Les nouvelles mobilités: l’important c’est le voyage

Saurin D. Shah, Neuberger Berman

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Que Tesla, Uber ou Waymo réussissent individuellement à dominer leurs niches respectives est peut-être moins important que le chemin parcouru par les mobilités dites de nouvelle génération.

© Keystone

Après la 32e édition du symposium international du véhicule électrique EVS32, qui s’est tenue à Lyon à la fin du mois de mai, nous souhaitons faire le point sur la thématique des mobilités de nouvelle génération ainsi que sur les enjeux rencontrés par les investisseurs sur ce secteur. Les technologies automobiles ont en effet fortement retenu l’intérêt des marchés, l’actualité étant souvent marquée par quelques grands noms et leurs perspectives variables, naviguant entre des attentes élevées, des inquiétudes quant à leur business model et des enjeux liés au rythme de l’innovation et à l’acceptation des consommateurs. Mais que Tesla, Uber ou Waymo réussissent individuellement à dominer leurs niches respectives à court terme est peut-être moins important que le chemin parcouru actuellement par les mobilités dites de nouvelle génération dans leur ensemble.

Les nouvelles mobilités pour répondre aux enjeux de demain

Chez Neuberger Berman, la thématique des nouvelles mobilités répond à des enjeux sous-jacents. L’industrie mondiale du transport, qui représente 4 trillions de dollars (plus de 10 trillions de dollars si l’on inclut les véhicules d’occasion), est confrontée à une série de défis d’envergure. C’est en effet une industrie dangereuse, avec quelque 1,2 million de victimes d’accidents de la route l’an dernier dans le monde. C’est aussi une industrie polluante, l’automobile est responsable d’une grande partie des émissions de CO2 à l’origine du réchauffement climatique. Enfin, elle est inefficace, caractérisée par des embouteillages, des temps de trajet trop longs et un trop grand nombre de voyageurs par rapport aux véhicules disponibles. Et justement, les mobilités de nouvelle génération offrent de potentielles solutions à tous ces problèmes:

La conduite autonome offrira aussi la possibilité
d’augmenter les taux d’utilisation des véhicules.

Concernant la sécurité, les systèmes de freinage autonomes, les avertisseurs d’angle mort et autres systèmes avancés d’aide à la conduite (ou ADAS pour Advanced Driver-Assistance Systems) pourraient réduire considérablement le nombre d’accidents. De plus, les voitures électriques sont considérées comme un moteur de la lutte contre le réchauffement climatique d’autant plus lorsqu’elles utilisent de l’énergie issue de sources renouvelables. Les gouvernements exigent de plus en plus des constructeurs automobiles qu’ils réduisent l’empreinte carbone de leurs nouveaux véhicules et pour ce faire les constructeurs se tournent en effet vers la production de véhicules hybrides et électriques. Enfin, la connectivité des voitures, qui permettrait à celles-ci de communiquer entre elles, mais aussi avec l’infrastructure environnante, pourrait aider à réduire l’inefficacité des transports individuels. Ainsi, le développement des robots taxis pourrait accroître l’efficacité des transports. La conduite autonome offrira aussi la possibilité d’augmenter considérablement les taux d’utilisation des véhicules, ce qui réduira le besoin en zones de stationnement dans les villes et libérera de l’espace pour d’autres utilisations.

La route de l’innovation est encore longue et pavée de nombreux défis

Malgré tout ce potentiel, les analystes et les médias se sont souvent montrés trop optimistes quant au développement de ces avancées technologiques, à la croissance des parts de marché et à la rentabilité de certaines entreprises. En fait, les défis à relever restent considérables.

La véritable automatisation, qui permettrait d’aller de n’importe quel point à un autre en voiture, exige non seulement la capacité de suivre les directions GPS, mais aussi d’anticiper et de réagir rapidement face aux autres véhicules, aux dangers sur la route, aux piétons et aux mauvaises conditions météorologiques. Outre le perfectionnement continu des technologies ADAS, le déploiement à grande échelle de la technologie 5G, peut-être d’ici une décennie, sera essentiel pour répondre à ces enjeux et développer l’automatisation. Enfin, l’industrie des transports doit résoudre les problèmes systémiques posés par la responsabilité en cas d’accident. Dès lors, les investisseurs devront peut-être se contenter à court terme d’avancées progressives en matière d’autonomisation.

En Europe, les consommateurs comme les gouvernements
développent un intérêt certain pour les véhicules hybrides et électriques.

