Les trois flèches des Jinpingnomics

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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L’assaut sur les BATX n’est qu’un aspect du plan économique et politique de Xi Jinping.

«Un monarque est puissant quand son peuple est heureux», écrivait Simonnet de Maisonneuve dans une de ses tragédies depuis bien longtemps oubliée1. Il semble que depuis déjà quelques mois, et d’ici la réunion du Comité Central du Parti Communiste à l’automne 2022, le Président Xi Jinping s’efforce d’appliquer cet adage en remettant de l’ordre dans son économie et en améliorant le bien-être de ses concitoyens. La campagne de régulation, pour ne pas dire de mise au pas des «Big Tech», lancée déjà depuis plusieurs mois, cristallise à elle seule les objectifs poursuivis par le Président.

Passons-les en revue, et voyons comment ils se déclinent. On peut distinguer trois «flèches» à tirer: la «prospérité commune», la «sécurité nationale» et une «nouvelle ère de développement». L’amélioration des conditions économiques de la population, la réduction des inégalités, passent par la protection des données personnelles, le contrôle des usages des jeux vidéo, la limitation voire le démantèlement des grands monopoles Big Tech, l’ouverture de leurs bases de données aux autres acteurs du marché (SOE, start-ups) afin de développer un écosystème fluide et concurrentiel, propre à offrir à la population les biens et les services aux meilleurs prix. Il s’agit aussi d’amener les Big Tech à mieux traiter leurs salariés et les contraindre à partager plus équitablement la valeur avec les vendeurs et producteurs qui ont recours à leurs plateformes. Concrètement, une société comme Meituin, est «incitée» à mieux rémunérer ses livreurs. Alibaba et Tencent devront partager leurs données personnelles et rendre les passages entre les différentes applications plus fluides. Ce n’est pas forcément pour déplaire aux consommateurs, les premiers concernés, surtout après de nombreux scandales d’usages frauduleux de ces informations, ou devant leur exaspération face aux algorithmes de recommandation. Cependant, qui dit protection, dit également renforcement des contrôles et emprise des citoyens par la puissance publique.

S’il ne manque pas de bois pour ses flèches, le Président Xi n’est pas pour autant assuré de toucher toutes ses cibles.

De telles mesures, auxquelles on peut ajouter les nouvelles réglementations à l’encontre des Fintech ou encore la fin des profits pour les sociétés d’éducation en ligne, servent également les deux autres objectifs du Président Xi: inciter ces entreprises à orienter une part croissante de leurs investissements en direction du  «nouveau modèle de développement» souhaité par le gouvernement; s’assurer qu’elles contribuent bien au renforcement de la «sécurité nationale» - dont la dimension géostratégique de remise en cause de «l’ordre américain» n’échappe plus à personne. La Chine affiche ouvertement ses ambitions technologiques: rattraper et dépasser les Etats-Unis dans les domaines des semi-conducteurs, de l’informatique quantique, de la conquête spatiale etc. La sécurité nationale enfin, consiste à limiter – voire interdire – les introductions à la bourse américaine de ces sociétés riches des données personnelles qu’elles détiennent – une matière première indispensable à l’Empire du Milieu, et traitée comme telle.  

Le prix à payer: des cours de bourse qui s’effondrent (Alibaba a perdu près de 40% de sa valeur depuis le début de l’année); un interventionnisme accru dans l’organisation et la gestion de ces entreprises; le risque de voir les capitaux étrangers échaudés se retirer durablement du marché; une baisse de l’investissement faute de moyens et pis encore de dynamisme, du fait de la dispersion des efforts. De telles incitations aux allures de «Grand Bond en Avant» ne sont pas pour rassurer. Certes les moyens et le niveau d’avancement technologique n’ont rien de commun avec le désastre de la fin des années 50, et déjà de grands groupes tel Huawei – autour de la 6G – entendent relever le gant. Il reste que la remise en ordre économique et règlementaire entamée dans ce secteur n’est pas sans danger.

De plus, la quasi-faillite du groupe immobilier Evergrande fragilise également la promesse d’une prospérité bâtie sur l’accès au logement pour tous. Face aux ambitions du Président, la Chine n’est-elle pas menacée par une reprise bien trop bridée et médiocre du fait d’une demande intérieure durablement atone.

S’il ne manque pas de bois pour ses flèches, le Président Xi n’est pas pour autant assuré de toucher toutes ses cibles. Alors que les tensions extérieures s’accroissent, lesquelles devra-t-il abandonner?

 

1 Odmar et Zulma (1788)

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