L’or défie les thèses des chercheurs

Emmanuel Garessus

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Le prix réel de l’or semble cher et promettre un rendement modeste ces 10 prochaines années. Mais la recherche des déterminants de sa tendance est peut-être à renouveler.

Le cours de l’or n’est pas seulement très élevé en soi après une hausse de 14% depuis le début de l’année, de 28% sur 3 ans et l’établissement d’un nouveau record historique. Il est également cher en termes réels, c’est-à-dire ajusté de l’inflation. Face à ce fait incontestable, Claude B. Erb et Campbell R. Harvey s’interrogent sur le «dilemme de l’or» dans un travail de recherche (Is there still a Golden Dilemme? SSRN, 7 mai 2024).

Le cours réel de l’or est, pour le comparer à la valorisation d’une action, l’équivalent du PER. Cette façon de penser le cours de l’or consiste à décomposer le rendement de la détention d’or en un taux d’inflation et un taux de rendement du cours réel de l’or. Cette décomposition du prix de l’or a l’avantage de rechercher une raison à la cherté actuelle du prix réel de l’or. La conclusion n’est pas inutile à l’investisseur. En principe, un cours réel élevé de l’or conduit à un modeste rendement ces 10 prochaines années. Mais est-ce que cette fois ce sera différent?

La «constante de l’or»

Les deux auteurs reprennent un de leurs thèmes favoris puisqu’ils avaient déjà publié un travail sur l’or en 2013, en l’occurrence sur le thème cher à Roy Jastram, celui de la constante de l’or, et qui remonte à 1978. La constante de l’or suppose qu’à long terme le pouvoir d’achat de l’or est constant, donc que le rendement réel de l’or est de 0.

«La montée des risques géopolitiques et l’ascension des économies asiatiques, où l’épargnant est très friand d’or, de nouvelles pistes sont à explorer qui mènent probablement à une hausse durable de l’or.»

Une intéressante comparaison est réalisés par Erb et Harvey: A l’époque de l’empereur Auguste les centurions romains étaient payés 38,58 onces d’or, l’équivalent de 86 342 dollars d’aujourd’hui. Surprise? Un capitaine de l’armée américaine obtient aujourd’hui, après six ans d’expérience, un salaire de 85 594 dollars par an. Il convient toutefois d’ajouter une autre comparaison: Un légionnaire romain obtenait 2,31 onces d’or, soit 5181 dollars d’aujourd’hui. Il gagnait donc nettement moins qu’un militaire privé (24 206 dollars après six ans, ou 10,82 onces. En clair, un centurion recevait 17 fois plus qu’un légionnaire et aujourd’hui un capitaine 3,5 fois plus qu’un privé. Les auteurs observent donc une inégalité accrue avec le temps. Lorsque les chercheurs se penchent sur la constante de l’or, ils testent plutôt le degré de protection de l’or contre l’inflation que celle des inégalités au sein de l’armée. L’idée d’une constante de l’or se vérifie toutefois au plan macro-économique puisque la défense romaine coûtait 2,5% du PIB romain tandis que la défense américaine représente 3,3% du PIB américaine. Le niveau de coût est donc assez similaire.

Le rôle de protection contre l’inflation se vérifie. Les prix historiques depuis 1975 confirment un lien direct et étroit entre la hausse de l’or et l’indice américain des prix à la consommation, selon Erb et Harvey. La corrélation entre le rendement nominal de l’or à 10 ans et le rendement réel de l’or à 10 ans est de 0,98. Mais l’inflation à 10 ans n’est pas assez volatile pour expliquer les fluctuations du rendement de l’or à 10 ans. D’autres facteurs méritent d’être intégrer à l’analyse.

L’or physique et les ETF

Les auteurs se penchent alors sur la corrélation entre le stock d’or (bijouterie, banques centrales, barres d’or, pièces d’or, ETF) et le cours de l’or. Entre 2010 et 2023, la corrélation entre les ETF sur l’or et le prix réel du métal jaune est de 0,74, ce qui ne conduit pas à des interprétations définitives. Pour les auteurs, l’observation des impacts d’avant et d'après le lancement d’ETF sur l'évolution du prix réel de l'or peut être un exemple de ce qu’ils appellent «un déterminisme rampant». Il n’en demeure pas moins qu’apparemment, le rôle des ETF ne peut pas être négligé même si ces derniers temps c’est moins le marché des ETF que les achats des banques centrales non occidentales qui influence le plus fortement les métaux précieux.

La conclusion des auteurs mérite d’être creusée, celle du prix réel de l’or et du rendement de l’or sur les 10 années suivantes. Au niveau actuel du cours réel de l’or, le rendement du métal jaune sur les 10 prochaines années devrait être négatif.

Les auteurs analysent également d’autres facteurs qui pourraient s’avérer crucial, comme le thème de la dé-dollarisation, lequel devrait se traduire par un effet positif sur le métal jaune. Il est vrai que la Banque de Chine a accru ses positions pour les porter à 4,6% de ses réserves totales. Mais les statistiques chinoises contiennent une part d’incertitude. il est également très difficile d’apporter une explication définitive. Le dilemme de l’or reste entier. Mais avec l’établissement d’une inflation durablement plus élevée, la montée des risques géopolitiques et l’ascension des économies asiatiques, où l’épargnant est très friand d’or, de nouvelles pistes sont à explorer qui mènent probablement à une hausse durable de l’or.

Techniquement, l’or semble en position d’attente. Selon Macrotrends, le rapport entre l’indice S&P 500 et l’once d’or (2,2) s’est fortement accru après un point bas à 0,7 en 2011. Mais ce ratio a déjà été très supérieur, à 5 en l’an 2000, lors de la bulle internet. Il a aussi été nettement plus faible, à 0,17 en 1980. De même, un autre ratio tel que celui du rapport entre l’or et le pétrole est aussi en zone neutre.

En bref, si le métal jaune a besoin d’événements extérieurs pour franchir les 2400 dollars, il semble bien tenir la barre des 2300. Comme les taux des obligations à 10 ans américaines baissent à nouveau, il reste un instrument de diversification fort utile à l’investisseur et il pourrait contrarier les thèses d’Erb et Harvey.

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