Une période d’allègements fiscaux

Douglas Bennett, Vontobel Asset Management

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L’incidence de la réforme fiscale américaine est bénéfique tant au niveau microéconomique que macroéconomique. Pour les portefeuilles aussi.

Au cours des deux dernières décennies, les entreprises aux Etats-Unis ne pouvaient qu’approuver la boutade de l’animateur américain Arthur Godfrey «Je suis fier de payer mes impôts aux Etats-Unis. Je le serais tout autant en ne payant que la moitié.» Or, à la plus grande satisfaction de ces entreprises, deux semaines après Thanksgiving, les deux chambres du Congrès américain ont plébiscité une vaste réforme de la fiscalité des sociétés. Et le 21 décembre 2017, le Président Trump a signé le «Tax Cuts and Jobs Act», une loi qui est venue amender l’Internal Revenue Code «pour réduire les taux d’imposition et modifier les régimes fiscaux, les crédits d’impôt et les déductions applicables aux particuliers et aux entreprises»*.

Depuis le 1er janvier 2018, le taux fédéral d’imposition réglementaire des sociétés est ainsi tombé de 35 à 21%, et le taux combiné, fédéral (national) et local, est descendu à quelque 27% contre 38,9% auparavant. Bien que l’ancien taux effectif se soit établi en moyenne en dessous des 35% officiels, probablement de plusieurs centaines de points de base, cette réduction l’amène à un niveau bien plus compétitif face aux autres pays. Il se situe désormais en dessous de la moyenne pondérée de l’OCDE de 30% alors qu’antérieurement il était en tête du classement.

L’allègement fiscal consenti va sans
doute stimuler l’embauche et l’investissement.

Cet allègement de la fiscalité fera augmenter les bénéfices des entreprises de trois manières. Primo, l’allègement fiscal pourrait relever de plus de 13 de dollars (10%) les prévisions du consensus pour le bénéfice par action (BPA) après impôts du S&P 500 le portant à près de 148 dollars au total. Secundo, les bénéfices à l’étranger peuvent être rapatriés au fil du temps à un taux d’imposition réduit de 15,5%, c’est-à-dire qu’ils peuvent être ramenés dans le giron des Etats-Unis progressivement à un moindre taux sous le nouveau «régime territorial» contrairement à l’ancien système global. Ces bénéfices pourront être alloués plus efficacement en les investissant dans la future croissance ou en augmentant les dividendes ou encore en les utilisant à des fins de rachats d’actions. Tertio, l’économie américaine devrait croître à un rythme plus rapide, car l’allègement fiscal consenti aux entreprises et aux particuliers va sans doute stimuler l’embauche et l’investissement. Les économistes tablent sur une hausse d’au moins 50 points de base supplémentaires de croissance du PIB en 2018 et au-delà (quelques années).

En général, il faut s’attendre à ce que les sociétés tournées vers le marché intérieur en profitent le plus vu que l’ensemble de leurs bénéfices était soumis jusqu’à présent au taux d’imposition réglementaire de 35%. Les banques régionales sont très représentatives de ce groupe d’entreprises. Un courtier a calculé que les BPA 2019 du secteur bancaire dans son ensemble pourraient gagner de 8 à 22%**. Les sociétés qui réalisent une grande part de leurs bénéfices à l’étranger verront un effet plus faible. Il s’agit notamment des sociétés informatiques et des groupes pharmaceutiques à forte présence internationale.

Mais il ne faut pas généraliser. Comme d’habitude, il faut examiner chaque société dans son contexte.

  • Niveau de valorisation plus élevé suite à l’allègement fiscal - Berkshire Hathaway est susceptible de voir son niveau de valorisation s’apprécier. Dans le cas de cette société, l’effet d’un taux d’imposition de 20% pourrait atteindre pas loin de 27 milliards de dollars (en supposant 25,7 milliards de dollars d’économie au taux de 21%) à terme selon un calcul effectué sur ses 77 milliards de dollars de passifs d’impôt différé. Sa valeur comptable pourrait donc grimper de 9%, à 147 dollars l’action de catégorie B.
  • Une société qui réalise d’importants bénéfices à l’étranger peut les rapatrier à un taux plus avantageux - Apple en tirerait clairement un avantage. En rapatriant à un moindre taux d’imposition ses 250 milliards de dollars d’actifs liquides qu’elle détient à l’étranger, la société pourrait alléger son imposition de 40 milliards de dollars sous le nouveau régime. A noter toutefois qu’elle devra tout de même céder approximativement 39 milliards de dollars sur ces bénéfices au titre de l’impôt sur le rapatriement, si elle décidait de les transférer aux Etats-Unis (l’entreprise a déjà mis de côté 36,3 milliards de dollars). Microsoft (140 milliards de dollars), Cisco, Alphabet, Oracle et Amgen font également partie des sociétés qui détiennent d’importants actifs liquides à l’étranger.
  • Mais un effet réducteur à court terme sur les bénéfices - A la fin de l’année dernière, Goldman Sachs a annoncé que la réforme fiscale réduirait ses bénéfices du 4e trimestre 2017 de 5 milliards de dollars, «… dont deux tiers dans le cadre de l’impôt sur le rapatriement. Le reste inclut les effets de la mise en œuvre du système fiscal territorial et la réévaluation des impôts différés à un taux d’imposition des sociétés moindre.» Environ 60% des bénéfices de Goldman proviennent de ses activités à l’étranger. Point positif, les bénéfices futurs réalisés à l’étranger seront imposés au taux d’imposition du pays en question et ne seront pas soumis à un impôt supplémentaire aux Etats-Unis par l’IRS. De plus, les bénéfices réalisés aux Etats-Unis seront désormais taxés au taux réduit de 21%.
Visa et MasterCard devraient accroître leur bénéfice net.

