Les assurances coûtent toujours moins cher avant l’accident

Fabrizio Quirighetti, SYZ Asset Management

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Retour de la volatilité, comment réagir? Trois membres de l'Association des Stratégistes d'Investissement de Genève (ISAG) répondent.

 

Avez-vous modifié la composition de vos portefeuilles au vu de l’augmentation de la volatilité et comment tirer parti du regain de volatilité?

Oui en partie mais c’est plus subtil que cela…

En fait, mis à part les craintes du grand retour de l’inflation au début de l’année, qui avaient d’une part causé énormément de volatilité sur l’ensemble des marchés – toute classe d’actifs confondues –, et qui d’autre part avait provoqué un brusque changement de corrélation entre actions et obligations de bonne qualité (de négative à positive), la situation est redevenue depuis plus ou moins normale, Au moins en surface si l’on ne regarde que la volatilité des grands indices actions puisque même celle des émergents dans son ensemble est restée relativement stable malgré une forte baisse de l’indice ces derniers mois.

Bien que l’effet de diversification des obligations de bonne qualité au sein d’un portefeuille d’actions fonctionne de nouveau, la corrélation négative n’est plus aussi évidente. L’inflation n’ayant toujours pas vraiment montré le bout de son nez, il n’y a pour le moment aucune raison d’avoir des taux réels trop élevés qui mettraient un coup de frein important aux valorisations parfois excessives (mais justifiables dans un monde de taux bas) et qui surtout entrainerait un changement de régime de la corrélation entre emprunts d’Etats et actions (de négative à positive). D’un autre côté, la croissance économique est décente, l’inflation n’est pas sur une pente descendante et les banques centrales nous parlent de normalisation. Cela forme une sorte de taux plancher «psychologique»…puisque les taux longs n’ont donc pas la pleine flexibilité (à la vue des fondamentaux économiques décrits ci-dessus) de descendre aussi bas que pourrait le suggérer la correction des actifs risqués. On a vu cela avec l’épisode de la crise turque par exemple.

On a actuellement aussi de fortes divergences de volatilités, entre actifs émergents et développés, entre actions d’une région ou d’une autre, entre secteurs ou même au sein des secteurs. C’est une période assez spéciale et donc difficile pour la gestion de ce point de vue là.

La diversification est-elle une réponse appropriée?

Oui, elle est encore une partie de la réponse mais elle ne se limite pas à actions vs. emprunts d’Etats. Le yen japonais, tout comme le franc suisse (mais avec l’avantage d’être sous-évalué et de n’avoir pas des taux aussi négatifs), apporte aussi de la diversification. Notamment dans un portefeuille en EUR. Tout comme le dollar d’ailleurs dans des portefeuilles avec une grande proportion d’actifs émergents puisque le billet vert est leur pire ennemi. Dans un autre registre, on peut même imaginer diversifier un portefeuille avec beaucoup de duration en introduisant des actions bancaires. Et l’or reste très intéressant – même cette année – pour diversifier les portefeuilles des malheureux investisseurs «domestiques» turques, argentins ou vénézuéliens.

Toutefois, il n’y a pas de miracle au niveau des rendements espérés de portefeuilles, même très bien diversifiés, lorsqu’on fait face à un contexte de taux extrêmement bas. On va réduire la volatilité mais on n’améliorera pas significativement la rentabilité. Il faut donc aussi regarder la contribution marginale au risque et chercher les actifs au sein de l’univers d’investissement qui pourraient s’avérer plus « lucratifs » que ceux que l’on possède déjà sans pour autant rajouter énormément de risque au portefeuille existant. C’est un peu comme si au lieu de créer de l’eau tiède avec un savant mélange de beaucoup d’eau froide et d’eau chaude (avec les risques inhérents dans ce cas de se tromper et de se brûler ou de se geler), on cherchait directement une source d’eau tiède… Et actuellement il y en a une que l’ensemble des stratégistes a identifiée depuis quelques mois (avec le risque qu’elle ne soit bientôt plus aussi tiède puisque tout le monde l’exploite): les actions américaines.

Par conséquent et pour conclure, nous somme revenus sur la duration (via des emprunts d’Etats avec une certaine maturité) après la correction de janvier-février, du fait qu’elle avait retrouvé une certaine attractivité aussi bien en terme de valorisation que de diversification en l’absence d’inflation, mais nous avons surtout vendu des actions européennes et japonaises pour les remplacer par des actions américaines. En ce qui concerne les émergents nous avions très peu d’actions déjà au début de l’année et nous avons renforcé au fur et à mesure la dette en devises fortes qui nous semble offrir le meilleur compromis risque-rendement dans notre scénario qui prévoit, entre autres, un dollar moins fort dans les mois à venir.

La duration est-elle une réponse appropriée?

Elle redeviendra plus appropriée dès que le cycle économique sera suffisamment dégradé pour que les investisseurs ne se soucient plus de l’inflation et que les banquiers centraux n’oseront plus évoquer le mot de normalisation. Il y aura donc certainement aussi  un «15 janvier» pour les taux longs à l’avenir. Ce jour-là, la duration sera un atout.

D’un point de vue tactique, quelles couvertures pensez-vous privilégier?

Au sein des portefeuilles multi-actifs de SYZ AM dont j’ai la responsabilité, on utilise aussi bien des futures (notamment pour couvrir rapidement un risque) que des stratégies optionnelles selon les conditions du marchés pour augmenter ou réduire rapidement une exposition. En ce moment, des options, notamment sur les obligations (futures), sont assez intéressantes car la volatilité n’est pas très élevée (les protections et assurances coûtent toujours moins cher avant l’accident) mais avec le risque de grignoter une bonne partie de la performance si l’on en abuse (s’assurer trop longtemps pour un risque qui ne se matérialise pas tout de suite devient vite onéreux). Il n’y a donc malheureusement pas de recettes toutes faites, il faut sans arrêt s’adapter et adapter les portefeuilles aux conditions de marché, et rapidement si possible pour saisir les «bonnes» opportunités. C’est évidemment plus facile à dire qu’à faire mais c’est aussi très stimulant. Surtout quand ça marche!