Une mémoire de bêta

Thomas Planell, DNCA Invest

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Il devient urgent de se rappeler que le bêta et le taux d’intérêt restent les déterminants clés du modèle de valorisation des actifs financiers.

Ayant passé l'échéance de Jackson Hole sans heurts, les indices européens n'ont toutefois pas réussi à s'établir durablement au-dessus des records enregistrés à la mi-août. Les résultats d'entreprises pour le second semestre étaient pourtant excellents. Seulement 15% des sociétés n'ont pas battu les attentes, près des deux tiers les ont dépassées, confirmant qu'une croissance des BPA en 2021 de plus de 60% semble atteignable! Mais la crainte d'approcher du pic de la reprise questionne la soutenabilité des performances opérationnelles des entreprises. 

Après la Chine et les Etats-Unis, c'est au tour de l'Europe de ralentir 

Ainsi, en août, les indicateurs manufacturiers faiblissent pour la première fois depuis janvier. Sans augurer d'un coup d'arrêt porté à la croissance bénéficiaire, ce fléchissement peut suffire à affadir l'élan des révisions haussières et à peser sur le potentiel d'appréciation des marchés. La question de la soutenabilité des excellentes performances des trois derniers trimestres au-delà de l'exercice 2021 n'est pas nouvelle. Elle pèse déjà sur les valeurs cycliques depuis mai, et plus particulièrement sur celles qui ont bénéficié du renchérissement des matières premières (aciéristes, chimistes ou pétroliers). Certaines valeurs minières qui clôturent un semestre historique en termes de profitabilité illustrent le paroxysme de la défiance des investisseurs avec des rendements exigés du free cash-flow allant jusqu'à près de 40% (soit un remboursement de la capitalisation boursière en moins de 3 ans). 

Des groupes de semi-conducteurs ou de biens d’équipements industriels sont valorisés à des niveaux de rendement des flux de trésorerie qui n’intègrent plus leur risque de cyclicité.

Cependant, avec la perte de célérité de la reprise, la menace grandit de voir ce scepticisme se propager à d’autres secteurs non moins cycliques et toutefois plus fortement valorisés sous prétexte qu’ils bénéficient de tendances de croissance séculaire sur tout ou partie de leurs marchés finaux. Pourtant très sensibles au retournement de l’économie en raison de la nature de leur activité et de leur structure de coûts fixes, de nombreux groupes de semi-conducteurs ou de biens d’équipements industriels sont désormais valorisés à des niveaux de rendement des flux de trésorerie qui n’intègrent plus leur risque de cyclicité. Les débouclages peuvent alors s’avérer très violents lorsque les investisseurs retrouvent la mémoire de l’aléa. La chute de plus de 10% du secteur du luxe à partir du 17 août en est une illustration. 

Un rappel des turbulences de 2012 sur le luxe en Chine

Quoique imprécise et difficilement quantifiable, la doctrine de la «prospérité commune» de Xi Jinping a rappelé les campagnes anticorruption de 2012 qui avaient pesé sur la croissance du secteur. L’évocation de ce souvenir douloureux a suffi à faire basculer, au moins temporairement, la prépondérance du consommateur chinois pour le secteur (35% en 2020, 48% à partir de 2025 selon certaines études!) du statut d’opportunité vers celui de risque dans l’esprit des investisseurs. Alors, à l’approche du pic probable de la reprise et d’une possible sortie des politiques monétaires accommodantes, il devient peut-être urgent de se rappeler que le bêta (qui mesure implicitement la cyclicité du modèle de l’entreprise) et le taux d’intérêt restent les déterminants clés du modèle de valorisation des actifs financiers, le Capital Asset Pricing Model (CPAM).

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