Moins de 1% des entreprises parviennent à maintenir leurs avantages concurrentiels au-delà d’une décennie

Yves Hulmann

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Hollie Briggs de Loomis Sayles privilégie des sociétés à même de gérer une croissance durable et rentable et qui se traitent avec une décote significative par rapport à leur valeur intrinsèque.

Comment sélectionne-t-on aux mieux des entreprises dans un portefeuille indépendamment de toutes préférences sectorielles ou géographiques? Explications de Hollie Briggs, directrice de la gestion des produits chez Loomis Sayles.

Quels sont les thèmes ou les secteurs que vous privilégiez à long terme? Inversement, y a-t-il des secteurs ou des profils d'entreprises que vous préférez éviter dans une optique de long terme?

Notre recherche est une analyse fondamentale réalisé à 100% du bas vers le haut («bottom-up»).  Nous ne ciblons pas de thèmes ou de secteurs en particulier. Nous sommes un gestionnaire actif qui a une approche à long terme de l'investissement similaire à celle du private equity. Grâce à notre propre approche de recherche fondamentale «bottom-up», nous cherchons à investir dans les quelques entreprises de grande qualité présentant des avantages concurrentiels durables et une croissance profitable lorsque ces sociétés se négocient avec une décote par rapport à notre estimation de la valeur intrinsèque.

Notre processus d'investissement commence par l'art d'essayer d'identifier les entreprises de haute qualité - celles qui ont des modèles d'entreprise uniques, difficiles à répliquer et des avantages concurrentiels durables.  Une entreprise prospère attirera la concurrence et les capitaux, ce qui, à terme, pourrait réduire les marges bénéficiaires et diminuer le rendement du capital investi de l'entreprise.  Nous évaluons l’ensemble de la chaîne de valeur mondiale et du pool de profit pour aider à discerner les entreprises qui, selon nous, seront structurellement gagnantes et perdantes à long terme.  Une entreprise de qualité - qui dispose d’un important avantage concurrentiel pérenne ou «economic moat» comme on l’appelle en anglais - peut maintenir et même étendre ses avantages concurrentiels afin que ses opportunités de croissance rentable ne soient pas érodées par la concurrence.

Les entreprises de qualité sont rares. Nous pensons que moins de 1% de toutes les entreprises sont capables de maintenir leurs avantages concurrentiels au-delà d'une décennie. Nous pensons également que moins de 1% des entreprises peuvent générer une croissance durable et rentable à long terme. Exiger ces deux caractéristiques signifie que nous devons être des investisseurs très sélectifs et patients. A l’inverse, nous cherchons à éviter les entreprises de faible qualité, celles dont la croissance est en déclin depuis longtemps et/ou celles qui ne sont pas rentables.

«Nous détenons Meta sans interruption depuis son introduction en bourse en 2012. Nous détenons Nvidia depuis plus de 5 ans, depuis notre premier achat en janvier 2019.»

Vous avez une approche de gestion dite de «haute conviction» comptant 36 entreprises: quelle est la pondération maximale souhaitée par action?

Lorsque nous parlons de «forte conviction», nous notons que nos dix premières positions représentent généralement au moins 50% du portefeuille.

Lorsqu'il s'agit de construire un portefeuille, l'évaluation détermine le calendrier de toutes les décisions d’investissement, tandis que notre conviction au sujet de l'opportunité, mesurée par le ratio récompense/risque, détermine quelle sera la pondération des positions.  Nous recherchons des entreprises capables de générer une croissance durable et rentable et n'investissons que lorsqu'elles se négocient avec une décote significative par rapport à notre estimation de la valeur intrinsèque. Nous cherchons à créer une marge de sécurité en investissant à un prix d'achat qui présente une décote significative par rapport à notre estimation de la valeur intrinsèque d'une entreprise. Lors de l’achat d'une entreprise, nous exigeons une opportunité de récompense par rapport au risque atteignant au moins un rapport de 2 contre 1, et généralement même davantage. Toutes choses égales par ailleurs, plus la décote entre le prix du marché et notre estimation de la valeur intrinsèque est importante, plus nous considérons que notre marge de sécurité est élevée.

