Spéculation baissière sur l’investment-grade US

Cyril Gomez

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L’encours des positions vendeuses sur les emprunts d’entreprises américaines non financières s’est sensiblement accru au premier semestre, selon IHS Markit.

Le premier semestre aura été particulièrement difficile pour les détenteurs d’obligations d’entreprise américaines notées investment-grade (IG). Leur proxy, le fonds indiciel coté iShares iBoxx $ Investment Grade Corporate Bond ETF (LQD), qui réplique la performance d’un peu plus de 1000 signatures d’une duration effective moyenne de 8,39 années, est en baisse de près de 5% depuis début janvier. Il sous-performe même les autres ETF répliquant le haut rendement.

Emprunts Comcast et General Mills très en-dessous du pair

D’après les données IHS Markit publiées ce mardi, les investisseurs ont accumulé les positions vendeuses sur l’IG américain (financières exclues, toutefois), celles-ci totalisant aujourd’hui un montant notionnel d’un peu plus de 50 milliards de dollars, en hausse de 8 milliards par rapport au début de l’année. Il convient de noter, cependant, que l’essentiel des transactions courtes portent sur des emprunts individuels sous-jacents et non sur les ETF obligataires qui les répliquent.

Le gisement obligataire de Comcast a vu s’accumuler pour 400 millions de dollars
de positions vendeuses depuis le début du deuxième trimestre.

Ainsi, l’emprunt à 30 ans (échéance 2048) du groupe de média américain Comcast Communication (Comcast), payant un coupon de 4%, se traite actuellement avec une décote de près de 13% au prix de 87,5%. Il s’agit de l’emprunt IG le plus shorté aux Etats-Unis. Dans l’ensemble, le gisement obligataire de Comcast a vu s’accumuler pour 400 millions de dollars de positions vendeuses depuis le début du deuxième trimestre, plaçant le total des encours des contrats vendeurs à 750 millions de dollars.

La forte et subite demande d’obligations en vue de réaliser des ventes à découvert sur les obligations Comcast coïncide avec l’annonce faite par celui-ci d’une offre de rachat de 65 milliards de dollars par endettement sur les studios de la 21st Century Fox. Ce qui aurait suscité une dégradation de son bilan, si l’offre n’avait pas été contrecarrée la semaine dernière par celle de Walt Disney, qui a mis plus de 71 milliards de dollars sur la table pour le contrôle de cette dernière.

Dénouement des shorts sur les ETF obligataires

Les emprunts émis par le géant agroalimentaire General Mills sont les plus shortées après Comcast, l’encours des contrats vendeurs étant passé d’un niveau inférieur à 40 millions de dollars fin décembre 2017 à 275 millions aujourd’hui. L’essentiel de cette augmentation porte également sur un emprunt à 30 ans payant un coupon annuel nominal de 4,7%. «Depuis que ces obligations ont été émises en avril, dans le but de financer le rachat du fournisseur d’aliments pour animaux Blue Buffalo Pet Products, elles se traitent en-dessous du pair au prix de 95%, soit un rendement réel de 5,03%», observe l’analyste d’IHS Markit, Sam Pierson.

En revanche, s’agissant des ETF obligataires de même segment IG, c’est une tout autre affaire. Après des sorties de fonds de près de six milliards de dollars au premier trimestre (le pire depuis l’existence d’ETF obligataires), les investisseurs sont revenus sur ces fonds, y injectant 1,6 milliard de dollars au cours des trois derniers mois. En parallèle, les positions vendeuses sur derniers ont décliné de 50% depuis mi-mars, lorsque leurs encours avaient atteint un pic de trois milliards de dollars.

Le secteur technologique à lui seul pèse pour 45% du total de la trésorerie
de l’ensemble des entreprises américaines non financières couvertes par S&P.

Cette divergence de positionnement entre les sous-jacents et les ETF qui les répliquent peut refléter des opérations de couverture des positions courtes sur ces derniers. Mais, selon l’analyste d’IHS Markit, l’ampleur de la divergence est trop frappante. D’autant que les plus hauts niveaux de positions vendeuses sur les ETF obligataires IG ne représentent que 10% des soldes vendeurs des obligations sous-jacentes. Sam Pierson interprète le dénouement récent des positions courtes sur les ETF comme l’indicateur selon lequel les vendeurs à découvert seraient tout simplement passés à autre chose.

La réforme fiscale n’améliorera pas forcément les bilans

Le crédit américain dans son ensemble court deux principaux risques. Le premier réside dans la politique monétaire de la Fed, dont le resserrement monétaire s’est traduit par une hausse de plus de 70 points de base des taux de rendement des Treasuries à 10 ans et de 120 points de base pour la maturité de deux ans. Le deuxième risque, étroitement lié au premier, réside dans l’endettement croissant (6300 milliards de dollars) des entreprises non financières aux Etats-Unis.

Les experts de S&P Global Ratings ont estimé mardi que même la réforme fiscale américaine Tax Cuts and Jobs Act, permettant le rapatriement des bénéfices d’entreprises américaines accumulées à l’étranger, n’atténuera pas nécessairement le risque de crédit. S’élevant à environ 1300 milliards de dollars, ces disponibilités devraient être majoritairement allouées à la rémunération des actionnaires (hausse des dividendes et rachats d’actions) plutôt qu’au financement de leur développement sur le long terme. 

De plus, la liquidité des entreprises est très concentrée, 1% de celles-ci détenant plus de la moitié du cash. Le secteur technologique à lui seul pèse pour 45% (945 milliards) du total de la trésorerie de l’ensemble des entreprises américaines non financières couvertes par S&P, une trésorerie évaluée à 2100 milliards de dollars. Ce qui pousse les analystes crédit de l’agence de notation américaine à recommander une vigilance accrue quant aux bilans du segment IG.