La législation européenne impacte la pratique en Suisse

Franz R. de Planta, OAR-G

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Le secteur financier suisse réclame un nouveau cadre qui puisse être reconnu comme équivalent par l’UE.

Lors de la Conférence alpine annuelle de STEP à Interlaken, qui s’est déroulée du 31 janvier au 1er février dernier, les trustees suisses et leurs homologues étrangers, ainsi que de nombreux family offices et sociétés fiduciaires de la place financière ont eu l’occasion de prendre connaissance des dernières avancées de l’encadrement à venir de leur profession en fonction de leurs activités, comme les gérants de patrimoine. L’intensité de la surveillance et des contraintes sera fonction du degré de complexité des services offerts et du profil des clients adressés.

Difficile mise en oeuvre

MiFID II est entré en vigueur début 2018, alors que LSFin et LEFin devraient être ratifiées pour la fin de l’année avec une entrée en force au plus tôt mi-2019, mais plus vraisemblablement début 2020 et un délai de transition pour être en conformité de deux à trois ans. La Suisse, tout comme ses voisins, peine à mettre en œuvre ces nouvelles règlementations assez lourdes.

Manque de moyens et volonté pointilleuse pour les administrations, inquiétudes et interventions des milieux concernés, manque de connaissance pratique des politiciens, sont probablement les causes de tous ces retards de mise en œuvre, alors qu’en parallèle des groupes d’experts réunis par le DFF préparent les ordonnances d’application, au gré des adaptations recommandées par la CER des deux chambres.

Clients provenant de l’UE

Les clients non domiciliés en Suisse, qui ont des avoirs déposés dans nos banques et font appel à nos services de gestion discrétionnaire, de conseil d’investissement ou d’organisation patrimoniale, proviennent largement de l’Union européenne et sont au bénéfice de la Convention de Lugano, malgré le fort juridique suisse de nos contrats.

La pratique a évolué avec les nouvelles normes internationales d’échange automatique d’information, la transparence totale sur les frais et les prestations, l’information complète sur les produits avant la transaction jusqu’à l’investissement, l’obligation de rapport régulier sur les résultats et alertes de seuil à l’investisseur, désormais classifié en fonction de son expertise et de ses qualifications, le mandat discrétionnaire réservant un éventail plus large.

Certains contentieux opérationnels ont été lourdement jugés en Europe,
alors que les prestations ont été fournies en Suisse.

Certains contentieux opérationnels, liés à la protection de l’investisseur ont été lourdement jugés en Europe, alors que les prestations ont été fournies en Suisse, encore stigmatisée comme une place opaque et toujours considérée comme favorisée, malgré tous les efforts entrepris et notre expertise.

Au-delà du «Level Playing Field» et de notre attractivité, le secteur financier suisse réclame ce nouveau cadre, qui puisse être reconnu comme équivalent par l’Union Européenne. Si de part et d’autre, l’accent est porté sur la protection du consommateur, les conséquences ne sont pas les mêmes pour les institutions dépositaires disposant de filiales internationales, que pour les intermédiaires financiers indépendants, qui seraient uniquement établis en Suisse.

Communication intensifiée

C’est pourquoi de nombreuses banques ont décidé d’appliquer les normes et principes de MIFID II pour les clients domiciliés en Europe. Leur communication aux clients et à leurs chargés d’affaires s’est intensifiée. Celles-ci ont ainsi mis en place l’envoi systématique d’information aux clients (LTR, Rapports réguliers, TER, analyse des rétrocessions) sur la base du droit européen et organisent des séances d’orientation et de formation à leurs conseillers et aux tiers gérants suisses, pour lesquels elles proposent du matériel de communication (KID, Factsheets, analyse) et développent des outils de soutien techniques (IT).

MiFID II va plus loin que la Loi sur les services financiers (LSFin) dans quatre sujets majeurs: la pratique des rétrocessions, qui reste autorisée en Suisse sous certaines réserves déclaratives; la segmentation de la clientèle, alors que la possibilité d’y renoncer est maintenue chez nous, notamment dans le cadre du mandat de gestion; le choix des investissements en fonction de l’investisseur; les rapports de gestion. Les aspects qui ne sont pas retenus restent les suivants: l’enregistrement des conversations téléphoniques; le contrôle de l’adéquation de chaque opération en fonction du client; la décharge pour les investissements entrepris; le rapport de pertes dynamique.

Adapter l’organisation

De fait, la législation européenne impacte la pratique en Suisse. Les acteurs doivent s’y préparer et adapter leur organisation, qui devra également évoluer avec LSFIN et LEFin. La pénalisation de la soustraction fiscale et les risques de réputations sont aussi des sujets de vigilance accrue pour tous. Le principe du «Fit and Proper» anglo-saxon a été transposé par la FINMA et il incombera aux intermédiaires financiers de le prendre en compte, d’adapter leur modèle d’affaires, pratique commerciale et organisation interne.

La Suisse n’est pas isolée du reste du monde
et notre indépendance est un aspect essentiel de l’appétence pour notre pays.

La Suisse conserve de nombreux atouts: la solidité de nos établissements, le niveau d’expertise et une indépendance politique internationale avec un système juridique souverain, indépendant et démocratique, qui représente encore la meilleure protection pour les avoirs que nous gérons.

Selon le Global Finance Index (GFCI) de septembre 2017, Zurich est remonté à la 9e place et Genève à la 15e, des résultats qui démontrent que nous sommes encore à la pointe, notamment en Europe.

La Suisse n’est pas isolée du reste du monde et notre indépendance est un aspect essentiel de l’appétence pour notre pays, qui sait s’adapter raisonnablement à la pratique internationale en maintenant un modèle économique et social adapté à sa dimension.

Tribunal arbitral à privilégier

La voie bilatérale doit être préservée et poursuivie dans nos relations avec l'Union européenne, sans reprise automatique du droit européen. Un tribunal arbitral reste la meilleure solution en lien avec un accord cadre institutionnel, s’il devait être ratifié.

Pour la Suisse, il est souhaitable que notre gouvernement et nos administrations puissent mettre en place dans les meilleurs délais le cadre nécessaire à nos échanges et favoriser la compétitivité de notre place financière, sans tomber dans les excès de régulation ou l’exubérance, car tout ce que nous ne comprenons pas encore, n’est pas forcément bon à suivre, ce qui nous laisse une bonne marge de progression.