Pour Amin Rajan, chercheur chez CREATE-Research, le changement climatique et l’intelligence artificielle obligeront à réévaluer certains actifs.
L’étude des grandes tendances de fonds est presque devenue une discipline scientifique à proprement parler. Les recherches effectuées dans ce domaine sont suivies avec la plus grande attention par les gérants d’actifs. Parmi les tendances dont il faudra tenir compte au cours de la prochaine décennie, le changement climatique et l’intelligence artificielle (IA) constituent deux «mega trends» qui redéfiniront en profondeur l’avenir de l’investissement, affirme une étude publiée cet automne par le gérant d’actifs BNY Mellon Investment Management et CREATE-Research, un institut de londonien indépendant qui publie régulièrement des travaux de recherche sur différent sujets en collaboration avec différents établissements bancaires ou gérants d’actifs.
Près de neuf investisseurs institutionnels sur dix qui ont participé à l’enquête considèrent ces deux tendances de fonds comme des risques à prendre en compte en matière d’investissement. Pratiquement tous les répondants (93%) considèrent le changement climatique comme un risque en matière d’investissement qui n’a pas encore été intégré dans les prix des marchés financiers globaux. S’agissant de l’IA, 85% des sondés la voient aussi comme un risque susceptible de provoquer de fortes réactions sur le plan social et des tensions géopolitiques, indique l’étude qui repose sur les réponses apportées par des investisseurs institutionnels disposant d’actifs sous gestion totalisant près de 13 trillions de dollars.
et une opportunité par une majorité des personnes sondées.
Dans le détail, l’étude identifie quatre «défis spécifiques» en termes d’investissement résultant du changement climatique. Celui-ci est perçu à la fois comme un risque et une opportunité par une majorité (57%) des répondant (alors que 36% d’entre eux le voient seulement comme un risque et 7% uniquement comme une opportunité). En termes d’investissement, le changement climatique représente un défi pour quatre raisons principales. Parmi celles-ci, il y a premièrement les faibles progrès observés pour attribuer un prix au CO2, comme c’est envisagé dans le cadre de l’accord de Paris, ce qui peut laisser supposer que la mise en place de mesures «draconniennes» de la part des gouvernements finira par devenir inévitables. Deuxièmement, il y a le dilemme des «stranded assets», ou actifs échoués. Il s’agit par exemple de réserves de charbon ou de pétrole qui sont déjà comptabilisés mais qui ne seront peut-être jamais exploitées, ce qui entraînera d’importantes pertes pour leurs détenteurs.
Troisièmement, l’engagement avec les entreprises émettrices de CO2 est plus difficile dans le domaine des produits à revenu fixe qu’avec les actions, car il y a moins moyens de pouvoir intervenir auprès des entreprises en exerçant ses droits de vote ou en participant aux assemblées générales lorsque l’on détient des obligations. Quatrièmement, il y a des interrogations quant à savoir si la prise en compte des critères ESG sera un facteur de risque à l’avenir étant donné que les bénéfices qui en résultent sont déjà en partie inclus dans la valorisation des titres actuellement.
S’agissant l’intelligence artificielle (IA), l’étude identifie quatre types de défis spécifiques liés à ce développement technologique, qui est perçu à la fois comme un risque et une opportunité par une majorité (52%) de sondés (à noter que 33% d’entre eux la considèrent seulement comme un risque et 7% uniquement comme une opportunité).
ou perdants dans certains marchés.
Parmi ces défis figurent, premièrement, le raccourcissement des cycles de vie des entreprises elles-mêmes. L’IA peut créer rapidement de nouveaux gagnants ou perdants dans certains marchés. Deuxièmement, les limites sectorielles sont remises en question par l’IA qui permet à des entreprises extérieures à un secteur de chambouler certaines industries. Tesla, une société non issue du secteur automobile, constitue typiquement un exemple de ce type d’entreprises. Troisièmement, on assistera au rapatriement de certaines activités manufacturières («onshoring») grâce de nouvelles possibilités technologiques, ce qui réduira les perspectives de croissance pour les économies émergentes. Quatrième effet, l’AI rendra plus difficile d’évaluer certains actifs intangibles. «On passe de ce qui est mesurable à ce qui relève davantage de la perception», observe Amin Rajan, directeur de CREATE-Research. Cela créée davantage d’instabilité dans la manière d’évaluer les entreprises.
Selon Amin Rajan, l’IA est une technologie qui est à la fois une source d’opportunités et de risques. Parmi ceux-ci, il y a son impact sur l’emploi. L’IA pourrait engendre des réactions violentes dans la société si elle entraîne une hausse du chômage. D’autant plus que les «cols blancs» ne sont pas épargnés par cette transformation. Et de citer l’exemple de certaines activités médicales: «Grâce à la 5G, il sera possible d’effectuer des opérations chirurgicales à distance. Le chirurgien ne se trouvera plus nécessairement dans l’hôpital mais peut-être en Inde par exemple», illustre Amin Rajan. Le rôle des gouvernements sera dès lors d’accompagner au mieux les gens et les entreprises dans ce processus de transition.
Y a-t-il des points de recoupement entre ces deux tendances majeures que sont le changement climatique et l’intelligence artificielle? Oui, estime le chercheur, citant l’exemple des véhicules électriques, qui tireront parti des possibilités de l’IA. Ceux-ci auront un très grand impact pour réduire la pollution et transformer la mobilité dans les centres urbains.