Les Etats-Unis sous zombinomics

Florian Roger, Exane Derivatives

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La robustesse du marché du travail éloigne le spectre d’une récession macro-économique outre-atlantique.

Le virage accommodant amorcé par la Fed depuis janvier a permis de décongestionner le marché du crédit. Le montant d’émissions sur le High Yield US affiche ainsi une hausse de 20% par rapport à l’ensemble de l’année 2018 (197Mds$ au 10 octobre 2019 vs 165Mds$ en 2018) alors que le 4ème trimestre ne fait que débuter. Les entreprises américaines ont pu refinancer aisément leur dette et bénéficier de conditions financières particulièrement avantageuses en 2019. Sur le HY US, le mur de dettes a été repoussé de 2020/2021 à 2024/2025. Les entreprises américaines affichent de ce fait un taux de défaut faible, seulement 1,7% selon Moody’s en moyenne lors du 1er semestre 2019, alors que le cycle économique mature depuis plus de 10 ans. Cela limite les destructions d’emplois, notamment dans les petites entreprises du secteur des services, ce qui contribue à ce que la récession manufacturière ne se propage pas à l’ensemble de l’économie et à ce que le marché du travail reste robuste.

L’enquête payrolls, qui constitue la statistique d’emploi la plus suivie par les investisseurs, sous-estime d’ailleurs vraisemblablement la robustesse du marché du travail. En effet, elle peine à refléter les changements démographiques au sein de la population des entreprises (créations et destructions d’entreprises) dans la mesure où elle est réalisée sur un échantillon certes large (142 000) mais fixe d’entreprises. L’enquête emploi menée auprès des ménages pour mesurer les taux de chômage et de participation souffre historiquement moins de ce biais. Au cours des prochains mois, il n’est donc pas impossible que les dynamiques du taux de chômage et de participation restent bien orientées alors que les créations d’emplois faiblissent. Une loi d’Okun, établissant une relation linéaire entre croissance et créations d’emplois, suggère que ces dernières doivent structurellement ralentir vers 100K/130K par mois, puisque la croissance revient vers son potentiel (2% selon la Banque des Règlements Internationaux). Tant que l’emploi résiste, ce qui est notre scénario central pour les 12 prochains mois, le spectre d’une récession macro-économique ne planera pas sérieusement au-dessus de l’économie américaine.

Les entreprises zombies plombent la productivité en provoquant
des effets de congestion sur les facteurs de production.
Moins de défauts d’entreprises donc plus de zombies et moins de productivité

La contrepartie négative de cette faible sinistralité des entreprises et de ses effets bénéfiques de court terme sur le marché du travail est qu’elle aide à la multiplication des «entreprises zombies». Ces dernières sont définies comme les acteurs productifs de plus de 10 ans dont la rentabilité du capital ne permet pas de couvrir la charge d’intérêts. Leur proportion au sein de la population des entreprises américaines, a augmenté de 40 à 50% entre 2009 et 2016 selon la Banque des Règlements Internationaux. Ces entreprises ont proliféré grâce à l’abondance de liquidité et à l’effondrement du coût de la dette. Depuis 2016, sachant que les rendements obligataires ont continué de fondre (avec une dette à taux négatif qui a doublé dans le monde lors des deux dernières années!), la situation ne s’est vraisemblablement pas améliorée. Le problème est que la littérature économique montre que les entreprises zombies plombent la productivité en provoquant des effets de congestion sur les facteurs de production et en conduisant à une mauvaise allocation du capital (une hausse de 1% de la part des entreprises zombies provoque un déclin de -0,3% de la productivité). Cet effet tend logiquement à s’intensifier en situation de plein emploi puisque les tensions sur le facteur travail s’accentuent. Historiquement, la productivité chute  lorsque le taux de chômage passe sous le NAIRU.

Pas de récession macro-économique mais une récession des profits

Pour les profits des entreprises américaines, la conjugaison de la guerre commerciale et de l’affaissement de la productivité devient problématique. Les derniers cycles des affaires suggèrent que les BPA américains peinent à croître lorsque la croissance mondiale ne dépasse plus 3%. A l’instar du FMI ou de l’OCDE, nous estimons que la croissance mondiale a ralenti vers ces niveaux dernièrement. Avec le tassement de la productivité, il devrait en résulter une contraction de la croissance des BPA. C’est aujourd’hui le message envoyé par les indicateurs avancés (notamment les enquêtes ISM). Au moment où les investisseurs commencent à envisager les perspectives pour 2020, les Etats-Unis ne semblent pas au-bord d’une récession macro-économique mais semblent confrontés à un risque de récession des profits. La saison de résultats du T3 2019 publiés lors des prochaines semaines risque déjà d’en porter les stigmates.