Les effets de l’allègement du régime fiscal varieront d’une société à l’autre. D’une manière générale, les sociétés solidement positionnées sur le marché et au fort pouvoir de fixation des prix devraient en profiter le plus, tandis que celles opérant dans des secteurs très concurrentiels en profiteront moins. Pour exemple, Visa et MasterCard étaient imposées à un taux de 27 à 30% jusqu’à présent. Le nouveau taux d’imposition de 21% devrait contribuer à accroître leur bénéfice net. Ces deux sociétés jouissent d’une excellente position sur le marché et ne subiront que peu de pressions sur leurs prix suite à l’allègement fiscal. Par ailleurs, les liquidités qu’elles détiennent à l’étranger correspondent à 3% de leur capitalisation boursière. Si ces sociétés décidaient de rapatrier ces liquidités, elles pourraient les affecter à des programmes de rachat d’actions, ce qui ferait grimper encore davantage leur BPA.

Une autre holding, CME Group, société tournée uniquement vers les Etats-Unis, occupe une position de monopole, car elle est le seul opérateur de plusieurs bourses de valeurs mobilières et de matières premières (CME, CBOT, NYMEX et COMEX). CME devrait donc bénéficier à plein de l’allègement fiscal. En 2016, CME a été soumise à un taux d’imposition combiné de 34%. Pour 2018 et 2019, un courtier a calculé un taux combiné de 23%, soit une hausse massive du revenu net pour les actionnaires***. Par contre, l’enseigne de distribution alimentaire Kroger pourrait subir des pressions sur les prix suite à l’allègement fiscal. Elle se trouve en effet dans un secteur soumis à une forte concurrence, une concurrence qui s’est encore accrue suite à l’acquisition de Whole Foods par Amazon, et pourrait bien être contrainte de baisser ses prix si des concurrents, notamment Safeway ou Whole Foods, décidaient de le faire.

Par ailleurs, les avantages d’un taux d’imposition officiel plus bas, du nouveau régime interne pour les bénéfices à l’étranger, de davantage d’investissements de la part des entreprises et des particuliers grâce aux gains qu’ils retirent de l’allègement fiscal sont autant de facteurs qui devraient contribuer à une plus forte croissance à long terme, aussi bien pour les Etats-Unis que pour l’économie mondiale. Selon les prévisions, le PIB américain devrait gagner 50 points de base par an ces prochaines années, ce qui devrait le rapprocher de l’objectif de 3 à 4% de croissance visé par Trump.

Les sociétés vont également augmenter leurs investissements.

Mais comment les actionnaires vont-ils en profiter? Ils peuvent s’attendre à une hausse des dividendes de même qu’à une augmentation des rachats d’actions par les entreprises. Les sociétés vont également augmenter leurs investissements, ce qui devrait accroître leur niveau bénéficiaire. Les marchés, pour leur part, ont déjà réagi positivement. En 2017, le S&P 500 s’est adjugé +19,4% (rendement), tandis que le Nasdaq Composite a gagné +28,2%. Ces hausses sont le fruit de l’anticipation d’une part de l’effet positif des allègements fiscaux sur les bénéfices des entreprises et d’autre part d’une meilleure croissance du PIB. Que des bonnes nouvelles pour les actionnaires.

Seul bémol: la Réserve fédérale se trouve dans une phase de resserrement monétaire. Dans sa réunion du 12-13 décembre, elle a relevé les taux d’intérêt de 25 points de base à 1,25-1,5%. Elle a également communiqué son intention de les resserrer encore de 75 points de base en 2018, et de poursuivre ce resserrement en 2019. Ces hausses ont pour objectif de rapprocher les taux de la normale, de se détacher de ceux qui ont prédominé ces 10 dernières années. La tension sur le marché de l’emploi et le niveau relativement bas du taux de chômage légèrement supérieur à 4% justifient du moins ces décisions. Reste que le gardien monétaire ne pense pas que l’inflation sous-jacente va monter au-delà de son objectif de 2% et que le taux de chômage ne va plus beaucoup baisser. Ainsi, à l’heure actuelle, il ne semble pas disposé à relever les taux de manière plus musclée.

Quoi qu’il en soit, le Tax Cuts and Jobs Act de 2017 devrait accélérer la croissance pendant les phases ultérieures d’expansion de l’économie américaine, une expansion qui a commencé en 2009. Si l’allègement fiscal induit également une hausse plus rapide des salaires, une baisse du taux de chômage et une accélération de l’inflation, la Réserve fédérale pourrait augmenter le rythme de relèvement des taux et aussi ses objectifs.

En fin de compte, il s’agira de se concentrer sur des sociétés de haute qualité, aux activités stables et porteuses offrant un rendement sur investissement élevé, des bilans solides, un bon free cash-flow et des avantages concurrentiels durables; une bonne combinaison pour une croissance bénéficiaire régulière et solide.

* H.R.1 – 115e Congrès (2017-2018), congress.gov.
** Martinez, Saul, UBS Global Research, 11 décembre 2017.
** Kramm, Alex, UBS Global Research, 20 décembre 2017.