Contrairement à la discipline d'achat pratiquée par de nombreux gestionnaires d'actions de croissance, nous pensons que le risque d'investir dans une grande entreprise est en fait plus faible après une chute du cours de l'action, à condition que notre thèse d'investissement à long terme demeure intacte. Au fil du temps, si le prix du marché augmente (parce que les attentes du consensus changent) et converge avec notre estimation de la valeur intrinsèque de l’entreprise, cela génère alors des rendements positifs. Ainsi, le respect de ce principe nous aide à gérer le risque de baisse et peut augmenter le potentiel de hausse.

En tant qu'investisseur patient, nous maintenons notre analyse des entreprises de haute qualité afin de tirer parti de situations de dislocations significatives des prix si et lorsque celles-ci se produisent. Au cours d'une année normale, nous pouvons analyser 30 entreprises et n’investir que dans quelques-unes d'entre elles.

Si la part maximale allouée à un titre est fixée à 8%, cela signifie-t-il parfois que vous renoncez à la possibilité de bénéficier des performances futures de certains titres, lorsque ceux-ci continuent d'afficher de bonnes performances par la suite?

Comme indiqué ci-dessus, la taille de la position est déterminée par l’importance de la décote entre le prix du marché et notre estimation de la valeur intrinsèque d’un titre. C'est la seule raison pour laquelle nous détenons une position à la taille maximale autorisée.  Pour le fonds OPCVM (UCITS en anglais), la taille maximale des positions est limitée à 10% et le fonds respecte globalement la règle de diversification 5/10/40.

«Contrairement à la discipline d'achat pratiquée par de nombreux gestionnaires d'actions de croissance, nous pensons que le risque d'investir dans une grande entreprise est en fait plus faible après une chute du cours de l'action.»

L'approche à faible rotation que vous utilisez implique-t-elle que vous modifiez très peu l'allocation d'actifs, même lorsque l'environnement de marché change?

Oui. D’après nous, un horizon d'investissement à long terme nous permet de saisir la valeur des opportunités de croissance séculaire et de tirer parti de la myopie du marché boursier par le biais d'un processus appelé arbitrage temporel. Nous tentons donc d'identifier la valeur intrinsèque et d'exploiter l'écart à long terme entre cette valeur et la perception actuelle du marché. Nous mesurons et suivons notre thèse d'investissement à long terme pour chaque entreprise par le biais d'une analyse «bottom-up» des fondamentaux de l'entreprise, et non sur la base de la fluctuation des cours boursiers quotidiens. Notre approche va toujours au-delà de l’environnement actuel. Ce qui se passe aujourd’hui ou quotidiennement ne dicte pas ce que nous ferons à long terme. La seule pertinence de ce qui se passe dans n'importe quel environnement est notre volonté de tirer parti de ce qui se présente à nous en termes d’opportunités d’investissement attrayantes.

Y a-t-il certains thèmes, par exemple l'intelligence artificielle (IA), que vous éviteriez à long terme, compte tenu de l'envolée des marchés boursiers et de toute la «hype» autour de ce thème d’investissement?

Toute décision de ce type serait prise sur la base des indications de notre processus d'investissement discipliné basé sur une approche «bottom-up» et qui repose sur l’analyse fondamentale Qualité-Croissance-Valeur.  Cette façon de travailler nous a permis d'observer et d'éviter la bulle de l'énergie en 2008 ainsi que celle plus récente concernant le travail à domicile en 2020-2021.

Fin février, Meta, Nvidia, Amazon, Visa et Alphabet consituaient, dans cet ordre, les cinq positions les plus importantes au sein de votre fonds consacré aux actions de croissance américaines. Est-ce toujours le cas aujourd'hui?

