La réglementation fiscale française traite de manière plus favorable les transferts de résidence au sein de l’UE qu’en Suisse; contestation possible?
La France a récemment assoupli son régime d’exit tax:
- d’une part, en réduisant la durée pendant laquelle le contribuable ayant transféré son domicile hors de France doit conserver les titres qu’il détenait, pour pouvoir obtenir le remboursement ou le dégrèvement de l’impôt sur la plus-value latente constatée au moment de son départ: à compter du 1er janvier 2019, cette durée de détention minimale est de 2 ans (si la valeur des titres est inférieure à 2,57 millions d’euros), respectivement de 5 ans (si cette valeur est supérieure), alors qu’auparavant le délai était de 15 ans;
- d’autre part, en supprimant l’obligation de fournir des garanties (en lieu et place du paiement de cet impôt de plus-value: régime du sursis de paiement) pour les contribuables qui s’établissent non seulement dans un Etat de l’UE (ce qui était déjà prévu dans la réglementation antérieure) mais dans tout autre Etat avec lequel la France a conclu une convention de double imposition intégrant une clause d’assistance en matière de recouvrement d’impôt.
de dispositif permettant l’assistance au recouvrement d’impôt.
La France a également étendu l’exonération des plus-values immobilières réalisées par les contribuables ayant cédé leur «résidence principale» postérieurement à leur transfert de domicile:
- Jusqu’au 31 décembre 2018, seules les personnes restant résidentes de France jusqu’au jour de la signature de l’acte de vente pouvaient bénéficier d’une exonération d’impôt de plus-value sur la cession de leur «résidence principale» quand bien même ils ne l’occupaient plus et s’étaient constitués un domicile ailleurs (en France);
- A compter du 1er janvier 2019, les contribuables qui se sont établis à l’étranger pourront également bénéficier de cette exonération, à condition que leur nouvel Etat de résidence ait conclu avec la France une convention de double imposition intégrant une clause d’assistance en matière de recouvrement d’impôt.
La Suisse et la France sont liées par une «Convention en vue d'éliminer les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l'évasion fiscales». Cette Convention ne contient cependant pas de dispositif permettant l’assistance au recouvrement d’impôt; sur ce sujet, la position de la Suisse a toujours été très restrictive; à ce jour, en matière d’impôts directs (impôts sur le bénéfice et le capital pour les sociétés , impôts sur le revenu et la fortune pour les personnes physiques), la Suisse n’est partie à aucune convention (bilatérale ou multilatérale) instaurant une collaboration pour le recouvrement des créances fiscale (sous réserve d’une clause contenue dans la convention conclue avec l’Autriche visant les frontaliers).
de la plus-value latente était une mesure disproportionnée.
Ainsi, les résidents français qui s’établissent en Suisse doivent fournir des garanties à l’administration fiscale en relation avec l’imposition des plus-values latentes sur leurs titres et sont imposés sur le gain immobilier découlant de la cession de leur «résidence principale» après leur départ de France (au taux de 19%, plus les prélèvements sociaux, le cas échéant, de 17,2%, après application des abattements pour durée de détention).
Au regard du principe de la libre circulation des personnes instauré par l’Accord entre la Communauté européenne et la Suisse du 21 juin 1999 («ALCP»), cette réglementation «discriminante» est-elle néanmoins justifiée?
Dans un arrêt du 26 février 2019, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a considéré, en substance, que la législation fiscale allemande sur laquelle se fondait l’administration pour imposer un contribuable – citoyen allemand – transférant son domicile d’Allemagne en Suisse sur la plus-value latente afférente à sa participation dans une société, constituait une restriction au droit d’établissement au sens de l’ALCP qui n’était pas justifiée, et cela quand bien même l’Allemagne invoquait la nécessité de garantir l’efficacité du recouvrement de l’impôt et l’absence de mécanisme d’assistance mutuelle avec la Suisse en matière de recouvrement de créances fiscales.
Sur ce point, la CJUE a précisé que l’imposition immédiate de la plus-value latente était une mesure disproportionnée (pour assurer le recouvrement efficace des dettes fiscales) et que «dans un cas où il existe un risque de non-recouvrement de l’impôt dû, le report du recouvrement de cet impôt peut être subordonné à l’exigence de la constitution d’une garantie»
devraient examiner l’opportunité de contester cette taxation.
A l’aune de cet arrêt, l’obligation faite aux contribuables français se domiciliant en Suisse de fournir des garanties à l’administration fiscale pour pouvoir bénéficier d’un sursis d’imposition semble justifiée, au regard du principe de la liberté d’établissement, dans la mesure où la France ne peut pas compter sur la collaboration de la Suisse pour recouvrer ses créances fiscales.
En revanche, l’imposition sur les plus-values immobilières afférentes à la cession de la résidence principale réalisée par un contribuable français après son transfert de domicile en Suisse constitue, selon nous, un obstacle sérieux à la libre circulation des personnes garantie par l’ALCP, qui ne saurait être justifié par l’absence de convention en matière d’assistance au recouvrement d’impôt, puisque justement une telle opération en est en principe exonérée. La différence de traitement à cet égard entre les personnes transférant leur domicile en Suisse et celles qui soit restent en France, soit s’établissent dans un autre pays de l’UE, ou encore dans un Etat «pleinement conventionné», n’est pas fondée au regard du principe de liberté d’établissement qui doit s’appliquer de manière égale entre les pays de l’UE et la Suisse.
A notre sens, les ressortissants suisses ou de l’UE qui sont imposés sur la plus-value immobilière suite à la cession de leur résidence principale française dans le délai d’un an suivant leur transfert de domicile en Suisse, devraient – fonction des enjeux – examiner l’opportunité de contester cette taxation au motif qu’elle viole l’un des principes fondamentaux de l’ALCP.