Les Etats-Unis ont perdu leur dernier triple A, signe d’un malaise budgétaire profond. Le 16 mai, Moody’s a abaissé la note de crédit des Etats-Unis de Aaa à Aa1, retirant ainsi la dernière note maximale encore attribuée à la dette fédérale. Cette décision s’appuie sur l’augmentation constante de la dette publique et des charges d’intérêts depuis plus d’une décennie, à un rythme supérieur à celui d’autres pays développés. Sur les sept premiers mois de l’exercice budgétaire 2025, le déficit s’élève déjà à 1051 milliards de dollars, contre 855 milliards à la même période de 2024, soit une hausse de 23%. Après Standard & Poor’s en 2011 et Fitch en 2023, Moody’s rejoint ainsi les deux autres grandes agences dans le déclassement de la signature américaine. Ce n’est pas un seul président qui est mis en cause, mais une succession de gouvernements et de majorités parlementaires incapables de stabiliser la trajectoire des finances publiques.
La dette américaine entre dans une zone rouge structurelle. Selon les dernières projections du Congressional Budget Office (CBO), la dette publique nette détenue par le public devrait passer de 100% à 117% du PIB d’ici 2034. Ce gonflement s’explique par un déficit primaire persistant d’environ 2% du PIB et une hausse progressive de la charge d’intérêts, qui passerait de plus de 3% à près de 4,5% du PIB sur la période. Ces évolutions s’inscrivent dans un contexte de dépenses sociales croissantes et de recettes fiscales stagnantes, alors que le vieillissement démographique accroît la pression sur les comptes sociaux. Moody’s ne voit aucune mesure structurelle suffisante dans les projets actuels pour corriger cette dérive. Ce déséquilibre à long terme devient un risque systémique, notamment pour les marchés obligataires.
Les réductions d’impôts proposées creusent encore davantage les déficits. Le budget en discussion au Congrès, baptisé par les Républicains «One Big Beautiful Bill», propose des allégements fiscaux massifs, dont l’impact sur le déficit l’emporte largement sur les économies budgétaires envisagées. Selon le Committee for a Responsible Federal Budget (CRFB), ce projet creuserait la dette de 3300 milliards de dollars supplémentaires sur dix ans (soit 7,8% du PIB), en incluant les coûts d’intérêts. Si, comme le suggèrent déjà certains candidats pour 2028, les allégements fiscaux venaient à être prolongés au-delà de cette échéance, le surcroît de dette grimperait à 5200 milliards (12,3% du PIB), ce qui propulserait la dette publique détenue par le public vers 130% du PIB en 2034. Le Sénat, dans sa version budgétaire, autoriserait même un déficit brut de 5800 milliards, hors intérêts, ce qui illustre la perte de repères budgétaires à Washington.
Les marchés commencent à intégrer le risque budgétaire américain. Les marchés obligataires réagissent avec prudence à cette détérioration des fondamentaux. Le rendement des obligations à 30 ans a franchi la barre des 5%, atteignant un plus haut depuis 18 mois, tandis que le dollar s’est légèrement replié. La volatilité s’installe alors que le débat budgétaire 2026 ne fait que commencer. Par ailleurs, les recettes exceptionnelles tirées des droits de douane ne devraient apporter qu’un soulagement limité. Le CRFB estime que les droits de douane pourraient générer entre 1600 et 1800 milliards de dollars sur dix ans, ce qui reste très insuffisant pour compenser la trajectoire explosive de la dette. En parallèle, la politique monétaire américaine reste officiellement orientée vers des baisses de taux, mais les incertitudes politiques et géopolitiques pourraient inciter la Fed à temporiser. Dans ce contexte brouillé, une grande prudence reste de mise sur les marchés américains, malgré la présence de sociétés attractives à des valorisations redevenues raisonnables.