Pourquoi faudrait-il s’intéresser aux obligations catastrophes, des instruments qui offrent certes une rémunération attrayante mais qui sont aussi susceptibles de perdre l’entier de leur valeur lorsqu’un événement prédéfini se produit? Le point sur la question avec François Divet, responsable de l’équipe Insurance Linked Securities (ILS) chez AXA IM Alts. Il est aussi en charge du domaine des obligations catastrophe («Cat Bonds» en anglais), qui représentent un marché d’environ 45 milliards d’euros par rapport à un total de 105 milliards pour le domaine ILS dans son ensemble.
Qu’est-ce qui différencie les obligations catastrophe d’autres classes d’actifs dans le domaine obligataire ou d’autres produits d’assurance? Quels sont les avantages pour un investisseur d’inclure des «Cat Bonds» dans son portefeuille?
Pratiquement, il s’agit d’une obligation à taux variable. A l’échéance, l’investisseur se voit rembourser, en plus des intérêts déjà versés, le montant initial investi, pour autant que l’événement catastrophique tel qu’il avait été défini, ne se soit pas produit. A l’inverse, si l’événement spécifique se produit, l’investisseur peut perdre alors l’entier du montant investi . Les obligations catastrophe sont avant tout des instruments qui permettent le transfert de certains risques spécifiques vers les marchés des capitaux, plutôt que de le faire auprès de réassureurs ou d’autres acteurs de l’assurance.
Une des particularités des obligations catastrophe est qu’elles ne comportent pas de risque de crédit mais seulement un risque d’assurance. Dans une perspective de diversification des risques, il s’agit d’un aspect intéressant pour les investisseurs qui souhaitent avoir des placements non corrélés entre eux dans leur portefeuille. Par exemple, ce n’est pas parce qu’une crise financière survient à un moment donné qu’il y aura simultanément plus de chances de survenance de tremblements de terre, d’inondations ou de toutes autres formes d’événements tels qu’ils ont été définis au préalable pour une obligation catastrophe donnée.
«Ce n’est pas parce qu’une crise financière survient à un moment donné qu’il y aura simultanément plus de chances de survenance de tremblements de terre.»
L’aspect de la décorrélation est-il absolu ou peut-il y avoir quand même un lien avec d’autres classes d’actifs, par exemple avec des actions liées au secteur de l’assurance ou de la réassurance?
Bien sûr, il peut y avoir, dans des cas très spécifiques, une corrélation entre la survenance d’un événement, qui déclencherait le non remboursement d’une obligation catastrophe donnée, et l’évolution du cours des actions de certaines entreprises spécifiques exposées à ce domaine, comme ceux d’assureurs ou groupes de réassurance, par exemple. Il s’agit là toutefois d’un cas de figure très spécifique et peu fréquent. Dans l’ensemble, la corrélation entre les Cat Bonds et l’évolution d’autres classes d’actifs est très faible.
Qu’en est-il de la sensibilité des obligations catastrophe aux variations des taux d’intérêt?
Les obligations catastrophes sont très peu sensibles aux variations des taux d’intérêt, que ce soit à la hausse ou à la baisse. Les Cat Bonds sont en effet déjà des obligations à taux variables et de maturité courte. Les aspects de duration ou ceux liés au resserrement ou à l’élargissement des spreads de crédit affectent très peu la valeur des obligations catastrophe.
Compte tenu de l’exposition de nombreuses obligations catastrophe à différents risques naturels comme les inondations ou les ouragans, comment intégrez-vous les aspects liés au changement climatique dans votre appréciation des risques?
A ce sujet, il faut préciser qu’il y a toute une partie des Cat Bonds ou des Insurance Linked Securities qui n’ont pas de lien avec le changement climatique. C’est le cas, par exemple, des tremblements de terre. Il n’y a pas davantage de tremblements de terre uniquement parce que le climat se réchauffe.
En revanche, le changement climatique affecte les tempêtes tropicales, les inondations ou les incendies , des domaines souvent couverts par les obligations catastrophe. Toutefois, dans ce domaine aussi, il faut différencier entre, d’un côté, les projections à long terme faites par le GIEC qui vont jusqu’à l’an 2100 ou au-delà et la durée de vie des Cat Bonds qui est généralement de l’ordre 3 ans à partir du moment de leur émission. Il est ainsi possible de réévaluer régulièrement les risques de survenance potentielle de certains événements catastrophiques.
«Les «Cyber Bonds» permettent de transférer certains risques en rapport avec la sécurité informatique en cas d’attaques de grande ampleur.»
Dans le cas des ouragans, le changement climatique , peut même, paradoxalement, avoir pour conséquence de réduire les dommages potentiels dans les régions côtières du sud-est des Etats-Unis. En effet, si les tempêtes s’orientent plus vite vers le nord, cela réduit les dommages causés aux régions côtières du sud des Etats-Unis. Il ne s’agit que d’un exemple de la manière avec laquelle, en tant qu’assureur, nous devons évaluer et réévaluer régulièrement ce type de risque. Enfin, il faut aussi tenir compte de l’évolution attendue de la population dans certaines régions dans les estimations des dommages potentiels. Plus il y a de gens qui habitent dans les régions exposées à ce type de risque, plus les coûts potentiels augmentent.
Hormis les catastrophes naturelles, y a-t-il d’autres risques qui sont désormais couverts par les Cat Bonds?
Au cours des derniers mois , des assureurs ont commencé à émettre des Cat Bonds en lien avec la cybersécurité. On appelle parfois ces instruments les « Cyber Bonds », car ils permettent de transférer certains risques en rapport avec la sécurité informatique en cas d’attaques de grande ampleur.
Le début de la décennie a été marqué par le Covid-19. Les risques liés aux pandémies peuvent-ils aussi être transférés à l’aide de Cat Bonds?
Il faut distinguer entre deux types de risques: d’un côté, il y a les risques en rapport avec une hausse de la mortalité, qui peuvent effectivement être couverts par des obligations catastrophes. De l’autre, il y a les risques résultant d’une fermeture administrative qui, eux, ne peuvent pas être assurés par ce biais car il s’agit d’un risque systémique qui dépend de décisions liées aux gouvernements.
Lorsque vous contactez des investisseurs, quelles sont leurs motivations, ou réticences, à investir dans les Cat Bonds actuellement?
L’argument de décorrélation avec les autres classes d’actifs, dont nous avons déjà parlé, est en général le plus important. Bien sûr, l’effort pédagogique et le travail d’explication est important car il est nécessaire de bien expliquer quels sont les risques spécifiques associés à ce type d’instruments. En termes d’affectation dans les portefeuilles, les Cat Bonds entrent généralement dans la catégorie des placements alternatifs, non pas des obligations. Les clients les plus importants sont notamment des caisses de pension, des assureurs vie non exposés aux catastrophes naturelles, des family offices mais aussi des banques privées qui proposent parfois à leur clientèle fortunée d’investir dans les Cat Bonds.