Le crédit dans la ligne de mire

Charudatta Shende, Candriam

2 minutes de lecture

Le calme règne en surface, mais le crédit pourrait bientôt être rattrapé par ses fondamentaux.

 

Malgré un mois de mai marqué par les tensions commerciales, les taux volatils et les inquiétudes budgétaires, le crédit s’est montré étonnamment résilient. Un paradoxe? Pas tant que ça. Les marchés sont encore largement portés par des facteurs techniques: flux entrants, politiques monétaires accommodantes, rendements attractifs dans un monde où le rendement reste rare.

Mais derrière cette stabilité apparente se cache une fragilité: celle des fondamentaux des entreprises. Longtemps éclipsés par les facteurs techniques, les fondamentaux pourraient revenir au centre du jeu.

Investment Grade: un noyau stable exposé à un choc potentiel de politique économique

L'Euro Investment Grade (IG) reste pour l'instant stable. Les entreprises affichent encore des fondamentaux solides, et les «rising stars» surpassant les «fallen angels»1. Les dirigeants se montrent toutefois prudents, conscients d’un environnement mondial plus incertain.

Les États-Unis ont doublé certains droits de douane, notamment sur l'acier et l'aluminium. D'autres hausses sont à prévoir. Ces mesures s’inscrivent dans une stratégie budgétaire plus large, dont certaines dispositions risquent d’impacter directement les entreprises européennes.

Aux États-Unis, parallèlement, les signaux d’un ralentissement économique se multiplient. Si les mesures budgétaires ne se traduisent pas par une reprise tangible, une récession pourrait fragiliser les entreprises IG.

Haut Rendement: les premières fissures

Le segment du haut rendement (HY) euro commence à craquer. Trois défauts majeurs en mai, dont celui de SFR, marquent un tournant. D’autres reports d'échéances ont suivi, signalant un changement clair dans le profil de risque fondamental des crédits les moins bien notés.

Aux États-Unis, les défauts s’accélèrent. Cela reflète une conjoncture difficile, une hausse des coûts d’emprunt, et une pression croissante sur les marges.

Cette détérioration des fondamentaux pourrait fragiliser les soutiens techniques actuels. Un défaut significatif ou une série de dégradations pourrait provoquer une réaction en chaîne: retraits de capitaux, élargissement des spreads.

L'importance d'une analyse approfondie des émetteurs

Lorsque les fondamentaux vacillent, les facteurs techniques peuvent suivre. Le défaut de SFR l’a montré: un événement isolé suffit à raviver les tensions sur l’ensemble du marché. Dans un marché tendu, où le rendement est rare et les primes de risque artificiellement faibles, le sentiment peut se retourner rapidement. Les dégradations - même d’émetteurs de petite ou moyenne capitalisation - peuvent forcer des ventes automatiques de la part des fonds passifs, entraînant des réactions en chaîne.

Dans ce contexte, la meilleure arme reste l’analyse. Les investisseurs doivent rechercher des entreprises aux bénéfices durables, capables de maîtriser leurs coûts et de refinancer leur dette sans stress. Les plus vulnérables ? Celles exposées à la conjoncture, dépendantes des exportations ou aux bilans fragiles.

À l’inverse, les sociétés actives dans des secteurs défensifs, avec une demande stable et des finances saines, devraient conserver un bon accès au marché et la confiance des investisseurs.

Vers un nouveau cycle de crédit

Le crédit conserve de solides arguments: rendement élevé, soutien technique et intérêt croissant des investisseurs. Le segment IG ressort renforcé, avec des fondamentaux encore robustes et une vraie capacité à faire face aux chocs. Il commence même à apparaître, pour certains, comme une alternative crédible aux dettes souveraines européennes.

En revanche, le segment HY, lui, reste plus fragile. La moindre dégradation peut avoir des effets amplifiés.

Pour les deux segments, tout dépendra de la persistance et de l’intensité des chocs externes. Jusqu’ici, le marché tient. Mais le vrai test pourrait encore être devant nous. Une détérioration lente mais continue des fondamentaux, si elle n'est pas maîtrisée, pourrait marquer le début d’une nouvelle phase de marché.

Dans ce contexte, l'ère de la chasse au rendement tous azimuts est révolue. Ce qui s’annonce, c'est un marché qui récompensera la rigueur, la sélectivité et une attention sans faille portée à la solvabilité des entreprises.

 

1 Les «rising stars» (étoiles montantes) sont des obligations classées en catégorie spéculative (junk bonds) mais qui pourraient être reclassées en catégorie investment grade en raison d’une amélioration de la qualité de crédit de l’entreprise émettrice. Les «fallen angels» (anges déchus) sont des obligations qui étaient initialement notées investment grade mais qui ont été rétrogradées au statut spéculatif à la suite d'une détérioration de la situation financière de l'émetteur.

A lire aussi...