La dualité du marché action chinois: «non investissable» versus aux fondamentaux attractifs

Raphaël Fürst, Banque de Luxembourg Investments

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Après avoir significativement sous-performé par rapport aux marchés occidentaux et à d’autres émergents pendant trois ans, la place financière chinoise a atteint des niveaux de valorisation qu’on ne peut plus ignorer.

Les récentes réglementations à l’égard des entreprises d’internet soudainement émises par le gouvernement chinois étaient sans conteste imprévues et ont refroidi les investisseurs étrangers, qui ont délaissé le marché actions chinois. Pourtant, certaines de ces réglementations s’avéraient nécessaires pour les objectifs dits de «prospérité commune» du pays. L'ouverture de son économie, son internationalisation et, plus important encore, l’émergence de modèles économiques non conventionnels à forte croissance portés par les entreprises d’Internet ont entraîné des déséquilibres et des inégalités disproportionnées au sein de la société chinoise, avec des externalités négatives sur l’ensemble de l’économie.

La Chine est-elle «ininvestissable» parce que les règles du jeu sont différentes?

Ant Group

En novembre 2020, la «China Securities Regulatory Commission», conjointement avec d’autres organismes de réglementation chinois, ont suspendu l'introduction en bourse d’Ant Group quelques jours seulement avant son lancement prévu. Avec plus de 1,3 milliard d’utilisateurs et une introduction en bourse présumée lever environ 35 milliards de dollars, la suspension d’Ant Group a refroidi l’ensemble du marché actions chinois.

Ce qui aurait dû devenir la plus grande introduction en bourse au monde avec 300 milliards de dollars s’est transformé en une vague réglementaire prolongée ciblant les entreprises chinoises de l’Internet, appelée «répression des grandes entreprises technologiques». En plus des inquiétudes liées à la gouvernance, aux pratiques de gestion des risques et à la conformité réglementaire de l’entreprise, les régulateurs chinois ont fait valoir la nécessité de protéger les intérêts des investisseurs et de maintenir la stabilité des marchés financiers. En effet, l’étendue de son modèle économique «originate-to-distribute» ciblant les personnes largement écartées du système financier, ne détenant probablement pas la notation de crédit la plus optimale, était de plus en plus perçue comme un périlleux accroissement du risque financier systémique. En tant qu’institution non financière, Ant Group ne détenait pas le risque. Le risque reposait entièrement sur les bilans des banques qui avaient souscrit la dette sans effectuer de «due diligence». Ainsi, afin d’atténuer «l’aléa moral», les régulateurs chinois ont imposé aux initiateurs (tels que Ant Group) de financer au moins 30 % des prêts qu’ils accordent auprès de banques partenaires. Après une amende de près de 1 milliard de dollars marquant la fin d’un remaniement de deux ans, Ant Group a enfin obtenu un feu vert provisoire pour relancer ses plans initiaux d’introduction en Bourse à Shanghaï et Hong Kong en 2022.

Titres du secteur de l’enseignement

En juillet 2021, le Ministère chinois de l’éducation a annoncé le lancement d’une politique de «double réduction» visant à diminuer la charge de travail des étudiants en scolarité obligatoire et le poids des formations hors établissement.

«Par nature, les hommes se ressemblent; par la pratique, ils s'éloignent les uns des autres» Conformément à la philosophie éducative de Confucius, selon laquelle l’éducation est considérée comme l’un des principaux facteurs influençant le parcours de vie et potentiellement le destin de chacun, les parents chinois se sont lancés dans une course effrénée et compétitive afin d’améliorer la qualité de l'éducation de leurs enfants Ce phénomène s’est traduit par des niveaux de plus en plus élevés de dépenses en éducation, représentant en moyenne 17% des revenus des ménages et 57% des revenus des ménages du quartile inférieur. D’autre part, cette demande incessante de cours particuliers a accru le pouvoir de négociation des sociétés de tutorat, leur permettant d’augmenter leurs prix et donc leurs bénéfices au détriment des finances des ménages chinois, dans un cercle vicieux sans fin. En fin de compte, les parents devenaient de moins en moins enclins à avoir plus d’enfants, en raison de la charge des coûts, accentuant ainsi le déclin démographique du pays. C’est alors que le gouvernement chinois a décidé d’intervenir en obligeant les organismes de tutorat extra-scolaire à se convertir en organismes à but non lucratif, en interdisant le tutorat pour le programme de base pendant les weekends et les vacances, en interdisant aux professeurs étrangers situés en dehors de la Chine continentale d’enseigner, et en prohibant la publicité et le marketing.

La réaction du marché boursier à l’égard des deux plus grandes entreprises chinoises privées proposant du tutorat extra-scolaire, TAL Education et New Oriental Education, fut sans équivoque: celles-ci ont respectivement perdu 95% et 90% de leur capitalisation boursière entre leur pic de février 2021 et leur plus bas de juillet 2021. Plus de 74 milliards de dollars de capitalisation boursière globale a disparu en moins de six mois.

Alibaba, Tencent & JD.com

Au cours des mois qui ont suivi le début de la répression de Pékin à l’égard du secteur de l'enseignement privé, les investisseurs internationaux se sont légitimement demandé où le gouvernement allait frapper ensuite. La «State Administration for Market Regulation» (SAMR) a ensuite révélé 28 violations des lois anti-monopoles, Alibaba et Tencent étant impliquées dans plusieurs d’entre elles, concernant des prises de participation non réglementées. En août 2021, la SAMR a publié des lignes directrices visant à réprimer les comportements monopolistiques au sein de l’économie de plateforme, affectant Alibaba, Tencent et JD.com. Ces règles visent à lutter contre la publicité mensongère, la protection des droits des consommateurs, et à mettre un terme aux pratiques coercitives favorisant les monopoles de plateforme au détriment de la concurrence, des consommateurs et des marchands. Des amendes ont ensuite été imposées à plusieurs géants de l’Internet, dont Alibaba et Tencent, pour abus de marché. Les actions menées par la SAMR cherchaient à favoriser une concurrence loyale, la protection des consommateurs et la surveillance réglementaire du secteur de l’Internet en Chine, tout en jugulant l’expansion non structurée du capital et ses effets préjudiciables sur l’économie dans son ensemble.

Si le risque réglementaire n’avait rien de nouveau en Chine, les investisseurs internationaux ont dû faire face à une vague réglementaire inédite menaçant de ralentir les perspectives de croissance des entreprises. Même le secteur des jeux vidéo n’a pas été épargné, Tencent et NetEase étant impactées par des nouvelles réglementations destinées à restreindre davantage les jeux en ligne pour les mineurs, en limitant notamment le temps de jeu pour les mineurs à trois heures par semaine et en interdisant les jeux vidéo pendant les jours de semaine. L’objectif de ces mesures ont pour objectif de répondre aux préoccupations liées à l’impact de l’addiction aux jeux sur la santé des enfants.

En l’espace de deux ans, Tencent, Alibaba, NetEase et JD.com ont perdu une capitalisation boursière agrégée d’environ 1’000 milliards de dollars, en partie à cause du retrait significatif des investisseurs internationaux.

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