L'Europe: de la stagnation à la reprise

Kevin Thozet, Carmignac

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Le retour de l’isolationnisme des Etats-Unis pousse vers une nouvelle ère d’expansion économique, marquée par une réorientation stratégique et pleine d’opportunités.

Les actifs européens connaissent une trajectoire remarquable, reflétant les changements profonds qui affectent les fondements mêmes de l'ordre mondial connu. Le retour de l’isolationnisme des Etats-Unis pousse vers une nouvelle ère d’expansion économique, marquée par une réorientation stratégique et pleine d’opportunités.

De la stagnation à la reprise

Après deux années de croissance qui fait du surplace, l'Europe semble enfin émerger en tant que puissance économique, l'Allemagne en ayant surpris beaucoup de par l'ampleur et la rapidité de son revirement fiscal.

Les plans allemands de dépenses d'infrastructures visant 1% du PIB par an, ainsi que de dépenses de défense potentiellement illimitées - que nous prévoyons entre 0,6% et 1,0% du PIB pour les deux prochaines années - n'ont rien à envier au plan Marshall, à la réunification ou à la réponse apportée dans le sillage de Grande Dépression. Il ne s'agit pas d'un plan de relance budgétaire classique visant à répondre à un choc ponctuel; celui-ci durera de nombreuses années et, compte tenu de l'effet multiplicateur élevé des investissements dans les infrastructures, il devrait améliorer sensiblement les perspectives de croissance économique du pays. En effet, il pourrait bien doubler la croissance potentielle allemande au cours de la prochaine décennie ; dont les bénéfices devraient également être constatés au sein des pays dont les mailles du tissu industriel sont resserrées avec celles de l'Allemagne, telles que la France et l'Italie.

En plus de ces mesures de relance budgétaire - et avec cette même intention de réveiller les perspectives de croissance à long terme - les autorités européennes s'attaquent également aux barrières internes. Le développement du marché intérieur européen et la suppression des barrières intra-UE devraient stimuler la productivité et pourraient générer jusqu'à 0,7% de PIB par an sur une période de dix ans.

Tout n'est pas encore parfait...

Les émissions d’obligations gouvernementale devraient être multipliée par 1,5 au cours des cinq prochaines années, ce qui est potentiellement positif pour le statut de l'euro. Mais c'est aussi une source de préoccupation, car une croissance économique plus forte et des émissions de dette plus importantes tendent à aller de pair avec des taux d'intérêt plus élevés. Les effets de cette dernière se traduisent déjà par des rendements obligataires plus élevés, mais l'impact d'une croissance économique plus forte ne devrait pas se faire sentir avant 2026. De même, les effets adverses de la hausse des droits de douane se feront sentir avant que les bénéfices du plan de relance ne se concrétisent ; la région n’est pas encore sortie de sa zone d’inconfort.

Une autre question clé est de savoir si les ménages allemands se comporteront conformément au théorème de l'équivalence ricardienne: ajusteront-ils leur consommation/épargne en prévision d’impôts futurs et compenseront-ils ainsi l'impact de davantage de dépenses publiques? C'est une possibilité, mais elle est peu probable car les autorités évoquent plutôt à une baisse des impôts et le taux d'épargne des ménages est déjà sur des niveaux records (à 19%).

Rattraper le retard

La croissance économique européenne devrait s'établir à 0,8% en 2025, les dépenses de consommation continuant de progresser avec une orientation favorable des revenus réels ; la baisse des taux directeurs de la Banque centrale européenne soutient la demande de crédit et devrait faire baisser le taux d'épargne. Les premiers effets d’une amélioration du sentiment pourraient également commencer à se faire sentir dans les dépenses d'investissement des entreprises. A plus long terme, le relais de la croissance devrait passer des dépenses de consommation à l'investissement public et privé. Ainsi en 2026, le soutien budgétaire et les dépenses d'investissement agissant pleinement devraient permettre à la croissance du PIB d'être supérieure à son potentiel, à 1,4%, selon nous.

Le contraste avec les Etats-Unis est notable. Outre Atlantique, le cadre politique est questionné par une politique commerciale erratique, des garde-fous budgétaires bravés et les menaces qui pèsent sur l'indépendance de la Réserve fédérale américaine voire même sur l'Etat de droit. Tous ces éléments font écho au paradoxe de Triffin; comme l'a identifié l’économiste éponyme il y a 60 ans, des déficits persistants, l'expansion budgétaire et la perte de confiance afférente des investisseurs induisent des risques à la hausse sur l’inflation et les taux d'intérêt et cela jusqu’au questionnement du statut de réserve du dollar américain.

Et d’un point de vue plus conjoncturel, le risque pour la croissance économique sur la croissance américaine est de voir le choc stagflationniste induit par les tarifs douaniers se transformer en pressions récessionnistes.

Ainsi, un scénario dans lequel la croissance économique allemande, tant nominale que réelle, serait égal, voire supérieur, à celle des États-Unis sur les deux années à venir est une perspective tout à fait plausible.

Le cocktail idéal pour les actions européennes?

L'assouplissement monétaire et budgétaire évoluant en tandem est un phénomène relativement rare. Et constitue un narratif très puissant. Les marchés se sont rapidement adaptés à cette nouvelle donne, les actions européennes ayant effacé une année de sous-performance vis-à-vis des Etats-Unis en l'espace de trois mois seulement. La trajectoire des actions allemandes a été encore plus impressionnante, puisqu'elles ont mis fin à cinq années de sous-performance en l'espace de cinq mois.

Ces évolutions ont été rapides et importantes, il convient donc d'être prudent car elles se produisent dans un contexte où les marchés mondiaux sont bien valorisés et l’ordre établi est bousculé de part et d'autre de l'Atlantique.

L'impulsion est colossale. La règle empirique veut que 1% de croissance du PIB se traduise par 0,8% de croissance supplémentaire des bénéfices par actions (BPA); cela pousserait la croissance des BPA dans certains pays européens - et notamment en Allemagne - à près de 10% l'année prochaine et 15% en 2027, dépassant ainsi les attentes actuelles du consensus vis-à-vis du S&P 500.

Surtout, cet élan budgétaire s’étendra sur une décennie et devrait être senti sur les bénéfices des entreprises pendant de nombreuses années. Au niveau sectoriel, le secteur industriel est le plus directement impacté par les dépenses d'infrastructure et de défense, et le secteur technologique par la digitalisation. Le secteur financier, quant à lui, devrait bénéficier d'un environnement de croissance économique plus favorable, mais aussi d'une plus grande intégration bancaire au sein de la région.

Ces moments décisifs tendent également à soutenir les valorisations de manière significative. Les deux périodes de «quoi qu’il en coute» des 15 dernières années ont vu les multiples cours/bénéfices des actions européennes augmenter de 3 figures en termes absolus et de 1 figure par rapport aux marchés d’actions américains. Avec des indices boursiers européens qui s’échangent à 14x les bénéfices de 2025 et à 13x ceux de 2026, le point de départ en termes de valorisations semble également bon.

La structure actuelle du marché des actions constitue également, selon nous, une toile de fond positive pour la construction de portefeuilles diversifiés.

L'Europe devrait également être l'un des principaux bénéficiaires des doutes qui pourraient peser sur le marché américain. Les marchés européens sont les plus profonds et les plus liquides en dehors des Etats-Unis, mais la capitalisation boursière européenne reste trois fois inférieure à celle de l'ensemble du marché américain. Une augmentation des flux financiers mondiaux vers l'Europe devrait donc avoir un effet marginal plus important. 

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