Offensive européenne sur la défense

Johan Van Geeteruyen, DPAM

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Plusieurs signaux indiquent que l’Europe s’éveille enfin aux réalités de la géopolitique actuelle.

 

Protégée par les garanties de sécurité de l’Otan et le parapluie militaire américain, l’Europe s’est longtemps bercée d’une illusion de sécurité. Mais l’invasion russe aux frontières de l’Europe ainsi que la polarisation favorisée par la présidence des Etats-Unis ont forcé le Vieux Continent à sortir de sa léthargie. Ce réveil est brutal et, côté investissement, il exigera stratégie, audace et engagement.

L’Europe n’a pas bonne réputation, on lui reproche une rhétorique excessive trop rarement suivie d’effets: à une exception près, sa gestion relativement efficace de la crise déclenchée par l’épidémie de Covid. Le Vieux Continent reste cependant nettement moins réactif, et encore moins proactif, que d’autres puissances internationales gérées de manière plus centralisée. Cette inertie est en partie voulue dans la mesure où elle sert à protéger la souveraineté des Etats membres et à éviter de brusques changements des rapports de force au sein de l’Union. Mais elle a le désavantage de réduire considérablement la capacité de réaction de l’UE face aux crises. Plusieurs signaux indiquent cependant que l’Europe s’éveille enfin aux réalités de la géopolitique actuelle.

Le calcul se fait en semaines, pas en années

Le 27 mai dernier, l’Union européenne approuvait la mise en place du fonds «SAFE» (Security Action for Europe) doté de 150 milliards d’euros, une étape importante dans le processus de renforcement de ses capacités de défense. Ce plan de financement a pour objectif d’offrir aux Etats membres de l’UE des prêts à long terme à des taux préférentiels pour des projets d’armement communs.

La Commission européenne disposera de quatre mois pour les examiner avant de débloquer un premier montant équivalent à 15% des fonds de «SAFE». Précisons que pour être éligibles, les projets devront comporter au minimum 65% de composants provenant d’entreprises basées dans l’UE, dans l’Espace économique européen ou en Ukraine. Par ailleurs, l’ajout de certaines dispositions permettra à des pays qui ont signé des partenariats de défense et sécurité avec l’UE de participer à ce programme.

S’ajoute à cela le «Hub for EU Defence Innovation» (HEDI), l’incubateur européen des technologies militaires de pointe créé en 2022 par l’Agence européenne de défense. Son objectif est de remédier à la fragmentation de l’Europe en matière d’innovation et d’améliorer sensiblement ses capacités et sa compétitivité dans le domaine de la défense.

Enfin, le Fonds européen d’investissement (FEI) a réalisé un premier engagement de 40 millions d’euros dans le fonds de Keen Venture Partners qui vise à soutenir les PME actives dans le renseignement, la cyberdéfense, la robotique, l’IA, les systèmes autonomes ainsi que les technologies spatiales.

Des initiatives au plan national

Sécurité et défense ne sont pas devenues une priorité sur le seul plan européen, elles l’ont été également au niveau des Etats membres qui ont commencé à renforcer leurs capacités militaires avant même que l’UE ne tire la sonnette d’alarme.

C’est le cas des pays limitrophes de la Russie. La Pologne a porté des dépenses militaires à 5% de son PIB: elle a investi massivement dans de nouveaux équipements et doublé la taille de ses forces armées. La Finlande envisage d’atteindre un niveau d’engagement similaire d’ici 2032 et elle entend se concentrer sur la modernisation de son armée pour satisfaire aux normes de l’Otan. Quant aux Etats baltes, la Lituanie, la Lettonie et l’Estonie, ils augmentent rapidement leurs budgets en matière de défense (plus de 3% du PIB) et renforcent leurs infrastructures clés contre d’éventuelles menaces.

