Les marchés et la superstition

Pierre Mouton, NS Partners

2 minutes de lecture

Alors qu’on imagine qu’ils prennent des décisions rationnelles, les investisseurs sont souvent influencés par des dictons sortis d’un autre âge.

Tout le monde connaît le célèbre adage de marché «Sell in May and go away», une injonction empreinte de superstition, comme c’est souvent le cas pour les préceptes d’investisseurs. De fait, selon cette maxime boursière, il faudrait vendre ses actions au mois de mai pour encaisser ses bénéfices (du moins on peut l’espérer) et ainsi éviter les incertitudes et le flottement des mois d’été. Cela offre aussi l’avantage non négligeable de permettre de passer ses vacances l’esprit libre.

Partir certes, mais quand revenir?

Mais si l’on obéit à ce précepte, la question qui se pose ensuite est de savoir quand il convient de revenir sur les marchés. De fait, selon le côté de l’Atlantique où l’on se trouve, le moment de ce retour diffère considérablement. Aux Etats-Unis, c’est ainsi le Labor Day, au début septembre, qui sonne l’heure de la rentrée, tandis que, de notre côté de l’océan, c’est bien plus tôt, au moment du Derby Day, c’est-à-dire au début juin, lorsqu’ont lieu les courses de chevaux d’Epsom au Royaume-Uni, que les investisseurs devraient remonter en selle.

Il faut dire que cette devise est simplement basée sur des observations historiques : il est statistiquement prouvé que les performances des marchés d’actions sont, en moyenne, bien meilleures entre novembre et avril qu’entre mai et octobre. La raison de cet écart de performance reste toutefois incertaine: la croyance la plus répandue est que les volumes ont tendance à se tarir à mesure que le soleil se fait plus présent, car les investisseurs troquent leurs lunettes de vue pour des lunettes de soleil et se concentrent davantage sur l’écran solaire que sur l’écran de leur ordinateur. Même si cela ne semble pas très scientifique, il n’existe pourtant pas d’autre explication plus rationnelle. Comme le chante Stevie Wonder dans son célèbre tube Superstition: «Vous croyez en des choses que vous ne comprenez pas».

La saison a débuté en avance cette année

En 2024, la saison des ventes a commencé plus tôt et le mois d’avril a été plutôt médiocre. Ce début prématuré est-il un effet du réchauffement climatique? Probablement pas: il est de plus en plus évident que les objectifs d’inflation seront difficiles à atteindre, en particulier aux Etats-Unis, ce qui remet en question les espoirs que la Fed baisse les taux cette année. Certains acteurs envisagent même une possible hausse, ce qui n’était clairement pas prévu. En conséquence, les rendements à long terme se sont envolés (+48 points de base pour les emprunts du Trésor américain à dix ans, +28 points de base pour le Bund à dix ans), le dollar s’est apprécié avec +1,66% pour l’indice large DXY et la plupart des marchés d’actions ont chuté. L’indice MSCI World a ainsi cédé 3,9%, le S&P 500 4,2%, le Nasdaq 4,5% et le Stoxx 600 1,5%. Dans ce panorama morose, quelques surprises sont toutefois à mentionner: malgré un dollar fort et des rendements en hausse, l’or a brillé et a gagné +2,5 %, les actions des marchés émergents ont résisté et ont terminé le mois en hausse de +0,3 %, tandis que l’indice chinois CSI 300 a fait un bond de +1,9 %.

Cet accès de faiblesse a touché aussi bien les valeurs de rendement que celles de croissance (-3,6 % pour le MSCI World Value et -4,1 % pour le MSCI World Growth), mais c’est le yen japonais qui remporte la palme de la faiblesse avec une chute de 4% par rapport au dollar (-11,6 % en glissement annuel), ce qui atténue l’apparente bonne performance du Topix: en dollar, l’indice des actions japonaises accuse un retard de près de 150 points de base par rapport au S&P 500 depuis le début de l’année.