «sera gérée par les membres de l’association (Libra, à Genève)», réunissant toutes les entreprises partenaires, a-t-il expliqué. «Facebook (via Calibra) ne contrôle «que le portefeuille numérique», à savoir les applications WhatsApp ou Messenger par lesquelles pourront passer les transactions.
«Parfois, les versements internationaux peuvent prendre trois ou quatre jours et être très coûteux. Nous avons le privilège (aux Etats-Unis par exemple) de vivre dans la stabilité, mais ce n’est pas le cas pour de nombreux pays», a dit M. Marcus, laissant entendre que la monnaie «alternative» de Facebook constituait une grande opportunité. «Elle facilitera et accélérera les transactions entre tous les membres du réseau», a-t-il ajouté.
Dans un premier temps, Facebook se concentrera sur ses efforts en vue de l’adoption du «Libra» par le plus large public possible, a ajouté le manager. Mais à long terme, le modèle pourrait bouleverser le monde financier. «C’est le début d’un long voyage», a résumé M. Marcus.

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