Au 31 mai 2006, les 10 premières positions du fonds consacré aux actions de croissance américaines étaient dans l’ordre : Meta, Nvidia, Alphabet, Amazon et Visa. Il s’agit donc des mêmes sociétés, dans un ordre légèrement différent.  La taille des positions pour ces sociétés indique que chacune d'entre elles se traite avec une décote significative par rapport à notre estimation de sa valeur intrinsèque et représente au moins une opportunité anticipée de 2 contre 1 entre le potentiel de hausse et de baisse, entre la récompense et le risque.

Nous détenons de longue date chacun de ces titres.  Nous détenons Meta sans interruption depuis son introduction en bourse en 2012. Nous détenons Nvidia depuis plus de 5 ans, depuis notre premier achat en janvier 2019.  Nous détenons Amazon et Alphabet depuis la création de notre stratégie Large Cap Growth en 2006.  A la fin du mois de juin, nous aurons eu ces deux sociétés dans notre portefeuille sans interruption depuis 18 ans. Quant à Visa, nous avons acheté cette action lors de son introduction en bourse en 2008 et n'avons jamais cessé de la détenir depuis. (La stratégie Large Cap Growth est le portefeuille qui sert de modèle au US Growth Equity Fund).

«En ce qui concerne l'exposition au GLP-1, nous avons investi dans Novo Nordisk de manière continue depuis la création du fonds en 2016.»

N'y a-t-il pas une trop grande concentration de votre portefeuille sur les valeurs technologiques (28% du fonds) et les valeurs de communication (21%)?

L'allocation sectorielle dans le fonds n'est qu'une sous-conséquence de notre sélection «bottom-up» de titres.  Pour améliorer la gestion du risque, nous diversifions intentionnellement les moteurs de croissance – qui sont nos moteurs de croissance séculaires - auxquels nos titres sont exposés. Dans le cadre de notre analyse «bottom-up» de l'évaluation de chaque société, nous identifions le principal moteur de croissance qui a le plus d'impact sur notre estimation de la valeur intrinsèque de l'entreprise. Les exemples de ceux-ci incluent la croissance du commerce électronique, l'augmentation des dépenses de consommation dans les marchés émergents, le passage à l'externalisation et le vieillissement de la population. En diversifiant les moteurs de croissance imparfaitement corrélés, l’impact positif de l’un peut compenser l'impact négatif d'un autre. Nous pensons que cela favorise une diversification plus efficace des risques et nous aide à nous concentrer sur la recherche des quelques entreprises qui répondent à nos critères rigoureux.

Les 8 entreprises que nous détenons dans le secteur des technologies de l'information sont ainsi exposées à 6 moteurs d'activité différents, tels que les dépenses informatiques des entreprises, l'infrastructure en nuage, les appareils mobiles, les dépenses des GPU pour les jeux et l'IA. Les 4 entreprises que nous détenons dans le secteur des services de communication sont exposées à 3 moteurs d'activité différents, tels que la publicité en ligne, les dépenses mondiales en matière de divertissement et la croissance de la vidéo à la demande par abonnement.

Au total, nos 35 positions à la fin du premier trimestre 2024 étaient exposées à 28 moteurs de croissance différents.  L'analyse de corrélation entre ces moteurs d'activité est d'environ 0,3, ce qui est similaire à la corrélation entre toutes les actions du S&P 500.  

Le secteur des sciences de la vie – qui est très en vogue actuellement, avec les médicaments liés au traitement de l'obésité ou GLP-1 - est assez faiblement représenté, avec moins de 14%. Pourquoi?

Comme indiqué ci-dessus, l'allocation sectorielle n’est qu’une sous-conséquence de notre sélection «bottom-up» de titres. La taille de nos positions dépend de l'importance de la décote entre le prix du marché et notre estimation de la valeur intrinsèque d’un titre.  Nous diversifions également les moteurs d'activité envers lesquels le portefeuille est exposé.  En ce qui concerne spécifiquement l'exposition au GLP-1, nous avons investi dans Novo Nordisk de manière continue depuis la création du fonds en 2016 et dans notre stratégie de croissance à grande capitalisation depuis 2014.

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