Nouveau danger pour la notation de la France

Eric Dor, IESEG School of Management

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Ce vendredi, l'agence S&P devrait probablement maintenir la note mais abaisser les perspectives de la dette de la France.

©Keystone

 

Ce 28 février l’agence S&P doit communiquer une décision sur la dégradation ou le maintien de la note de crédit de la France. Une détérioration de la note de la France par S&P pourrait être lourde, avec une dégradation à A+, ou légère avec simplement le maintien à AA- mais un abaissement de la perspective à négative. L’agence S&P pourrait aussi décider de maintenir la note et la perspective inchangées.

Quelles sont les conditions qui pourraient induire une dégradation de la note?

Lors de son examen précédent de la note de la France, le 29 novembre 2024, l’agence S&P a précisé ce qui pourrait la décider à abaisser la note de la France:

«Nous pourrions abaisser la note de la France si le gouvernement est incapable de réduire ses importants déficits budgétaires ou si la croissance économique tombe en dessous de nos projections sur une période prolongée.»

Ce sont donc les propres critères de S&P à examiner.

  1. Capacité du gouvernement à réduire le déficit
    Le gouvernement a montré peu de capacité à réduire le déficit. Le déficit planifié officiellement a été à peine réduit, de 6% en 2024 à 5,4% en 2025, et pourrait même être plutôt de 5,5% cette année. Cette très légère diminution du déficit 2025 est obtenue quasi totalement par des hausses de prélèvements obligatoires, dont la moitié est temporaire, plutôt que par des réductions de dépenses publiques. Tout l’effort est donc reporté sur les années ultérieures. Le gouvernement dit que les objectifs du plan budgétaire et structurel à moyen terme restent toutefois inchangés à partir de l’année prochaine, avec un retour à un déficit inférieur à 3% du PIB, 2,8%, en 2029, mais cette pure déclaration est peu crédible. L’agence S&P aurait donc de bonnes raisons pour douter de la capacité du gouvernement à réduire le déficit.
  2. Croissance économique comparée aux projections de l’agence
    Les projections de l’agence S&P lors de son examen précédent le 29 novembre 2024, étaient une croissance réelle de la France de 1% pour 2025, 1,2% pour 2026 et 1,1% pour 2027. Pour 2025, le gouvernement suppose une croissance réelle de 0,9%, déjà inférieure à la projection de S&P. Mais cette hypothèse du gouvernement semble encore trop optimiste. Pour les prochaines années des estimations réalistes de la croissance possible en France sont également inférieures aux projections de S&P formulées en novembre. Il en résulte que S&P pourrait déjà considérer que la croissance réelle de la France, de 2025 à 2027, a une très forte probabilité d’être inférieure à ses projections de novembre.
  3. Conséquences
    Sur base de ses propres critères communiqués en novembre 2024, il serait déjà fondé pour S&P de dégrader la note de la France le 28 février 2025. Si S&P souhaite quand même montrer encore beaucoup de patience et laisser la note AA- inchangée, Il serait logique que la perspective associée soit au moins abaissée à négative.

Que montre une comparaison internationale de la France avec d’autres pays européens ?

La différence de notation entre la France et les pays de la zone euro moins bien notés par S&P est maintenant très difficile à défendre. Ces pays moins bien notés ont pour la plupart de moindres déficits et dettes, en réalisé et en projection.

Quelle est la différence entre la hiérarchie des notes et l’appréciation des marchés?

Les taux d’intérêt exigés par les marchés sur la dette publique de l’Espagne, du Portugal, de la Lituanie et du Portugal, moins bien notés par S&P, sont maintenant supérieurs au rendement que la France doit payer sur ses obligations.

Des pays notés A-, A ou A+ doivent donc payer un moindre taux d’intérêt que la France qui a AA-.

Quels arguments restent en faveur de la France?

Les marchés obligataires restent toutefois très calmes à l’égard de la dette française, après le choc initial de la dissolution. Le spread avec l'Allemagne, qui avait été longtemps à 0,5%, a augmenté de 0,25% lors de la dissolution, mais oscille depuis autour d'une moyenne inchangée de 0,75%. Comme les agences de notations, au cours des années récentes, ont tendance à suivre les marchés plutôt qu’à les précéder, S&P pourrait trouver là des raisons pour être encore patient à l’égard de la France et maintenir la note AA-, même si c’est difficile à justifier d’après ses critères.

Une série de facteurs plaident en faveur de la solvabilité de la France. Son économie est assez bien diversifiée, sans exposition excessive à un secteur d’activité particulier. Les banques sont très solides en France, ce qui écarte le risque d’avoir à les sauver avec des fonds publics. La dette publique de la France est très liquide, ce qui est toujours apprécié des investisseurs. Surtout, l’épargne du secteur privé est très abondante en France. Les revenus et patrimoines abondants du secteur privé, qui pourraient être ponctionnés pour assurer le service de la dette, peuvent maintenir la confiance des prêteurs.

Quelles seraient les conséquences d’une dégradation?

Souvent l’impact d’une dégradation est insignifiant parce que les investisseurs sur les marchés étaient déjà au courant des problèmes du pays concerné et en tenaient déjà compte pour déterminer le taux d’intérêt exigé sur ses obligations.

Toutefois, une dégradation de la note de la France, qui est encore de la classe des AA, entraînerait le déplacement vers la catégorie inférieure des A, qui déclencherait des effets de seuil automatiques sur la demande d’obligations du pays par les grands investisseurs, il y aurait alors un effet à la hausse sur le taux d’intérêt.

Quelle serait une décision plausible de la part de l’agence de notation?

Sur base de ses propres critères, il serait logique que S&P puisse décider d’une dégradation de la note de la France, puisque la capacité du gouvernement à réduire le déficit est très incertaine et que la croissance, au cours des prochaines années, a une forte probabilité d’être inférieure aux projections initiales.

Comme le spread reste maîtrisé sur les marchés, en raison de facteurs fondamentaux encore en faveur de la France, S&P pourrait toutefois maintenir la note AA- et se contenter d’un abaissement de la perspective. C’est l’option qui a la meilleure probabilité.

Il y a même une possibilité qu’au prix d’une forte perte de crédibilité, l’agence privilégie des scénarios optimistes très peu plausibles sur le déficit et la croissance, et maintienne à la fois la note et la perspective associée.

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