Pour les voitures électriques, le principal défi est évident : comment fabriquer une batterie suffisamment puissante, qui se recharge rapidement, avec de l’autonomie de charge, solide, sûre et abordable ? Malheureusement, en l’état actuel des technologies, ces facteurs sont souvent en contradiction et nécessitent généralement des systèmes de gestion de batteries importants et coûteux. L’élimination du cobalt et l’ajout d’une teneur plus élevée en nickel aux produits chimiques standard des piles au lithium peuvent accroître la puissance et l’autonomie, mais nuisent à la stabilité et la durabilité des batteries. La plupart des batteries utilisées aujourd’hui sont chères, et bien qu’elles répondent aux attentes du marché haut de gamme comme chez Tesla, elles ne correspondent pas nécessairement au marché grand public. De manière plus générale, l’intérêt des véhicules électriques dépend des ressources énergétiques utilisées par le réseau électrique. Par exemple, l’Allemagne est fortement dépendante du charbon comme source secondaire d’énergie électrique, ce qui compromet le label «propre» de ses véhicules électriques. Ainsi, l’utilisation croissante de carburants alternatifs, qu’ils soient solaires, éoliens ou même nucléaires, sera nécessaire pour répondre à cet enjeu, ainsi qu’une plus grande disponibilité des stations de recharge sur certains marchés.

Cela étant dit, en Europe, les consommateurs comme les gouvernements développent un intérêt certain pour les véhicules hybrides et électriques. Les problèmes liés aux émissions des voitures diesel semblent avoir été un catalyseur clé, les acheteurs européens s’inquiétant de plus en plus de la valeur de revente de leur véhicule. Toyota affirme que la proportion de ses clients en Europe qui achètent la version hybride de ses modèles de voitures est passée de 20 % à environ 70 % au cours de l’année dernière. Entre-temps, les limites imposées par l’Union européenne quant aux émissions moyennes de CO2 des véhicules neufs continuent de se resserrer, poussant les constructeurs à faire des voitures hybrides et électriques une plus grande part de leurs ventes.

Les succès d’aujourd’hui ne garantissent pas ceux de demain

Malgré ces défis, nous restons persuadés qu’à l’avenir le développement de l’innovation et de la connectivité changera la donne. En effet, bien que l’automatisation complète soit loin d’être une réalité, il est clair que bon nombre des nouveaux dispositifs d’aide à la conduite et de sécurité mis au point en vue de l’automatisation sont très populaires auprès des consommateurs et deviendront probablement plus répandus. Les entreprises qui fournissent des logiciels et du matériel électronique dans ces domaines sont donc susceptibles de connaître une forte croissance. Ensuite, nous nous attendons à une dynamique continue des ventes de véhicules électriques, ce qui pourrait profiter aux producteurs de batteries ainsi qu’aux fournisseurs de chargeurs et d’autres équipements clés. D’autant plus que la nécessité de rendre les réseaux électriques plus propres devrait potentiellement bénéficier à l’ensemble des acteurs des réseaux électriques. Enfin, en ce qui concerne les robots taxis, nous pensons que les entreprises qui sont parvenues à mettre au point une technologie fiable en toute sécurité devraient avoir une position dominante au fur et à mesure que la 5G et les progrès technologiques s’installent.

Capitaliser sur les nombreuses dynamiques qui animent le secteur
des nouvelles mobilités constitue un défi majeur pour les investisseurs.

Néanmoins, le succès d’aujourd’hui n’est pas nécessairement synonyme de réussite à l’avenir. Certaines grandes entreprises ont levé des capitaux grâce à des perspectives de croissance convaincantes, mais elles devront continuer à atteindre leurs objectifs et faire preuve d’un potentiel de rentabilité pour conserver l’intérêt des investisseurs. De plus, nous pensons qu’il ne faut pas ignorer les acteurs plus traditionnels du secteur qui sont capables de s’adapter à ce nouvel environnement. Par exemple, la vente de voitures, même électriques ou autonomes, ne concerne pas seulement l’industrie automobile, mais aussi les services. Le vaste réseau de concessionnaires d’une société comme Audi offre un canal de distribution efficace ainsi qu’un moyen pratique pour assurer la maintenance. Mais les constructeurs automobiles devront sûrement s’efforcer de maintenir leurs marques et ils devront développer leurs relations stratégiques avec les fournisseurs de technologies ou en acquérir certaines afin de maintenir leur leadership.

Capitaliser sur les nombreuses dynamiques qui animent le secteur des nouvelles mobilités constitue un défi majeur pour les investisseurs. Cela nécessite de comprendre différentes industries ainsi que les répercussions de la réglementation et du changement climatique. Les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) peuvent également apporter une perspective intéressante pour évaluer les risques et les opportunités de ce marché. De plus, une recherche fondamentale approfondie sur tous ces secteurs, industries et entreprises, peut révéler certains éléments qui contribuent au succès potentiel de l’investissement sur ce segment en forte croissance et qui transformera certainement de l’économie mondiale. La route à parcourir reste encore longue, mais elle offre de nombreuses opportunités pour ceux qui savent mettre à profit leur expertise et leurs connaissances.