L’évolution des habitudes en matière de logement, la transformation de la manière de travailler depuis la pandémie ainsi que des exigences accrues en matière de durabilité sont autant de facteurs qui doivent être pris en compte dans l’analyse de la valeur des portefeuilles immobiliers. En matière d’allocation d’actifs, on répartit, usuellement, les placements immobiliers au sein de différentes catégories telles que les surfaces de bureau, les surfaces de ventes et centres commerciaux, les espaces dédiées à la logistique et l’e-commerce, l’immobilier résidentiel et les autres types de biens immobiliers à l’exemple des hôtels.
Désormais, il faut toujours davantage tenir compte des aspects de durabilité et des critères ESG, soit environnementaux, sociaux et de gouvernance. Dans le domaine de l’immobilier, la priorité est placée sur le «E», observe Graziano Lusenti de la société de conseil pour investisseurs institutionnels Lusenti Partners. Deux aspects comptent en particulier. D’une part, il y a celui de la «matérialité», à savoir le fait de pouvoir mesurer la contribution positive réelle apportée sur le plan environnemental, par exemple via la réduction de la consommation de combustibles fossiles dans un immeuble. D’autre part, il y a la nécessité de disposer de «benchmarks» adéquats afin de pouvoir comparer le caractère durable d’un portefeuille immobilier par rapport à un ou des indices de référence. Problème: «Il n’y a pas vraiment de standardisation dans ce domaine. Les benchmarks nationaux ou locaux continuent de prédominer au lieu de standards internationaux», constate Graziano Lusenti. Il s’exprimait mercredi à Lausanne dans le cadre d’un événement consacré à la thématique des «Smarter Cities Investments» organisé par Lusenti Partners qui a réuni différents experts du secteur de l’immobilier travaillant pour des banques, des caisses de pension ou des fonds de placement.
Pour Olivier Seux, de Mirabaud AM, une solution consiste à investir plus en amont, en achetant des espaces susceptibles de faire l’objet de transformations importantes par la suite.
L’enjeu clé de la rénovation
Les investisseurs institutionnels intègrent toujours davantage les aspects ESG dans leur approche de placement et de gestion de leur parc immobilier. Comme l’a expliqué Claudio Dini, directeur adjoint et responsable des placements immobiliers domestiques directs auprès de CAP Prévoyance à Genève, l’institution qui gère les caisses de prévoyance internes Ville et Communes ainsi que les SIG à Genève, la rénovation devient un enjeu clé pour une structure dont environ 30% de la fortune est détenue sous forme d’immobilier direct. En tout, l’institution prévoit d’investir 220 millions de francs jusqu’à la fin de la décennie dans la rénovation et l’entretien de son parc immobilier, soit environ 22 millions de francs par an, ce qui correspond à 1,5% de sa valeur. Idéalement, le but serait d’augmenter cette part à 3%, précise-t-il. Une fois réalisés, les travaux de rénovation permettent de réduire les charges de l’ordre de 20%. Il est toutefois nécessaire de prendre en considération différents facteurs de risque. Outre la capacité financière requise pour financer les investissements, il faut aussi tenir compte des contraintes administratives, des délais des procédures. Dans une optique de décarbonation d’un porfeuille immobilier constitué de quelque 220 bâtiments principalement situés en zone urbaine, il y a aussi des limitations d’ordre pratique. «En étant situé en ville, les alternatives aux combustibles fossiles sont peu nombreuses. Les forages géothermiques sont soumis à de nombreuses restrictions», explique le responsable. Avec pour conséquence d’être fortement dépendant des services industriels pour tout ce qui concerne le chauffage à distance.
Miser sur la transformation d’anciens sites industriels et bureaux
Si les enjeux en matière de planification immobilière et de rénovation sont déjà complexes au niveau d’une ville ou d’un canton, qu’en est-il lorsque l’on considère cette problématique au niveau d’une métropole? Olivier Seux, responsable de l’immobilier chez Mirabaud Asset Management à Genève, a lui évalué les implications de mutations sociales et des habitudes de travail sur le secteur de l’immobilier à l’échelle du Grand Paris. La demande de logements d’habitation est appelée à croître non pas seulement en raison de la démographie mais surtout en raison des évolutions sur le plan sociologique, notamment compte tenu de la croissance du nombre de ménages de petite taille. A l’inverse, l’immobilier de bureau est sous pression en raison l’augmentation du télétravail suite à la pandémie de Covid-19 et des nouvelles habitudes qui ont été prises par le personnel et les entreprises.
L’étalement urbain fait place à l’expansion verticale
S’y ajoute l’évolution des approches en matière d’aménagement du territoire. De l’étalement urbain qui dominait le siècle dernier, on est passé à une expansion verticale, a résumé le spécialiste. Cela a de multiples implications au niveau d’une métropole de la taille de Paris. Autrefois très prisés, les «campus» d’entreprises situés en périphérie sont désormais moins recherchés par le personnel qui préfèrent travailler dans les bureaux dans les centres urbains offrant davantage de possibilités de diversité en termes de restauration ou de commerces et mieux reliés aux transports publics.
Quels en sont les conséquences en termes de stratégie d’investissement? Pour Olivier Seux, une solution consiste à investir plus en amont, en achetant des espaces susceptibles de faire l’objet de transformations importantes par la suite. Cette approche, axée sur la reconversion d’anciens sites industriels ou de surfaces de bureaux devenues obsolètes, permet de générer des rendements à deux chiffres tout en encourant des risques limités. Parmi ceux-ci, il faut tenir compte des risques d’ordre administratif, liés notamment aux procédures d’autorisation. «Nous considérons qu’il s’agit d’un risque acceptable», relativise toutefois Olivier Seux. En effet, en fin de compte, les municipalités finissent presque toujours par délivrer les permis nécessaires, même si des ajustements doivent être effectués par rapport aux projets initiaux.
Décorrélation par rapport au marché helvétique
Et quel serait l’intérêt pour une caisse de pension suisse de s’exposer à ce type de stratégie? L’expert cite deux arguments. Premièrement, la diversification. Les caractéristiques de tels projets offrent «une vraie décorrélation par rapport à des placements sur le marché immobilier helvétique», estime-t-il. De plus, le profil en termes de risques et de rendements est aussi très différent de ce qu’offre le marché suisse, juge-t-il. Enfin, selon lui, le risque sur le plan politique en France ne doit pas être surévalué, étant donné que tous les partis politiques ont toujours soutenu une politique favorable à la construction de logements.