Dérogeant au frein à l’endettement, le nouveau chancelier allemand a proposé un nouveau fonds spécial d’un montant de 400 milliards qui devraient être consacrés à la défense. En mai dernier, le nouveau ministre allemand des Affaires étrangères avait également confirmé le fait que son gouvernement acceptait de consacrer 5% de son PIB à la défense, s’alignant ainsi sur la proposition de l’Otan de consacrer 3,5% aux capacités militaires traditionnelles et 1,5% aux infrastructures liées à la défense.

La France met également l’accent sur la défense nationale. En 2025, le pays a approuvé un budget militaire record de l’ordre de 47 milliards d’euros (+ 7,4% par rapport à 2024). Cette augmentation s’inscrit dans le cadre de la Loi de Programmation militaire 2024-2030 qui prévoit une enveloppe de 413 milliards d’euros sur sept ans.  Le président Macron plaide pour augmenter les dépenses militaires qu’il souhaite voir passer de 2% à 3-3,5% du PIB.

Un approvisionnement plus régional et davantage d’équipements

En Europe, les analystes tablent sur une croissance annuelle moyenne de l’ordre de 12% jusqu’en 2030 pour les dépenses consacrées à la défense, une augmentation induite par l’engagement des pays membres d’allouer 3,5% de leur PIB à la défense d’ici la fin de cette décennie. Mais en sus de cette progression d’ordre structurel, diverses tendances lourdes pourraient accélérer la production d’équipements militaires européens.

On observe en premier lieu une nette augmentation de l’approvisionnement auprès de fournisseurs régionaux. Cet approvisionnement régional pourrait passer de 40 à 60%, ce qui entraînerait une augmentation supplémentaire de 7% pour la croissance des dépenses militaires. En second lieu, une part toujours plus importante des dépenses va aux nouveaux équipements.  En 2024, la proportion des dépenses consacrées à ces équipements était légèrement supérieure à 31%, mais elle pourrait atteindre 40%, ce qui induirait une nouvelle augmentation de 4% de la croissance des dépenses militaires. Tous ces éléments permettent de tabler sur une croissance potentielle de plus de 280% pour le secteur européen des équipements militaires entre 2024 et 2030, ce qui correspondrait à un taux annuel moyen impressionnant de 25% pour le secteur!

Une régionalisation plus marquée et une augmentation des dépenses consacrées aux nouveaux équipements dopent la croissance des dépenses militaires

 

Investir dans la défense européenne

Cette embellie structurelle pourrait durer plusieurs années, car les pays membres de l’UE qui ont entrepris d’augmenter leur budget consacré à la défense sont de plus en plus nombreux. Certaines entreprises européennes du secteur affichent déjà de belles performances, mais le potentiel inexploité qui se concrétisera ces prochaines années est encore vaste. C’est le début d’une phase d’augmentation des multiples de valorisation et, bientôt, les bénéfices progresseront également.

Dans le secteur de la défense, la consolidation gagne du terrain. Les entreprises sont prêtes pour les fusions et acquisitions pour optimiser leur taille et obtenir des économies d’échelles, pour exploiter les synergies potentielles ou encore arriver à dicter leurs prix sur un marché très fragmenté. Côté exportations, leur positionnement est également favorable puisque ces acteurs européens de la défense fournissent des équipements de pointe au monde entier.

La défense européenne recèle un incroyable potentiel, mais sa réalisation n’aura rien d’évident, car l’UE devra lutter en permanence contre la lenteur et la rigidité de sa bureaucratie. Par ailleurs, l’Ukraine pourrait parvenir à un accord de paix et, au vu des revirements imprévisibles de Donald Trump en matière douanière comme sur le plan diplomatique, le théâtre du monde peut changer d’une minute à l’autre. Tout cela se traduit par de la volatilité, de l’incertitude et un paysage géopolitique en transformation permanente. Dans un tel contexte, une gestion active, des analystes chevronnés et des experts de l’investissement seront des atouts inestimables pour parvenir à équilibrer les risques et le potentiel de croissance extraordinaire du secteur de la défense.

 


 

 

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