Les taux élevés perdurent contrairement aux divergences des politiques monétaires

Jumana Saleheen, Vanguard

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La volatilité sur les marchés pourrait augmenter ces prochains mois. Il est important de réfléchir à la diversification internationale et de conserver un portefeuille diversifié.

Les évolutions au premier semestre confortent l’idée que les taux d’intérêts plus élevés vont persister. Dans un monde interconnecté, les autres banques centrales ne peuvent pas ignorer durablement l’influence de la Fed, la banque centrale de la première économie mondiale, sur les marchés financiers mondiaux. La volatilité sur les marchés financiers pourrait augmenter au cours des prochains mois. Il est donc important de réfléchir à la diversification internationale et de conserver un portefeuille équilibré et diversifié.

Les décisions des autres banques centrales sont principalement dictées par les conditions économiques et financières des différents pays. Mais dans un monde interconnecté, les autres banques centrales ne peuvent pas ignorer l’influence de la Fed, la banque centrale de la première économie mondiale, sur les marchés financiers mondiaux.

La situation de l’Europe est très différente de celle des États-Unis: fin 2023, tant la zone euro que la Grande-Bretagne étaient au bord de la récession, avant que la croissance ne reparte à la hausse au premier trimestre de cette année. La Banque centrale européenne (BCE) a déjà mis en œuvre le premier des trois abaissements des taux d’intérêts attendus cette année, ce qui engendre cependant des problèmes. Si les taux d’intérêts baissent en Europe, les investisseurs ne vont pas retirer leur argent des États-Unis, car ils y profitent d’un meilleur rendement. Il en résulte une appréciation du dollar US et une dépréciation de l’euro, ce qui accroît la pression inflationniste en Europe et annule en partie l’effet positif des abaissements des taux d’intérêt. Cette réaction n’est cependant pas assez forte pour dissuader la BCE de procéder à de nouvelles coupes de taux.

Cette dynamique est même encore plus importante dans les pays émergents: les taux d’intérêts plus élevés aux États-Unis et un dollar US plus fort réduise les afflux de capitaux et accroissent les coûts du service de la dette libellée en dollars US. Or la plupart des dettes des pays émergents sont libellées en dollars US. Pour empêcher les sorties de capitaux, la plupart des banques centrales des pays émergents maintiennent leurs taux d’intérêts au-dessus du niveau américain. Même lorsque l’environnement économique plaide en faveur d’un abaissement des taux d’intérêt, elles ne peuvent souvent pas se permettre d’avoir une longueur d’avance sur la Fed. Dans les faits, la banque centrale indonésienne a une nouvelle fois relevé son taux directeur en avril afin de contrer la dépréciation de la monnaie indonésienne. D’un autre côté, de nombreux pays émergents en Europe et en Amérique latine ont relevé leurs taux d’intérêt bien avant que la Réserve fédérale américaine ne leur emboîte le pas. Lorsque l’inflation recule et que la croissance faiblit, elles disposent ainsi d’une marge de manœuvre pour abaisser les taux d’intérêts, ce que les banques centrales d’Amérique latine font déjà depuis quelques mois.

La Chine en revanche aimerait bien abaisser ses taux et devrait d’ailleurs le faire, compte tenu de la faible demande intérieure et de l’offre pléthorique. La pression déflationniste en Chine est cependant toujours élevée, d’autant que la politique des taux américains pèse sur le Renminbi. Des abaissements des taux d’intérêts sont toujours attendus en Chine. Compte tenu de la stabilité des taux aux États-Unis, ils devraient cependant être moins étendus que cela n’aurait été le cas autrement dans des conditions identiques et ils pourraient aussi intervenir plus tard que prévu. Le Japon a attendu le mois de mars pour mettre fin à sa politique de taux négatifs et constitue donc un cas atypique dans le cycle mondial d’assouplissement des taux. La Bank of Japan s’est engagée dans une normalisation progressive, parce qu’elle craint d’importer l’inflation et que la confiance dans la durabilité de la croissance des salaires et des taux d’inflation s’améliore.

Orientation de la politique monétaire des différentes banques centrales

Le cap suivi par les banques centrales dépend de leur évaluation des causes de l’inflation dans leurs pays respectifs et du fait que l’inflation soit induite par un choc de l’offre ou de la demande. Pour approfondir cette question, nous comparons l’évolution de la pression des coûts et de la demande avant et après la pandémie. La politique monétaire des États-Unis et de la Chine est respectivement «restrictive» ou «expansionniste». La plupart des autres pays relèvent d’une catégorie que nous qualifierions de «normale». Ces pays peuvent abaisser leurs taux d’intérêt ou, dans le cas du Japon, les relever et dans certains cas, ils l’ont déjà fait. Eu égard à la stabilité des taux d’intérêt aux États-Unis, cela leur a peut-être pris plus longtemps qu’il n’aurait fallu. En fonction des données disponibles, ces pays peuvent changer de cap.

En règle générale, les autres banques centrales se déterminent en fonction de la Fed, car la stabilité de leurs monnaies nationales dépend des afflux de capitaux en dollars. Un dollar fort peut attiser l’inflation domestique, peser sur les investissements étrangers et se traduire par des incohérences entre les actifs en monnaie nationale et les dettes en monnaie forte. Normalement, les autres banques centrales ont tout intérêt à s’aligner sur la Fed, mais cette fois-ci les différences entre les États-Unis et le reste du monde sont très grandes. L’économie américaine est si forte que la Fed est obligée de maintenir plus longtemps le taux d’intérêt maximal de ce cycle. Les autres banques centrales ne peuvent retarder plus longtemps la normalisation de leur politique en raison de la faiblesse conjoncturelle de leur marché domestique.

La Fed est normalement jugée beaucoup plus «interventionniste» que les autres banques centrales et est généralement la première à engager une inversion du cycle. Mais cela ne vaut cependant que lorsqu’il y a un choc commun et la phase présente est inhabituelle: certains chocs étaient de nature globale, tandis que d’autres étaient spécifiques à un pays ou à une région. En Europe, c’est avant tout la guerre en Ukraine et la hausse des prix de l’énergie qui ont entraîné des bouleversements, qui ont également eu des répercussions sur les pays émergents. Aux États-Unis, ce sont d’autres chocs qui sont davantage liés à la forte demande et qui résultent en partie de la politique budgétaire expansionniste et de solides dépenses de consommation.

Divergence persistante de la politique des taux d’intérêt?

Le thème de la divergence entre les banques centrales a été quelque peu surévalué sur les marchés et il ne constitue peut-être pas le défi majeur communément admis. Même si l’écart temporel entre les premiers abaissements de taux se creuse (la BCE a abaissé ses taux dès le mois de juin, la Fed ne le fera sans doute pas avant la fin de l’année), il ne faut pas s’attendre à des divergences pour les prochaines années: dès que la Fed abaissera ses taux, la plupart des autres grandes banques centrales lui emboîteront le pas et abaisseront également les leurs.

Un retour improbable aux taux nuls

Les taux d’intérêt ne retomberont pas à zéro, parce que nous vivons aujourd’hui dans un autre monde. Le taux neutre également qualifié de r-star est plus élevé qu’avant la pandémie.

Pour la première fois depuis de nombreuses années, les taux obligataires sont supérieurs à l’inflation, ce qui est une bonne nouvelle pour les investisseurs orientés long terme. La raison en est la hausse du r-star. Celui-ci représente le niveau d’équilibre des taux d’intérêt recherché par les banques centrales. Il n’est pas déterminé par la politique monétaire, mais par la demande de capitaux ou les crédits et l’offre de capital ou les économies. En raison de facteurs démographiques et de l’endettement public qui perdurera encore pendant des années, nous sommes peut-être entrés dans une phase de taux d’intérêt durablement plus élevés.

Le fait que nous ayons pu éviter une récession mondiale signifie que les banques centrales ont pu abaisser les taux d’intérêt directement de «restrictif» à «neutre», en sautant l’étape intermédiaire «expansionniste». Cela a certainement contribué à ce que d’autres adhèrent au narratif du «r-star plus élevé».

Depuis quelque temps, les marchés financiers intègrent un point final pour le taux directeur. Certaines banques centrales ont cependant mis plus longtemps à reconnaître les modifications du r-star par le passé et il se pourrait bien que l’acceptation d’un r-star plus élevé prenne de nouveau plus de temps. La Fed a légèrement corrigé à la hausse son estimation du r-star dans ces ses dernières prévisions économiques. Le problème d’une trop grande lenteur réside dans le fait qu’elle peut éventuellement déboucher sur des erreurs d’appréciation de la politique monétaire et des progrès trop lents dans la lutte contre l’inflation.

Un deuxième semestre marqué par les élections et l’incertitude correspondante

Le cycle conjoncturel actuel n’est pas un cycle normal. Après des chocs économiques sans précédent parmi lesquels une pandémie, la guerre en Ukraine et des tensions géopolitiques accrues, l’économie mondiale est encore en pleine phase de stabilisation. Des changements structurels tels que le vieillissement de la population et la croissance des dettes publiques font qu’il est également plus difficile de distinguer le cycle conjoncturel de la tendance. Il en résulte un environnement difficile pour les banques centrales, les marchés et les investisseurs.

Des incertitudes subsistent par ailleurs en ce qui concerne les élections dans le monde entier, qui sont susceptibles d’influencer la politique fiscale, les conditions commerciales, etc. L’année 2024 sera l’année électorale la plus importante dans l’histoire, car près de la moitié de la population mondiale votera. L’incertitude politique particulièrement élevée, à laquelle s’ajoutent deux guerres et d’autres risques géopolitiques signifie que nous devrions nous préparer à l’éventualité d’une volatilité accrue sur les marchés au cours des prochains mois. On ne peut prédire l’avenir, mais on peut s’assurer que le portefeuille soit adapté aux propres objectifs mais aussi à l’horizon de placement, afin de surmonter les phases de volatilité du marché en toute sérénité.

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